DOSSIER
Auteur(s) : LORENZA RICHARD
Le collectif pluriprofessionnel “Le chien mon ami”, porté par la Seevad, propose de référencer sur son site internet les professionnels ayant une approche amicale avec les chiens. Comment le comportement du chien est-il abordé par les vétérinaires pour développer et entretenir une relation harmonieuse entre l’animal et son propriétaire ? Voici quelques méthodes et points de vue partagés autour de l’établissement d’un rapport amical et d’un bien-être mutuel.
Le projet “Le chien mon ami”1, qui souhaite créer un réseau de professionnels du chien ayant une approche amicale, « est porté par la Seevad 2 , car nos prises de position ne sont pas idéologiques mais reposent sur des travaux scientifiques, assure Isabelle Vieira, présidente de la Seevad. Nous avons en effet désormais des preuves que les méthodes basées sur les brimades et la subordination déclenchent ou aggravent l’agressivité et/ou induisent une résignation acquise et un stress élevé, donc une mauvaise qualité de vie. » En revanche, « faire équipe avec le chien, dans une relation d’entraide et de coopération, avec un renforcement positif des comportements, permet à la fois de lui redonner sa place de meilleur ami de l’humain, et de limiter les morsures et les abandons. »
Isabelle Vieira explique que les méthodes amicales reposent sur trois bases : « la complicité entre le chien et l’humain, la confiance, qui implique que le chien ne doute pas des intentions de l’humain, et le consensus, dans le sens d’un choix commun entre l’homme et l’animal, en laissant à celui-ci la possibilité de refuser de faire quelque chose. » Cependant, « traiter le chien comme un ami n’est pas une méthode de “Bisounours”, remarque notre consœur, car il ne faut pas confondre éducation positive et éducation permissive ou laxiste. Il est nécessaire de poser un cadre au chien, qui lui est enseigné avec le renforcement positif et une gestion positive des contraintes. »
Il convient toutefois de distinguer l’approche amicale des différentes méthodes dites positives revendiquées par certains professionnels et qui regroupent de nombreuses pratiques, souvent paradoxales. « Éducation positive et bien-être sont des mots à la mode, qui, parfois, ne sont pas employés à bon escient, », avertit Muriel Marion, présidente du Gecaf3 et vice-présidente de Zoopsy4. Pour Nathalie Simon, vétérinaire comportementaliste, « les vétérinaires doivent redonner de la cohérence dans l’accompagnement proposé, car les clients sont perdus entre toutes les solutions qui leur sont proposées, sur Internet notamment ». Notre consœur met en garde contre une méthode positive mal appliquée. Par exemple, « nombre de propriétaires stimulent leur chiot dans des jeux sociaux ou en relation avec des objets, ou encore avec de la nourriture distribuée de façon anarchique, puis le punissent parce qu’il est trop excité, alors qu’ils ont eux-mêmes déclenché l’excitation. Les chiens ayant reçu ce type d’éducation sont les plus difficiles à rééduquer », affirme-t-elle. Ainsi, « Il est bien que la profession se réveille et adopte une approche éthique, bienveillante et pacifique, bien que celle-ci ne soit pas nouvelle », poursuit notre consœur, qui propose depuis les années 2000 aux vétérinaires et à leurs auxiliaires une formation à la Conduite accompagnée du chien5, méthode validée scientifiquement au travers d’une thèse de doctorat en sciences de l’éducation. « Celle-ci permet de considérer avec autant de respect et d’efficacité, le chien, les humains qui vivent avec, et les professionnels qui accompagnent ou qui soignent, pour le bien-être durable de tous. » Le logiciel Evaleha (“évaluation environnement-homme-animal”) « permet de récolter des informations utiles pour chaque cas étudié, aussi bien en prévention, qu’en rattrapage et en rééducation. »
Les vétérinaires qui détectent un trouble du comportement peuvent également proposer l’aide d’éducateurs. « Les éducateurs canins ou les comportementalistes sont précieux, car ils permettent au vétérinaire de gérer la partie médicale pendant qu’ils gèrent la partie comportementale, affirme Antoine Bouvresse, vétérinaire comportementaliste. Il est important de travailler avec des professionnels en qui nous avons confiance et qui partagent certaines de nos missions. » « Je collabore avec des éducateurs pour accompagner les propriétaires dans l’éducation ou la rééducation de leur chien ou pour réapprendre à un chien les codes du langage avec ses congénères, appuie Muriel Marion. Toutefois, notre consœur ajoute que « le comportement est une discipline médicale, et tous les troubles rencontrés ne sont pas en lien avec un problème d’éducation. Je travaille depuis plusieurs années à créer du lien entre les différentes spécialités de la médecine vétérinaire, pour que l’animal soit abordé dans sa globalité, et que la qualité de vie soit prise en compte, aussi bien en clinique, en hospitalisation notamment, qu’au domicile du propriétaire. Beaucoup de prises en charge médicales peuvent être potentialisées en sachant que la douleur ou certaines maladies sont à l’origine d’anxiété, de stress, ou de comportements gênants secondaires, comme la malpropreté, par exemple. Si d’emblée ces troubles sont prévenus, le chien et son propriétaire peuvent gagner en confort de vie et leur relation n’est pas affectée. »
