La leptospirose chez les chevaux (partie 2) : les signes cliniques - La Semaine Vétérinaire n° 1823 du 27/09/2019
La Semaine Vétérinaire n° 1823 du 27/09/2019

ANALYSE

PRATIQUE MIXTE

Formation

Auteur(s) : ANNE COUROUCÉ 

L’exposition à Leptospira spp. est commune chez les chevaux. Néanmoins, la maladie systémique est rare. Chez cet animal, les leptospires ont un trophisme pour les reins, les yeux et l’appareil reproducteur femelle. L’infection des juments gestantes peut entraîner une placentite, une infection fœtale et un avortement, ainsi qu’un ictère chez le poulain nouveau-né et une faiblesse chez les poulains nés de juments infectées. Une insuffisance rénale aiguë, une anémie hémolytique et une hématurie peuvent également survenir. Enfin, l’uvéite récidivante est une maladie fréquente et commune chez les équidés atteints d’une infection à Leptospira.

Les études de séroprévalence ont indiqué un très fort taux d’exposition à Leptospira dans de nombreuses régions d’Amérique du Nord, mais la plupart des chevaux séropositifs n’ont aucun antécédent de maladie liée à Leptospira suggérant que la morbidité associée à l’infection est faible. Bien que la leptospirose fasse partie du diagnostic différentiel de l’insuffisance hépatique aiguë, de la détresse respiratoire avec pneumopathie hémorragique et de maladie neurologique aiguë chez l’homme, il n’existe pas de cas confirmés de ces syndromes chez des chevaux.

Infection de l’appareil reproducteur

Dans les régions endémiques d’Amérique du Nord, environ 13 % des avortements bactériens des juments sont dus à Leptospira interrogans serovar Pomona. Toutefois, cette incidence peut varier considérablement d’une année à l’autre. La raison n’est pas claire, mais les différences de précipitations et les inondations peuvent jouer un rôle. La plupart des avortements surviennent après 8 mois de gestation. Les juments avortent généralement sans présenter de signes cliniques préalables. Après un avortement, les leptospires peuvent se trouver dans le placenta, le cordon ombilical, les reins et le foie. Prélever ces organes permet d’effectuer des recherches sur l’agent en cause. Dans de rares cas, un poulain vivant mais malade et faible peut naître.

Bien que plus d’une jument puisse avorter à cause d’une infection à Leptospira, il est assez inhabituel d’observer des épidémies d’avortements. Néanmoins, cela peut arriver. Pendant la saison de mise bas en 2006-2007 dans le Kentucky (États-Unis), il a été recensé 37 avortements et naissances d’un poulain mort-né avec confirmation que cela était dû à des leptospires. Les avortements ont eu lieu le plus souvent 2 à 4 semaines après l’infection, à un moment où les juments avaient des titres d’anticorps très élevés. Toutefois, une proportion importante des juments infectées a donné naissance à des poulains en bonne santé. Cela peut s’expliquer par le stade de gestation au moment de l’infection, par une placentite mineure et, également, par une bonne efficacité de la réponse immunitaire acquise chez le fœtus infecté. Le rapport entre les dommages dans le placenta et le fœtus et l’efficacité de la réponse immunitaire fœtale est probablement déterminant pour l’état de santé du poulain nouveau-né.

Les juments qui avortent peuvent éliminer L. Pomona dans l’urine pendant environ 2 à 3 mois. Elles deviennent donc porteuses et excréteuses chroniques de la bactérie. De plus, après un avortement, il a été constaté que certains chevaux développent une uvéite des semaines ou des mois plus tard.

Insuffisance rénale aiguë

L. Pomona provoque rarement de la fièvre et une insuffisance rénale aiguë chez les chevaux en Amérique du Nord. Il est alors observé un gonflement des reins avec nécrose tubulaire et néphrite tubulo-interstitielle provoquant une hématurie et une pyurie sans bactéries visibles. La fièvre peut être persistante chez les chevaux atteints d’insuffisance rénale aiguë associée à Leptospira, en l’absence de l’administration d’un traitement antibiotique efficace. Les jeunes chevaux semblent être plus susceptibles de présenter des signes cliniques aigus. Aucun cas d’insuffisance rénale chronique causée par Leptospira n’a été décrit, à ce jour, chez le cheval.

Uvéite récurrente

En Amérique du Nord, chez les chevaux adultes, la maladie clinique la plus fréquente associée à L. Pomona et, plus rarement, à Leptospira kirschneri serovar Grippotyphosa est l’uvéite récidivante équine (URE). C’est une maladie à médiation immune impliquant des anticorps produits contre certains antigènes de Leptospira tels que la protéine de la membrane externe LruC qui présente des réactions croisées avec les tissus du cristallin, de la cornée et éventuellement de la rétine. Dans certaines régions d’Amérique du Nord, il est estimé que 50 %, voire plus, des cas d’URE sont associés à la leptospirose. Les leptospires peuvent être décelés dans le liquide aqueux ou vitreux de nombreux chevaux atteints. Les concentrations d’anticorps dirigés contre L. Pomona dans l’humeur aqueuse comparées aux titres sériques affichent des valeurs trois à quatre fois plus élevées, ce qui suggère une persistance locale de la stimulation antigénique.

