POur une approche amicale du chien - La Semaine Vétérinaire n° 1823 du 11/10/2019
La Semaine Vétérinaire n° 1823 du 11/10/2019

DOSSIER

Auteur(s) : LORENZA RICHARD 

Le collectif pluriprofessionnel “Le chien mon ami”, porté par la Seevad, propose de référencer sur son site internet les professionnels ayant une approche amicale avec les chiens. Comment le comportement du chien est-il abordé par les vétérinaires pour développer et entretenir une relation harmonieuse entre l’animal et son propriétaire ? Voici quelques méthodes et points de vue partagés autour de l’établissement d’un rapport amical et d’un bien-être mutuel.

Le projet “Le chien mon ami”1, qui souhaite créer un réseau de professionnels du chien ayant une approche amicale, « est porté par la Seevad 2 , car nos prises de position ne sont pas idéologiques mais reposent sur des travaux scientifiques, assure Isabelle Vieira, présidente de la Seevad. Nous avons en effet désormais des preuves que les méthodes basées sur les brimades et la subordination déclenchent ou aggravent l’agressivité et/ou induisent une résignation acquise et un stress élevé, donc une mauvaise qualité de vie. » En revanche, « faire équipe avec le chien, dans une relation d’entraide et de coopération, avec un renforcement positif des comportements, permet à la fois de lui redonner sa place de meilleur ami de l’humain, et de limiter les morsures et les abandons. »

Les méthodes positives forcément amicales ?

Isabelle Vieira explique que les méthodes amicales reposent sur trois bases : « la complicité entre le chien et l’humain, la confiance, qui implique que le chien ne doute pas des intentions de l’humain, et le consensus, dans le sens d’un choix commun entre l’homme et l’animal, en laissant à celui-ci la possibilité de refuser de faire quelque chose. » Cependant, « traiter le chien comme un ami n’est pas une méthode de “Bisounours”, remarque notre consœur, car il ne faut pas confondre éducation positive et éducation permissive ou laxiste. Il est nécessaire de poser un cadre au chien, qui lui est enseigné avec le renforcement positif et une gestion positive des contraintes. »

Il convient toutefois de distinguer l’approche amicale des différentes méthodes dites positives revendiquées par certains professionnels et qui regroupent de nombreuses pratiques, souvent paradoxales. « Éducation positive et bien-être sont des mots à la mode, qui, parfois, ne sont pas employés à bon escient, », avertit Muriel Marion, présidente du Gecaf3 et vice-présidente de Zoopsy4. Pour Nathalie Simon, vétérinaire comportementaliste, « les vétérinaires doivent redonner de la cohérence dans l’accompagnement proposé, car les clients sont perdus entre toutes les solutions qui leur sont proposées, sur Internet notamment ». Notre consœur met en garde contre une méthode positive mal appliquée. Par exemple, « nombre de propriétaires stimulent leur chiot dans des jeux sociaux ou en relation avec des objets, ou encore avec de la nourriture distribuée de façon anarchique, puis le punissent parce qu’il est trop excité, alors qu’ils ont eux-mêmes déclenché l’excitation. Les chiens ayant reçu ce type d’éducation sont les plus difficiles à rééduquer », affirme-t-elle. Ainsi, « Il est bien que la profession se réveille et adopte une approche éthique, bienveillante et pacifique, bien que celle-ci ne soit pas nouvelle », poursuit notre consœur, qui propose depuis les années 2000 aux vétérinaires et à leurs auxiliaires une formation à la Conduite accompagnée du chien5, méthode validée scientifiquement au travers d’une thèse de doctorat en sciences de l’éducation. « Celle-ci permet de considérer avec autant de respect et d’efficacité, le chien, les humains qui vivent avec, et les professionnels qui accompagnent ou qui soignent, pour le bien-être durable de tous. » Le logiciel Evaleha (“évaluation environnement-homme-animal”) « permet de récolter des informations utiles pour chaque cas étudié, aussi bien en prévention, qu’en rattrapage et en rééducation. »

