CHIRURGIE
PRATIQUE CANINE
L'ACTU
Auteur(s) : PROPOS RECUEILLIS PAR LORENZA RICHARD
En juin, des confrères ont annoncé avoir réalisé la première greffe rénale chez un chat 1 en France. C’est le cas en clinique vétérinaire privée. Cette intervention est également pratiquée à l’école vétérinaire de Nantes. Entretien avec Jack-Yves Deschamps, professeur en urgences-soins intensifs à Oniris.
Quand avez-vous réalisé la première greffe de rein chez un chat ?
Jack-Yves Descamps : Notre première transplantation rénale a été réalisée en 2007 chez un chien rottweiler en insuffisance rénale chronique (IRC) terminale dont la créatininémie était supérieure à 100 mg/l. Elle a été effectuée grâce à l’expertise bénévole d’un ami urologue du centre hospitalier universitaire, le Dr Pascal Glémain, qui réalise fréquemment des transplantations rénales chez l’homme. Le lendemain de l’intervention, la créatininémie était normale. Le chien est toutefois mort en quelques jours en raison d’une intolérance aux immunosuppresseurs. L’année suivante, nous avons transplanté notre premier chat avec davantage de succès, mais la survie n’a été que de quelques mois.
Combien de chirurgies de ce type réalisez-vous ?
J.-Y. D. : Nous réalisons en moyenne une transplantation rénale par an. Nous ne greffons pratiquement plus les chiens. Bien que la chirurgie soit plus délicate chez le chat en raison de la petitesse des vaisseaux et de l’uretère, il est un meilleur candidat car la prévention du rejet est plus facile à gérer et les résultats sont donc nettement supérieurs.
Quel est votre taux de réussite ?
J.-Y. D. : Je ne veux pas donner de chiffre en termes de survie. Chaque cas est différent et nous n’avons pas assez de cas traités pour donner des tendances. De plus, quand nous débutions, nous étions enclins à opérer des animaux moribonds qui n’avaient rien à perdre, mais ce n’est pas une bonne attitude. Nous nous gardons d’un excès d’optimisme. Une survie de 1 an est l’objectif annoncé et de 3 ans serait un grand succès. Cela peut paraître peu, mais beaucoup d’actes lourds ne sont pas associés à une meilleure espérance de vie.
Pour quelles indications cliniques pratiquez-vous la transplantation rénale ?
J.-Y. D. : Cette intervention est le traitement de l’IRC avancée, soit congénitale, soit due à une néphrite tubulo-interstitielle chronique prématurée, soit consécutive à des lithiases. Elle n’est pas indiquée pour les premiers stades de l’IRC, car l’espérance de vie est encore significative avec un traitement diététique et médical. Au stade IV de l’IRC, quand la créatininémie dépasse 50 mg/l, l’espérance de vie moyenne chute à quelques semaines à quelques mois. L’intervention devient indiquée et le préjudice est moindre en cas d’échec. Cependant, si l’IRC est trop avancée (créatininémie supérieure à 80 mg/l), le postopératoire est plus difficile et les résultats sont moins bons. Une dialyse préopératoire augmente les chances de succès, mais elle alourdit la procédure et le coût. Sa nécessité sous-entend que l’indication chirurgicale a été posée trop tardivement. Les affections intercurrentes graves comme une cardiomyopathie, un cancer, une infection par le FeLV ou le FIV2 sont des contre-indications. L’âge n’en est pas une.
Comment choisissez-vous les receveurs ?
J.-Y. D. : Le chat receveur doit être suffisamment docile pour que le vétérinaire puisse réaliser des soins et que le propriétaire puisse administrer des médicaments. Ce dernier doit être motivé et conscient des efforts à fournir par rapport au coût de l’intervention, de traitement et de suivi. Nous recevons des sollicitations toutes les semaines. Il faut être honnête et ne pas engager une personne qui n’a pas compris les enjeux vers une procédure aussi lourde. Nous imposons un délai de réflexion d’une semaine pour ne pas prendre de décision hâtive dans une période de fragilité. La plupart des personnes qui nous sollicitent pour une transplantation rénale ne vont pas au bout de leur démarche, il leur a fallu le temps de l’acceptation du deuil à venir.
