Le marché poursuit sa mue - La Semaine Vétérinaire n° 1823 du 27/09/2019
La Semaine Vétérinaire n° 1823 du 27/09/2019

SANTÉ ANIMALE

ACTU

Auteur(s) : MICHAELLA IGOHO-MORADEL 

En 20 ans, le secteur de la santé animale s’est métamorphosé. Entre fusions, acquisitions et autonomie, il ne compte aujourd’hui qu’une poignée d’acteurs. Ces mouvements sont inéluctables pour l’évolution d’un marché de plus en plus indépendant.

Bayer, Elanco, Ceva Santé animale… L’année 2019 est synonyme de rachat et de cessions pour le secteur de l’industrie du médicament vétérinaire. La dernière transaction en date est le rachat de la division santé animale de Bayer par Elanco, qui quelques mois plus tôt devenait une entreprise indépendante. Le paysage du marché de la santé animale ne cesse de se métamorphoser. Alors que les prévisions sont au beau fixe pour le marché mondial de la santé animale, annonçant une croissance solide de 4,5 % par an en moyenne d’ici 20241, les stratégies des gros laboratoires semblent payer. Dans le même temps, de nouveaux “petits” acteurs font leur entrée sur le marché.

Du côté des vétérinaires, spectateurs de ces changements, des questions, voire des craintes, font surface. « Les acquisitions peuvent être une opportunité pour les laboratoires lorsqu’elles leur permettent de bénéficier des investissements en recherche et développement », indique Christophe Hugnet, praticien dans la Drôme et et l’un des membres fondateurs du collectif Sevif (Structures et établissements vétérinaires indépendants de France). Ces mouvements ont-ils un impact sur l’arsenal thérapeutique ? Sont-ils réellement source d’innovations ? Les interrogations sont nombreuses.

20 ans de concentrations

La mutation du marché de la santé animale ne date pas d’hier. Jean-Louis Hunault, président du Syndicat de l’industrie du médicament et réactif vétérinaires (SIMV), note qu’en 20 ans le nombre d’acteurs sur le marché s’est considérablement réduit, passant d’une soixantaine d’entreprises à une quinzaine aujourd’hui. Ce secteur était dominé par les “big pharma”. L’agence Xerfi France indique ainsi, dans un rapport publié en juillet 2019 sur l’industrie du médicament vétérinaire, que ces entreprises ont amorcé longtemps un recentrage de leurs activités sur la santé humaine ou végétale. Ces dernières années, plusieurs acteurs se sont en effet séparés de leur division santé animale. Pour n’en citer que quelques-uns : Pfizer s’est séparé de sa filiale réservée à ce secteur, Zoetis, en 2013 ; il a été suivi par Sanofi, qui a cédé, en 2017, Merial à Boehringer Ingelheim. Plus récemment, en août 2019, Bayer est parvenu à un accord avec Elanco, afin de lui céder sa division santé animale. Pour l’agence Xerfi, cette cession s’inscrit dans un vaste plan d’économies qui doit permettre au groupe de retrouver la confiance des investisseurs après le rachat controversé de Monsanto. Cette opération a donné naissance au numéro 2 mondial du secteur, juste derrière Zoetis. Christophe Hugnet voit cela d’un bon œil : « Le rachat de Bayer par Elanco est une bonne nouvelle. J’avais constaté que la force de vente de ce dernier était peu présente chez les vétérinaires pour développer leurs produits. » D’autres entreprises seront-elles tentées par l’appel de la cession de leur division santé animale ? Seul l’avenir nous le dira.

Des investissements en France…

Pour Jean-Louis Hunault, ces mutations sont permanentes et témoignent que « la santé animale est un domaine de plus en plus indépendant si l’on regarde les évolutions sur 10 ans ». à côté de ces mutations, d’autres entreprises choisissent de préserver leur autonomie. Ceva Santé animale,Vetoquinol et Virbac maintiennent leur cap. La première privilégie les rachats de petite taille. L’entreprise a ainsi finalisé, en juillet dernier, le rachat de l’entreprise allemande de vaccins porcins IDT Biologika. Tous ces mouvements favorisent-ils l’innovation ? Jean-Louis Hunault répond par l’affirmative et ajoute que « concentration ne veut pas dire fermeture de site ». Il désigne en effet les entreprises qui se sont données les moyens d’investir dans la santé animale qui reste un marché porteur, notamment les investissements dans la recherche ou les vaccins. « Boehringer Ingelheim vient de lancer la construction d’une unité de production de vaccins (200 millions d’euros d’investissement), ce qui place la santé animale devant la santé humaine en matière d’investissement sur notre territoire », précise-t-il. En 2018, MSD Santé animale présentait un plan d’investissement de 38 millions d’euros pour l’extension de son usine d’Igoville (Eure), en vue d’y produire des antiparasitaires pour chiens et chats. De son côté, Ceva Santé animale a finalisé, en juin dernier, un investissement de 25 millions d’euros sur cinq ans à Louverné. Ce site mayennais produit annuellement près de 200 millions de comprimés pour les chats et les chiens, ainsi que des shampooings.