Éducation et médecine du comportement

Les vétérinaires qui détectent un trouble du comportement peuvent également proposer l’aide d’éducateurs. « Les éducateurs canins ou les comportementalistes sont précieux, car ils permettent au vétérinaire de gérer la partie médicale pendant qu’ils gèrent la partie comportementale, affirme Antoine Bouvresse, vétérinaire comportementaliste. Il est important de travailler avec des professionnels en qui nous avons confiance et qui partagent certaines de nos missions. » « Je collabore avec des éducateurs pour accompagner les propriétaires dans l’éducation ou la rééducation de leur chien ou pour réapprendre à un chien les codes du langage avec ses congénères, appuie Muriel Marion. Toutefois, notre consœur ajoute que « le comportement est une discipline médicale, et tous les troubles rencontrés ne sont pas en lien avec un problème d’éducation. Je travaille depuis plusieurs années à créer du lien entre les différentes spécialités de la médecine vétérinaire, pour que l’animal soit abordé dans sa globalité, et que la qualité de vie soit prise en compte, aussi bien en clinique, en hospitalisation notamment, qu’au domicile du propriétaire. Beaucoup de prises en charge médicales peuvent être potentialisées en sachant que la douleur ou certaines maladies sont à l’origine d’anxiété, de stress, ou de comportements gênants secondaires, comme la malpropreté, par exemple. Si d’emblée ces troubles sont prévenus, le chien et son propriétaire peuvent gagner en confort de vie et leur relation n’est pas affectée. »

Appliquer ce type d’approche en clinique

Pour Antoine Bouvresse, l’approche comportementale de chaque animal, quel que soit le type de consultation pour lequel il vient, permet de prendre en compte les facteurs qui le stressent. « Nous avons mis en place la formation Animal Friendly, préventive, après avoir vu l’écart entre les consultations consacrées au comportement et la pratique quotidienne du vétérinaire, explique-t-il. L’observation du comportement de tout chien qui franchit les portes de la clinique fournit au vétérinaire et à son équipe des informations sur son état émotionnel dont ils peuvent se servir pour améliorer la qualité de service. » Par exemple, la salle d’attente et le chenil peuvent être aménagés pour que l’accueil ou l’hospitalisation ne soit pas associés à un moment de stress important, car un animal sensibilisé deviendra difficile à manipuler dès la visite suivante. En consultation, « pour apaiser l’animal, il suffit souvent de le laisser explorer la salle quelques minutes, afin qu’il se familiarise avec l’environnement et le personnel, et de lui donner quelques friandises, pour que la visite se déroule dans le calme », assure notre confrère. Parfois, des animaux accompagnateurs, qui vivent à la clinique peuvent rassurer le chien en consultation ou en hospitalisation. « Le propriétaire est très satisfait de cette approche nouvelle, constate Antoine Bouvresse. Les gens pensent souvent qu’il est normal que leur chien tremble de peur dans une structure médicale, où ils ont l’habitude que leur animal soit contenu de façon musclée ou avec une lacette autour du museau. Le propriétaire est alors agréablement étonné quand nous utilisons des outils pour un ac cueil amical et une consultation agréable, à la fois pour lui, le chien et le vétérinaire. »

Même et surtout avec les chiens agressifs

Face à un chien sensibilisé ou agressif, les méthodes coercitives ne font qu’aggraver le problème. Fréquemment, un chien non dangereux peut avoir acquis une phobie du soin, du vétérinaire ou de sa structure, après un soin douloureux, une approche ou une contention inadaptée du vétérinaire, ou un environnement stressant. « Un nombre élevé de chiens agressifs dans leur clientèle doit interpeller les confrères et les faire s’interroger sur leurs pratiques », indique Antoine Bouvresse. Pour notre confrère, une façon de réduire la sensibilité de l’animal est de le faire venir à la clinique en dehors des consultations, le temps d’une pesée à l’accueil, par exemple, pendant laquelle il reçoit des friandises. « Cela peut changer totalement sa vision de la structure, assure-t-il. Pour les animaux très sensibilisés, des méthodes éducatives de conditionnement comme le meddical training permettent de regagner leur confiance. Les vétérinaires ou les auxiliaires peuvent se former à cette technique, qui est un travail de longue haleine. Ainsi, le temps passé à éviter de sensibiliser un animal lors de la première consultation ou de l’hospitalisation permet d’en gagner et d’améliorer le confort de tous lors des visites suivantes. »

1 Lire page 22 de ce numéro.

2 Société européenne d’éthologie vétérinaire des animaux domestiques.

3 Groupe d’étude en comportement des animaux familiers de l’Association française des vétérinaires pour animaux de compagnie (Afvac).

4 Association vétérinaire de zoopsychiatrie.

5 conduite-accompagnee-chien.fr.