Quel est le suivi du receveur ?
J.-Y. D. : En postopératoire immédiat, l’urémie et de la créatininémie peuvent se normaliser dans les 24 heures. L’échographie doppler confirme la bonne vascularisation du greffon qu’avait laissé prévoir la reprise de la diurèse peropératoire. Pour éviter le rejet de greffe, le receveur prend un traitement immunosuppresseur toute sa vie, à base de prednisolone, de ciclosporine et éventuellement de mycophénolate mofétil (Cellcept®3).
Comment sont choisis les animaux donneurs ?
J.-Y. D. : Le seul critère immunologique recherché est l’identité du groupe sanguin du donneur et du receveur. La majorité des chats européens étant du groupe sanguin A (90 %), un chat du groupe B a une probabilité beaucoup plus faible de bénéficier d’un donneur compatible. La pratique la plus classique aux États-Unis consiste à prélever le rein d’un chat sain, soit de l’entourage du propriétaire du receveur, soit appartenant à un refuge que le propriétaire du receveur s’engage à adopter. Cela s’apparente au prélèvement sur donneur vivant en médecine humaine, c’est-à-dire sur un membre de la famille qui n’est pas en état de mort cérébrale, qui ne subira que ce prélèvement, et qui survivra à l’intervention.
Notre pratique consiste à recourir à des donneurs qui doivent être euthanasiés. Il s’agit, par exemple, de chats insuffisants cardiaques à un stade avancé, atteints de lipidose hépatique grave, de fracture du rachis, de traumatisme crânien, etc. Les animaux atteints d’une maladie infectieuse ou d’une tumeur sont récusés. L’euthanasie doit être indiscutable pour éviter les biais de recrutement. Un consentement du propriétaire du donneur est obligatoire. Cela s’apparente à la situation la plus classique en médecine humaine, celle d’une personne à cœur battant mais en état de mort cérébrale qui subira un prélèvement et ne sera pas réveillé. L’inconvénient est la rareté des donneurs, comme en médecine humaine.
La transplantation pose-t-elle un problème éthique ?
J.-Y. D. : Comme toutes nos pratiques, de la vaccination à la transplantation rénale en passant par la stérilisation des animaux pour notre confort, tout acte vétérinaire pose des questions éthiques. Le choix du donneur est un point crucial. Il ne s’agit pas d’un don mais d’un prélèvement ; l’animal ne donne rien, on lui prend. La technique faisant appel à un donneur à adopter permet de sauver une vie, même si elle prive l’animal d’un organe, et celle faisant appel à un donneur qui va être euthanasié évite un préjudice à un animal sain amené à vivre.
La réalisation récente de la transplantation rénale en région lyonnaise et ses répercussions médiatiques a suscité autant d’indignations que d’admiration. Ce qui passe pour un exploit chez l’homme est considéré comme de l’acharnement thérapeutique chez l’animal. On s’indigne de prélever un organe dont on peut se passer (on vit très bien avec un seul rein) pour sauver une vie, mais on admet sans problème la stérilisation qui n’a pas toujours un but thérapeutique.
Formez-vous les étudiants ou des confrères installés à cette technique ?
J.-Y. D. : J’expose les principes et la technique aux étudiants nantais depuis 10 ans, à la fin de mon cours sur l’IRC. Un polycopié détaillant la technique leur est distribué à titre d’information. Nous ne prévoyons pas de former des confrères. L’intervention, complexe, nécessite de l’apprentissage et de la pratique. La technique n’est pas insurmontable, mais il convient de gérer les imprévus (artères surnuméraires, vaisseaux courts ou lésés, uretère abîmé, etc.). À ce jour, nous ne réaliserions pas cette intervention sans un urologue à nos côtés. De plus, la réanimation nécessite un service de soins intensifs performant.
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1 Voir La Semaine Vétérinaire n° 1815 du 28/6/2019, pages 18 et 19.
2 Virus de la leucose féline, virus d’immunodéficience féline.
3 Pharmacopée humaine.