… mais aussi des craintes

Dans le même temps, le marché voit débarquer de nouveaux acteurs, plus petits, tels qu’Alivira, Audevard, Axience, Biové, IDvet, Lexmoor ou encore Qalian. Du côté de la profession, certaines interrogations persistent. Ces mouvements favorisent-ils l’innovation ? Expliquent-ils en partie la pénurie de certains médicaments ? Éric Lejeau, vice-président du Syndicat national des vétérinaires d’exercice libéral (SNVEL), exprimait, en avril, ses craintes à La Semaine Vétérinaire 2. « Nous constatons une concentration progressive des laboratoires, avec parfois des regroupements de gammes, souligne-t-il. Notre crainte principale face à ces évolutions est la perte de références disponibles. Je pense notamment au sacrifice de certaines lignes pour un motif économique. Notre inquiétude porte donc sur la disponibilité du médicament et le maintien de l’innovation. L’accès à la nouveauté est primordial pour notre profession. Celle-ci nous permettra d’être plus efficaces dans nos thérapeutiques. » Pour Jean-Louis Hunault, il n’y a aucune crainte à avoir en matière de disponibilité. Il indique à ce sujet que le marché impose ses règles. « Je note que les entreprises françaises continuent d’investir sur le territoire, ce qui dope nos exportations et est bon pour le commerce extérieur de la France pour près de 800 M », se réjouit-il.

1 Selon le bureau d’études Zion Market Research.

2 La Semaine Vétérinaire n° 1803 du 5/4/2019 (bit.ly/2mGJ32s).

« IL NE FAUDRAIT PAS QUE LES LABORATOIRES OUBLIENT LEURS FORCES HUMAINES »

Selon vous, quels sont les avantages et les inconvénients des évolutions du marché de la santé animale pour la profession ?
Je constate qu’assez régulièrement, dans les mois ou les années qui suivent des regroupements, les médicaments qui appartenaient à l’un ou l’autre des laboratoires et ne devaient pas avoir une rentabilité très importante sortent du catalogue ou connaissent une rupture. C’est souvent l’inconvénient que l’on perçoit en tant que praticien. Je note finalement une raréfaction de notre arsenal thérapeutique. On pourrait supposer que les laboratoires de taille plus importante gèrent mieux leurs stocks, mais ce n’est pas toujours le cas. Nous subissons des ruptures moins longues dans les petits laboratoires que dans les gros. à terme, nous risquons d’être confrontés aux difficultés d’approvisionnement rencontrées en santé humaine, telles que des pénuries de certains antibiotiques. Or, il n’y a pas de raisons que des médicaments de base ne puissent pas être disponibles.

Craigniez-vous qu’à terme ces mouvements limitent le jeu de la concurrence ?
Je ne pense pas que cela ait un effet direct sur les prix. Nous assistons à une disparition de certains laboratoires, mais d’autres arrivent sur le marché. Ces nouveaux acteurs permettent parfois d’obtenir une baisse des prix ou d’en empêcher l’augmentation. En général, les gros laboratoires ne se positionnent pas sur le prix. Ces derniers ont plutôt tendance à proposer des médicaments “innovants” qui supposent des prix assez élevés.
Par ailleurs, ces nouveaux acteurs apportent peu d’innovation en matière de nouvelles classes thérapeutiques, mais peuvent favoriser l’innovation de niche, qui n’existait pas en France mais ailleurs en Europe. Ils mettent également sur le marché des médicaments génériques, ce qui permet de baisser les coûts.

Quelles sont vos attentes face à ces mutations ?
En tant que vétérinaire, elles sont assez simples : que les médicaments soient disponibles et que l’innovation soit réelle. Dès lors que les laboratoires obtiennent des autorisations de mise sur le marché pour de nouveaux médicaments et que ceux-ci rencontrent un intérêt particulier auprès des prescripteurs et des animaux, ils doivent en garantir la disponibilité. Cette attente concerne également les médicaments disponibles depuis longtemps sur le marché.
Il ne faudrait pas que les laboratoires oublient leurs forces humaines : force de vente, conseiller technique vétérinaire, etc. Certains semblent être en souffrance.
Propos recueillis par Michaella Igoho-Moradel