Comment accompagner le deuil ? - La Semaine Vétérinaire n° 1824 du 04/10/2019
La Semaine Vétérinaire n° 1824 du 04/10/2019

DOSSIER

Auteur(s) : CHANTAL BÉRAUD 

Dans leur pratique, les vétérinaires praticiens se trouvent souvent en présence de propriétaires très demandeurs de soutien, que ce soit durant la période de maladie, pendant l’euthanasie ou après la mort de leur animal de compagnie. Des professionnels expliquent quel savoir-faire, mais aussi quel savoir-être ils développent pour aider tant l’animal que son propriétaire lors de ces moments clés.

La mort de l’animal de compagnie ». C’est le sujet de thèse vétérinaire soutenue en 2003 par Laure Le Bail (A 03). Aujourd’hui, elle commente ainsi son choix : « À l’école vétérinaire de Maisons-Alfort, nous avions en effet étudié l’euthanasie d’un point de vue “mécanique”. J’ai souhaité, en plus, savoir quel pouvait être le rôle du vétérinaire auprès du propriétaire durant ce moment clé ». Y a-t-il des clients “fragiles”, auxquels elle fait justement aujourd’hui plus particulièrement attention dans sa clientèle parisienne actuelle ? « Pour certaines personnes âgées qui vivent seules avec leur animal, sa mort entraîne effectivement un déchirement absolu. Si l’on vient de vivre le deuil d’un proche, cela peut aussi réveiller des souffrances. Parfois, l’animal a également appartenu à un parent aujourd’hui disparu… Mon comportement doit donc s’adapter à chaque cas individuel. Certaines personnes ressentent le besoin d’être tenues dans mes bras après l’euthanasie. Être tactile peut aider. Mais le vétérinaire ne doit pas se forcer à accomplir de tels gestes d’empathie, qui sont de fait innés : ces moments ne se calculent pas, ils se vivent, ou pas, grâce aux liens tissés antérieurement avec sa clientèle. » Quand le vétérinaire connaît aussi bien les propriétaires que leurs animaux, son rôle est plus facile à évaluer, puisque, pour chacun, il dispose d’informations sur son histoire, son vécu, sa sensibilité, son degré d’attachement à l’animal…

« Après certaines euthanasies, il m’arrive de pleurer, renchérit son confrère parisien, Frantz Cappé (A 94). Mais je ne le fais pas en présence des propriétaires. Avec eux, j’essaie d’avoir un discours apaisant, rassurant : le vétérinaire développe un savoir-être et un savoir-faire au fil des années. Par exemple, je prends bien soin de leur expliquer en détail ce qui va se passer. L’organisation pratique des lieux a également de l’importance : dans ces circonstances, l’accueil se fait dans une salle isolée, sans téléphone. Selon sa taille, les propriétaires prennent le chien avec eux dans leurs bras, ou il y a un cousin pour qu’il se couche à leurs pieds. L’animal n’est donc pas endormi sur une table métallique froide. J’utilise aussi des hormones volatiles pour le calmer. »

Une dernière image « rassurante »

« Enfin, poursuit Frantz Cappé, si les propriétaires désirent voir le cadavre, j’ai placé le chien en boule, de manière à ce qu’ils en conservent une dernière image rassurante. Comme mes clients font majoritairement le choix d’une incinération, afin qu’ils ne repartent pas les mains vides, je leur donne parfois une touffe de poils. Ou bien une empreinte de patte dans un moulage ». Et Laure Le Bail d’ajouter : « En fait, il faut aller au rythme propre à chaque propriétaire. C’est une consultation où il n’y a pas de protocole systématique à appliquer. Grâce à ma pratique, je me suis aperçue que de nombreux propriétaires sont choqués si on leur parle du devenir du corps de leur animal avant même son décès. Par conséquent, il m’arrive régulièrement de leur faire effectuer ce choix seulement après l’acte d’euthanasie. »