AIDER À COMPRENDRE L’ANIMAL

Nouer ou renouer une relation amicale entre le propriétaire et son chien passe par la transmission des connaissances concernant le langage de l’animal, son monde perceptif et cognitif, afin que la personne appréhende mieux ses réactions et crée un lien positif : « “Le chien mon ami”, c’est fournir aux propriétaires les clés pour comprendre leur chien, interagir avec lui, se donner l’autorisation de l’aimer et de lui montrer, le considérer en tous lieux comme leur meilleur ami », conseille Isabelle Vieira, présidente de la Seevad. Ces conseils peuvent être délivrés aux particuliers comme aux professionnels. Ce peut être le cas d’éleveurs qui souhaitent améliorer leurs pratiques d’élevage, des toiletteurs qui veulent éviter les phobies post-traumatiques, etc. « Souvent, les personnes agissent par méconnaissance ou maladresse, constate Muriel Marion, présidente du Gecaf et vice-présidente de Zoopsy. Les informer sans les juger les incite davantage à modifier leurs pratiques que les accuser. »
Cependant, face à certains propriétaires qui ne sont pas “bientraitants”, le vétérinaire peut se trouver démuni. Dans ce cas, Thierry Bedossa, vétérinaire comportementaliste, partage ses consultations avec une psychologue1, qui prend en charge l’aspect humain. De plus, « certaines personnes sont elles-mêmes trop en souffrance pour avoir la capacité psychologique d’être attentives à cet autre qu’est leur chien, précise notre confrère. Le chien de ces personnes peut également ressentir du mal-être par contagion émotionnelle, dont nous avons des preuves scientifiques. Dans ce sens, la pluridisciplinarité est un aspect majeur pour l’écoute du chien et de l’humain. »
Enfin, alors que la profession prend la voie des pratiques amicales et respectueuses, celles-ci étant enseignées dans les écoles vétérinaires, certains confrères ne sont pas à l’aise avec l’idée d’un chien “ami” ou ne prennent pas le temps d’instaurer une relation amicale avec l’animal. Nathalie Simon, vétérinaire comportementaliste, regrette que la plupart des erreurs éducatives soient préconisées par des professionnels, par exemple, « l’erreur majeure des solutions associées au principe dominant/dominé, précise-t-elle. Le fait que des chiens soient encore pris par la peau du coup est insupportable : la profession doit comprendre qu’il y a d’autres moyens d’agir avec les chiens. » Pour Muriel Marion, « l’incitation positive doit prédominer également avec les vétérinaires. Ils seront plus fidèles à ce qui les a conduits à faire cette profession en étant invités à constater une augmentation du confort de travail pour eux et leur personnel, plutôt qu’en étant jugés. »

1 Voir La Semaine Vétérinaire n° 1697 en page 30.

LE RÔLE CENTRAL DU PRATICIEN

Afin que le propriétaire garde une relation amicale avec son chien, il convient de prévenir, et pas seulement de corriger, certains comportements gênants, et en cela le vétérinaire joue un rôle central. Thierry Bedossa, vétérinaire comportementaliste, nous rappelle que « tout vétérinaire est capable de détecter l’apparition de certains troubles ou de signes de souffrance psychologique sur chacun de ses patients, à tous les âges de leur vie, avant même que le propriétaire s’en aperçoive. Le propriétaire signale en effet un trouble du comportement seulement à partir du moment où il le gêne. »« Le vétérinaire non comportementaliste s’imagine moins compétent en comportement que dans d’autres disciplines médicales. S’il laisse les propriétaires sans réponse, ils iront la chercher auprès d’autres personnes moins légitimes, constate Muriel Marion, présidente du Gecaf et vice-présidente de Zoopsy. Le vétérinaire traitant habituel de l’animal le connaît sous toutes ses facettes et est apte à déterminer si le problème est lié à une maladie, à un défaut d’éducation ou à une non-adéquation de son cadre de vie avec ses besoins. Il peut donner les premiers conseils, traiter ou référer. Il est important que cette première orientation soit centralisée sur notre profession », insiste notre consœur, qui souhaiterait une formation de base en comportement pour tout vétérinaire. Nathalie Simon, vétérinaire comportementaliste, encourage les praticiens à progresser, notamment via la Conduite accompagnée du chien : « Tout vétérinaire peut apprendre rapidement les processus qui mènent potentiellement à l’échec des familles avec leur chien et à s’approprier des outils pour les prévenir. »


CONNAISSANCE ET EXPÉRIENCE

Le vétérinaire peut également référer vers un confrère ou une consœur comportementaliste, « dont le parcours d’acquisition d’une capacité à modifier les comportements est de long terme », comme nous l’explique Thierry Bedossa. Selon lui, « la base d’un bon exercice du comportement est la connaissance la plus intime et complète des espèces dont on a la charge, d’abord en lisant les derniers articles des revues scientifiques internationales de nombreuses disciplines, comme l’éthologie appliquée, notamment. » Toutefois, pour notre confrère, « ne connaître que la science est insuffisant pour se dire expert, de la même manière que la seule connaissance empirique acquise par un éducateur de chiens, par exemple, ne lui suffit pas pour un exercice scientifique. Ainsi, il convient d’avoir des connaissances expérientielles approfondies, qui ne peuvent être acquises qu’en vivant au contact permanent d’un grand nombre d’animaux de l’espèce pour laquelle nous revendiquons une expertise. Nous ne pouvons pas nous limiter au contact des seuls chiens qui viennent dans nos cabinets. De plus, savoir comment entraîner un individu s’acquiert sur le terrain, avec les éducateurs, et nous ne pouvons pas faire passer le message d’une relation amicale si nous ne la pratiquons pas nous-mêmes. »