Pour Antoine Bouvresse, l’approche comportementale de chaque animal, quel que soit le type de consultation pour lequel il vient, permet de prendre en compte les facteurs qui le stressent. « Nous avons mis en place la formation Animal Friendly, préventive, après avoir vu l’écart entre les consultations consacrées au comportement et la pratique quotidienne du vétérinaire, explique-t-il. L’observation du comportement de tout chien qui franchit les portes de la clinique fournit au vétérinaire et à son équipe des informations sur son état émotionnel dont ils peuvent se servir pour améliorer la qualité de service. » Par exemple, la salle d’attente et le chenil peuvent être aménagés pour que l’accueil ou l’hospitalisation ne soit pas associés à un moment de stress important, car un animal sensibilisé deviendra difficile à manipuler dès la visite suivante. En consultation, « pour apaiser l’animal, il suffit souvent de le laisser explorer la salle quelques minutes, afin qu’il se familiarise avec l’environnement et le personnel, et de lui donner quelques friandises, pour que la visite se déroule dans le calme », assure notre confrère. Parfois, des animaux accompagnateurs, qui vivent à la clinique peuvent rassurer le chien en consultation ou en hospitalisation. « Le propriétaire est très satisfait de cette approche nouvelle, constate Antoine Bouvresse. Les gens pensent souvent qu’il est normal que leur chien tremble de peur dans une structure médicale, où ils ont l’habitude que leur animal soit contenu de façon musclée ou avec une lacette autour du museau. Le propriétaire est alors agréablement étonné quand nous utilisons des outils pour un ac cueil amical et une consultation agréable, à la fois pour lui, le chien et le vétérinaire. »
Face à un chien sensibilisé ou agressif, les méthodes coercitives ne font qu’aggraver le problème. Fréquemment, un chien non dangereux peut avoir acquis une phobie du soin, du vétérinaire ou de sa structure, après un soin douloureux, une approche ou une contention inadaptée du vétérinaire, ou un environnement stressant. «
Un nombre élevé de chiens agressifs dans leur clientèle doit interpeller les confrères et les faire s’interroger sur leurs pratiques
», indique Antoine Bouvresse. Pour notre confrère, une façon de réduire la sensibilité de l’animal est de le faire venir à la clinique en dehors des consultations, le temps d’une pesée à l’accueil, par exemple, pendant laquelle il reçoit des friandises. «
Cela peut changer totalement sa vision de la structure, assure-t-il. Pour les animaux très sensibilisés, des méthodes éducatives de conditionnement comme le meddical training permettent de regagner leur confiance. Les vétérinaires ou les auxiliaires peuvent se former à cette technique, qui est un travail de longue haleine. Ainsi, le temps passé à éviter de sensibiliser un animal lors de la première consultation ou de l’hospitalisation permet d’en gagner et d’améliorer le confort de tous lors des visites suivantes. »
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1 Lire page 22 de ce numéro.
2 Société européenne d’éthologie vétérinaire des animaux domestiques.
3 Groupe d’étude en comportement des animaux familiers de l’Association française des vétérinaires pour animaux de compagnie (Afvac).
4 Association vétérinaire de zoopsychiatrie.
5 conduite-accompagnee-chien.fr.
AIDER À COMPRENDRE L’ANIMAL
LE RÔLE CENTRAL DU PRATICIEN
CONNAISSANCE ET EXPÉRIENCE
Le vétérinaire peut également référer vers un confrère ou une consœur comportementaliste, « dont le parcours d’acquisition d’une capacité à modifier les comportements est de long terme », comme nous l’explique Thierry Bedossa. Selon lui, « la base d’un bon exercice du comportement est la connaissance la plus intime et complète des espèces dont on a la charge, d’abord en lisant les derniers articles des revues scientifiques internationales de nombreuses disciplines, comme l’éthologie appliquée, notamment. » Toutefois, pour notre confrère, « ne connaître que la science est insuffisant pour se dire expert, de la même manière que la seule connaissance empirique acquise par un éducateur de chiens, par exemple, ne lui suffit pas pour un exercice scientifique. Ainsi, il convient d’avoir des connaissances expérientielles approfondies, qui ne peuvent être acquises qu’en vivant au contact permanent d’un grand nombre d’animaux de l’espèce pour laquelle nous revendiquons une expertise. Nous ne pouvons pas nous limiter au contact des seuls chiens qui viennent dans nos cabinets. De plus, savoir comment entraîner un individu s’acquiert sur le terrain, avec les éducateurs, et nous ne pouvons pas faire passer le message d’une relation amicale si nous ne la pratiquons pas nous-mêmes. »DES AVANTAGES AUSSI POUR LE VÉTÉRINAIRE
L’ÉTHOLOGIE AU SERVICE DE L’ENSEIGNEMENT