Pour Frantz Cappé, c’est bien le vétérinaire qui est le professionnel le mieux à même d’aider le propriétaire tout au long de cette épreuve délicate. « Dans ma clinique, j’ai commencé par mettre un petit dépliant explicatif, traitant de la mort de l’animal de compagnie. Je me suis aperçu que c’était le document qui était le plus pris par mes clients, mais dont ils me parlaient le moins ! Car s’exprimer sur ce genre d’événement peut être au départ très difficile. Me rendant ensuite compte qu’il n’existait aucun livre grand pu blic écrit sur le sujet par un vétérinaire, j’ai eu envie de publier, il y a deux ans, un ouvrage intitulé Mon chat, mon chien va partir. »

« Le vétérinaire doit comprendre que son client a mal ! »

Antoine Fournillier, praticien mixte à Soumoulou (Pyrénées-Atlantiques), est aussi intimement convaincu de l’utilité du vétérinaire dans un tel moment : « Quelque part, accompagner l’animal dans sa mort, c’est “facile”. Gérer les émotions des propriétaires est plus compliqué ». Sorti de Liège (Belgique) en 2010, il a été très positivement marqué par l’intervention de 1 heure, sur le thème de l’euthanasie, du Pr Henrotaux, qui a « transformé » l’étudiant qu’il était alors… Aujourd’hui, avec ses années de pratique, il juge que « la mort de l’animal de compagnie est souvent une vraie croix à porter pour les maîtres. Le vétérinaire doit comprendre qu’ils ont mal ! » Il les aide donc, s’il le faut, à exprimer leur chagrin en leur disant, par exemple : « Non, ce n’est pas juste un animal… C’est un être vivant qui vous a accompagné au quotidien. Vous allez devoir passer par un deuil. Personnellement, j’ai toujours pleuré comme une madeleine quand mes chats mourraient… » Autres “détails” qui comptent énormément dans de tels moments : se rendre disponible, prendre du temps…

Des messages de réconfort

Dans sa thèse, Laure Le Bail note que, « par la suite, une note de condoléances est la bienvenue. Les maîtres sont souvent émus d’un tel courrier, s’il est envoyé seul (et non avec la facture !). Beaucoup espèrent ce geste de la part de leur vétérinaire. Car les maîtres n’ont pas d’autre réconfort que celui de leur vétérinaire, ils ne trouvent souvent pas de véritable autre soutien dans leur entourage. » Néanmoins, selon elle, les vétérinaires ont des avis très divers sur cette question et sont nombreux à craindre que ce geste n’apparaisse commercial. « Ils ont souvent du mal à rédiger un tel courrier. Il suffit pourtant que cette lettre résume ce que le clinicien a déjà dit de vive voix, c’est-à-dire l’assurance qu’ils ont fait le maximum, et si une euthanasie a eu lieu, que c’était le meilleur choix possible. Cette missive peut également leur redire la possibilité qu’ils ont de venir en discuter, ou de téléphoner. Pour la terminer, il est bienvenu que le vétérinaire affirme qu’il comprend leur chagrin et que leur peine est partagée. » « Dans notre clinique, nous avons rédigé trois modèles de lettres types, commente Antoine Fournillier. Elles sont toutes écrites à la main, par les auxiliaires spécialisés vétérinaires. Comme j’ai parfois eu des confrères un peu réticents qui trouvaient “qu’un chien est un chien” et que l’intitulé “lettres de condoléances” gênait par sa connotation trop humaine, nous les nommons désormais “lettres d’empathie” ! Elles sont signées par l’équipe de la clinique vétérinaire. Après l’euthanasie, il arrive parfois aux vétérinaires de recevoir des petits mots de remerciements, voire des petits cadeaux. Néanmoins, constate aussi Laure Le Bail, « d’autres maîtres ne nous revoient jamais, car c’est trop dur pour eux de revenir sur les lieux mêmes où s’est déroulée l’euthanasie. Ceci dit, la mort de l’animal est le moment le plus fort de la relation entre le propriétaire et son vétérinaire ». Et Antoine Fournillier de conclure par une citation d’un de ses patrons qui l’a marqué : « Il m’a dit que les consultations à réussir étaient la première et la dernière ! C’est tellement vrai… ».