DES AVANTAGES AUSSI POUR LE VÉTÉRINAIRE

Aborder le chien de façon amicale en structure ne favorise pas que le bien-être des chiens.« L’intérêt pour le vétérinaire est multiple, explique Antoine Bouvresse, vétérinaire comportementaliste. Il prodigue un soin de meilleure qualité à un chien qui n’est pas stressé. De plus, il diminue le nombre d’animaux agressifs et cela change son quotidien et celui de son équipe, et augmente la qualité de son travail. Enfin, il améliore son image auprès des propriétaires, qui apprécient la façon dont leur animal est traité, et cela est irremplaçable pour les fidéliser. » « Un vétérinaire n’a aucun intérêt à user de la force avec un chien, à la fois pour ne pas déplaire au propriétaire et pour ne pas se mettre en danger », confirme Isabelle Vieira, vétérinaire comportementaliste. Elle explique que, par exemple, un chien peut grogner face à une personne qui s’approche de lui pour lui montrer qu’il n’est pas à l’aise et lui demander de reculer. Si elle lui met une tape, elle gagne le conflit qu’elle a elle-même amorcé et le chien arrête de grogner, mais cela confirme à l’animal que cette personne est “non-amicale” ou dangereuse, et la fois suivante, il la mordra sans prévenir. « Il est ainsi contre-productif de vouloir gagner un conflit. Il vaut mieux le désamorcer et tenter de comprendre l’animal », conclut notre consœur.

L’ÉTHOLOGIE AU SERVICE DE L’ENSEIGNEMENT

L’évolution des connaissances éthologiques a fait changer notre regard sur le chien en nous apportant une meilleure compréhension de son comportement et de ses besoins, et a fait évoluer l’enseignement », déclare Catherine Escriou, maître de conférences en neurologie et éthologie à VetAgro Sup. Notamment, la profession a pris conscience de la contre-productivité des approches aversives, qui créent la peur et l’agressivité. « Nous voulons désormais instaurer une relation harmonieuse avec le chien, qui respecte ses besoins, poursuit notre consœur. Les écoles vétérinaires ont développé l’enseignement de l’éthologie fondamentale et du bien-être animal, qui permettent de sensibiliser les étudiants, dès la 1re année, au mode de fonctionnement du chien, au respect de son comportement et de son bien-être, et à l’importance d’une relation positive. L’éthologie clinique leur apprend ensuite à appliquer ces notions dans le cadre médical. » Ainsi, VetAgro Sup met en place un enseignement personnalisé de “soins sans stress”, afin d’apprendre aux étudiants à limiter au maximum le stress induit par la manipulation et l’environnement clinique et à s’adapter à la personnalité et aux émotions de l’animal. Lors des exercices pratiques en salle de simulation, ces notions sont également abordées à travers des situations concrètes comme l’installation et l’abord de l’animal dans une cage. En consultation d’éthologie clinique, l’étudiant apprend à comprendre et à reconnaître la part des contraintes excessives du milieu de vie dans la genèse des comportements gênants et/ou dangereux du chien, et en particulier l’impact d’une relation aversive et coercitive avec l’homme. Cela l’incite à utiliser une approche plus positive et adaptée aux spécificités individuelles.
À chaque fois, l’approche de l’animal repose sur des interactions positives. « Une relation se construit sur la sommation des différentes interactions avec l’être humain : si elles sont positives, une confiance s’instaure, et l’animal se laisse mieux manipuler, explique Catherine Escriou. Par exemple, lorsqu’un chien a peur et semble menaçant, on essaie d’éviter en première intention des moyens coercitifs, sources de stress supplémentaire : le lâcher dans la salle, adopter une communication apaisante, lui proposer des récompenses permet le plus souvent d’instaurer cette relation de confiance indispensable à l’exercice du soin dans l’intérêt de l’animal, mais également du praticien.
Enfin, les étudiants sont encouragés à travailler et à développer cette approche amicale avec leur chien personnel, ce qui leur permet de mieux aborder les chiens des autres. »
Notre consœur précise que « ce travail est encadré par notre comité d’éthique et encouragé par nos directions. Des thèses sur le développement des soins sans stress au Chuvac1 sont en cours de réalisation. Le but est d’aller vers une labellisation de la prise en charge médicale la plus respectueuse possible du chien. Elle répond à une demande sociétale forte, et va dans le sens de l’intérêt de tous. »

1 Centre hospitalier universitaire vétérinaire des animaux de compagnie de Toulouse.