Des facteurs génétiques sont probablement impliqués dans le processus de la maladie, ce qui peut expliquer pourquoi seuls certains chevaux infectés par Leptospira développent une uvéite. Les appaloosa et chevaux de selle seraient génétiquement prédisposés et des marqueurs spécifiques MHC sur ECA1 (appaloosa) ou ELA-A9 (warmbloods) sont fortement associés à la maladie. La prévalence de l’URE chez les chevaux d’Amérique du Nord n’a pas été établie, mais les observations de terrain suggèrent que 1 à 2 % des chevaux américains souffrent de troubles cliniques avec une maladie suffisamment grave pour menacer la vision.

Associée à Leptospira, l’uvéite peut provoquer une maladie des chambres antérieure et postérieure. D’un point de vue clinique, les symptômes varient d’un œdème cornéen ou autres modifications de la cornée à des lésions rétiniennes cliniquement silencieuses observées lors de l’examen du fond d’œil et à des uvéites récurrentes très importantes, douloureuses et progressives avec apparition de maladies oculaires secondaires comme une cataracte et un glaucome, pouvant être à l’origine de la cécité. Les appaloosas présentant une URE et qui sont séropositifs pour Leptospira affichent une forme particulièrement agressive de la maladie qui peut être subclinique jusqu’à ce que les chevaux deviennent aveugles.

La grande majorité des chevaux atteints d’URE associée à Leptospira n’ont pas d’antécédents de fièvre, d’insuffisance rénale ou d’avortements qui permettraient d’avoir une notion du temps écoulé entre l’infection initiale à Leptospira et l’apparition de l’uvéite clinique. La période d’incubation de l’URE associée à Leptospira n'est pas bien documentée.

En Europe, un certain nombre d’études effectuées en Allemagne ont identifié la présence de Leptopsira par réaction en chaîne par polymérase (polymerase chain reaction ou PCR) ou culture dans un grand nombre d’échantillons d’humeur vitrée obtenue au cours de vitrectomies effectuées lors de suivis de chevaux présentant une URE. Une étude a permis d’isoler Leptospira dans 32,2 % de liquides intraoculaires prélevés par vitrectomie chez 501 chevaux provenant de différents pays comme l’Allemagne, la Suisse, l’Autriche, les Pays-Bas, le Luxembourg, le Royaume-Uni, l’Italie et la Pologne. Cependant, les résultats de cette étude ne précisent pas la prévalence par pays. Une étude plus récente effectuée en Belgique suggère que Leptospira serait impliquée dans 30,3 % des cas d’URE. Néanmoins, ces résultats sont en contradiction avec des résultats publiés au Royaume-Uni qui ont trouvé une incidence des cas d’URE associés à la leptospirose de 6,7 %. Ces différences pourraient être expliquées par l’existence de facteurs génétiques chez certains chevaux allemands qui seraient porteurs d’un gène favorisant le développement d’URE.

Contrairement à l'Amérique du Nord, où L. Pomona semble être l’espèce la plus commune impliquée dans la pathogénie de l’URE, la plupart des cas d’uvéite à leptospirose en Europe sont associés à L. Grippotyphosa. Deux différents types au sein du sérovar Grippotyphosa ont été proposés, à savoir les types Moskva et Duyster, ce dernier étant limité à l’Europe occidentale. Il a également été suggéré que, même si de nombreux sérotypes peuvent être en mesure de pénétrer dans l’œil, seuls quelques-uns (principalement Grippotyphosa) sont capables d’y persister. Cette implication du sérovar Grippotyphosa dans les cas d’URE en Europe continentale est en opposition avec les résultats d’études menées au Royaume-Uni où les seuls sérovars impliqués dans l’uvéite sont Hardjo et Javanica et, potentiellement, Sejroe. En résumé, alors que les manifestations cliniques de la leptospirose chez les chevaux sont très similaires en Amérique du Nord et en Europe, des différences existent du point de vue des sérotypes présents et de l’épidémiologie de la maladie.

Article rédigé d’après :

- Divers T. J., Chang Y. F., Irby N. L., et coll. Leptospirosis : an important infectious disease in North American horses, Equine Vet. J. 2019;51(3):287–292.

- Malalana F. Leptospirosis in horses : a European perspective, Equine Vet. J. 2019;51(3):285-286.