« UN CADRE FAVORABLE POUR ACCOMPAGNER LA DÉCISION DE FIN DE VIE »

Thierry Poitte, praticien canin sur l’île de Ré, a mis en place des consultations douleur. Il témoigne du bien-fondé de cette démarche pour évaluer ce que l’animal peut supporter et prendre les décisions adéquates. Fondateur du réseau CAP douleur, Thierry Poitte (T 83) accompagne les maîtres « pour faire le point », dans l’évaluation d’une “voie du milieu”, qui préserve les chances de vie de l’animal, sans tomber dans de l’acharnement thérapeutique. Car pour bien faire son deuil, il est capital pour un propriétaire d’être certain d’avoir agi comme il convient au cours de la phase de maladie, tout comme lors des derniers moments de l’animal. « Durant la consultation douleur, j’écoute puis discute avec les propriétaires, afin que l’euthanasie ne se programme pas trop tard, témoigne le praticien installé sur l’île de Ré (Charente-Maritime). Mais il ne faut pas non plus qu’ils aient l’impression d’avoir pris cette décision trop tôt ! D’autant plus que le vétérinaire dispose aujourd’hui d’un arsenal thérapeutique qui s’est considérablement étoffé, comme les solutions antalgiques à domicile. »


DÉTERMINER S’IL SOUFFRE

Ce principe, le praticien l’illustre via le récit d’une consultation douleur toute récente : « Des propriétaires, très attachés à leur chien, m’ont amené leur beauceron de 16 ans. Ils voulaient savoir s’il souffrait. Il est doté d’un harnais de soutien car parfois les postérieurs se croisent, il présente de l’incontinence et quelques troubles cognitifs… Je les ai interrogés aussi sur le vécu douloureux de leur animal, ses conditions de vie dans son environnement. C’est de la médecine narrative qui permet l’interprétation des observations du propriétaire. » Pour déterminer si le handicap s’accompagne ou non de douleurs chroniques insupportables, Thierry Poitte a en effet besoin de savoir comment l’animal se comporte au quotidien : est-il anxieux, avec des moments d’agressivité ? Se fait-il des plaies de léchage ? Semble-t-il même avoir peur d’avoir mal ? Comment est son sommeil : gémit-il ou bien a-t-il tendance à inverser le jour et la nuit ? « Je demande aussi aux propriétaires quelles interactions ils conservent avec leur animal, ce qui se passe dans les regards, les postures… Semble-t-il déprimé ? Si c’est un chat : fuit-il constamment ? L’animal se laisse-t-il aussi encore caresser, ou est-il devenu hypersensible au toucher ? ». Des questions posées « en employant un certain ton, tout en prenant un temps suffisant d’écoute, pour obtenir des réponses sur les liens entre douleur chronique, émotions, cognition et mal-être ». Par ailleurs, le praticien effectue « un examen manuel attentionné », en veillant cependant « à ne pas ajouter de la douleur à la douleur ». Et il remplit les grilles d’évaluation de la méthode Dolodog-Dolocat ou de qualité de vie.


UN ACCOMPAGNEMENT EN CONSCIENCE

Avec le vétérinaire, les propriétaires sont ainsi à même d’évaluer la douleur, parfois masquée, de leur animal. Une mise au point, ensemble, en une ou plusieurs étapes, qui conduit à différentes solutions : traitement individualisé ou non avec la préservation de la qualité de vie de l’animal comme objectif essentiel. Cette consultation douleur constitue donc un réel accompagnement de fin de vie, qui permet certainement à nombre de propriétaires de décider ainsi avec leur vétérinaire, après réflexion et en pleine conscience, de quand “endormir” l’animal. En éprouvant moins de culpabilité ou de regrets, toutes conditions propices à l’entrée ensuite dans un processus de deuil vraisemblablement davantage apaisé…

“ C’est grâce au temps, à la pratique et à l’observation que le vétérinaire devient capable de s’adapter au propriétaire de chaque animal, lors d’une euthanasie ”
Laure Le Bail (A 03)

TÉMOIGNAGE 

« MES CLIENTS PRÉFÈRENT RESTER PRÉSENTS JUSQU’AU BOUT »

Dans sa pratique, Myriam Colot constate que la plupart des propriétaires souhaitent accompagner l’animal durant l’euthanasie. Elle explique comment le vétérinaire doit être aussi à leurs côtés à travers toutes ses attentions.
Pourquoi certains vétérinaires empêchent-ils les propriétaires d’être là jusqu’au bout ? « Le vétérinaire, dans ce processus, doit être capable d’accueillir les pleurs, voire les cris des gens, explique Myriam Colot (L 95). C’est donc une tâche difficile. Je ne peux pas dire que j’aime pratiquer une euthanasie, mais plutôt que j’aime la faire bien… En agissant ainsi, on aide beaucoup les propriétaires, et c’est gratifiant. »

Des angoisses
Car, à l’inverse, en empêchant un propriétaire d’assister à l’euthanasie, on déclenche souvent chez lui des questionnements, des angoisses, du genre : est-ce que l’animal a souffert ? L’a-t-on bien traité ? Qu’ont-ils fait du corps ? Va-t-il vraiment être incinéré, ne va-t-il pas servir pour l’expérimentation animale ? En bref, les propriétaires – qui en grande majorité demandent à rester présents jusqu’au bout – ont besoin d’être rassurés.
Quand cela lui semble nécessaire, Myriam Colot rappelle aussi par téléphone certaines personnes endeuillées, dans les semaines qui suivent l’euthanasie. Pourquoi ? « Parce qu’il existe des attachements terribles, parfois hors normes, entre un homme et un animal ! Certains animaux ont, par leur présence, été capables de faire sortir leur propriétaire d’une dépression, l’ont empêché de se suicider, etc. Dans ce cas, l’animal est un véritable médicament ! » Mais si le deuil lui semble devenir pathologique, elle encourage le maître à aller consulter le médecin généraliste…

Un animal de remplacement
Elle constate aussi que beaucoup de propriétaires veulent reprendre un autre animal tout de suite après l’euthanasie ou que des membres de leur famille pensent les aider en agissant ainsi. « C’est ce que l’on nomme le chien de remplacement, analyse Myriam Colot. Cette attitude, qui vient masquer un chagrin, entraîne souvent des troubles de comportement chez le chien adulte. Par exemple, ce nouveau chiot (qui fait forcément plein de bêtises) est comparé à l’autre animal (souvent âgé, donc plus calme), et les gens ont tendance inconsciemment à le rejeter ! Lors des premiers vaccins, quand je repère qu’un propriétaire a du mal à s’attacher à son nouveau chien, je lui explique avec franchise que ce manque d’amour est normal, que l’attachement peut prendre du temps… Cela crée à tous les coups un électrochoc chez le propriétaire, qui découvre soudain son chiot, chiot auquel il est en train de faire du mal en le rejetant ! Je sais que mes propos ont porté leur fruit si, quelques semaines plus tard, je revois un maître qui ne fait plus aucun reproche à son chiot et qui, même, lui trouve plein de qualités ». Généralement, Myriam Colot conseille donc d’attendre au minimum quelques mois avant d’acquérir un autre animal. En en choisissant un si possible différent de celui qui vient de mourir. Donc, en optant de manière préférentielle pour une nouvelle race et une autre couleur.

“ Après la mort de l’animal, nous adressons des “lettres d’empathie” aux propriétaires endeuillés. ”
Antoine Fournillier (Liège 10)