CONFÉRENCE
PRATIQUE CANINE
Formation
Auteur(s) : AMANDINE CLÉMENT
La rupture du ligament croisé cranial est la cause la plus fréquente de boiterie du membre postérieur chez le chien. L’origine est variable et sa prise en charge doit être rigoureuse pour proposer un traitement optimal. Le recueil attentif des commémoratifs est important car la physiopathologie distingue trois groupes distincts. L’origine dégénérative progressive est le cas de figure le plus fréquent. Aucune origine spécifique n’a été établie scientifiquement, malgré les nombreuses hypothèses avancées (pente du plateau tibial, obésité et manque d’exercice, médiation immune, prédisposition raciale et héréditaire, etc.). Les propriétaires ne rapportent pas d’événement traumatique, une prédisposition des chiens sédentaires et en surpoids est notée. La même lésion sur le membre controlatéral est fréquente et observée dans les 6 à 12 mois chez les races prédisposées (48 % des cas chez le labrador). Chez le jeune en croissance, il ne s’agit pas d’une rupture, mais d’une avulsion du ligament croisé cranial au niveau de son insertion tibiale ou fémorale. Le traitement chirurgical consiste en une ostéosynthèse du fragment osseux rompu si la taille le permet. Chez le chien sportif, il s’agit d’une entorse grave du grasset d’origine traumatique. Elle peut être associée à d’autres lésions ligamentaires à opérer (ligament collatéral médial, ligament croisé caudal).
Examen clinique et orthopédique
Le vétérinaire note la présence d’amyotrophie, de gonflement articulaire, de douleur lors des mouvements de flexion et d’extension. Dans les cas aigus, un épanchement synovial est fréquent, la douleur à l’extension du grasset l’accompagne. Dans les cas chroniques, une amyotrophie du quadriceps va souvent de pair avec un épaississement capsulaire médial. Le signe du tiroir direct peut être difficile à exécuter sur un animal vigile à cause de la douleur et de la contracture musculaire. Une sédation est alors utile pour objectiver une avancée du plateau tibial (elle peut néanmoins être absente en cas de rupture partielle). Le signe du tiroir indirect, ou signe de compression tibiale, mime la position du membre lorsqu’il est posé au sol lors de la marche. Ce test est mieux toléré par les animaux vigiles. Une lésion méniscale (de la déchirure simple à la dégénérescence), responsable d’une vive douleur, doit être recherchée et traitée (présente dans 33 à 50 % des cas). Le ménisque médial est le seul concerné. Son bord caudal butte sur le condyle fémoral, ce qui est à l’origine d’un “claquement méniscal” perceptible lors de la manipulation du grasset.
Imagerie médicale (tableau)
Deux vues orthogonales radiographiques standards sont réalisées : une vue de face et une vue de profil avec compression tibiale (signe du tiroir indirect). Les signes évocateurs d’une rupture du ligament croisé cranial sont à la fois directs (des entésophytes ou des fragments osseux chez le jeune chien de moins de 2 ans sont observables aux points d’attache du ligament) et indirects (l’épanchement synovial alerte de façon précoce ; des signes d’arthrose sont perceptibles dès 15 jours après la rupture sous forme d’entésophytes et d’ostéophytes ; la sclérose de l’os sous-chondral, l’angulation du plateau tibial, l’épaississement des tissus mous péri-articulaires, surtout en partie médiale, et le pincement de l’interligne articulaire [lésions méniscales] sur la vue de face sont à rechercher). Les signes observables au scanner sont identiques aux signes radiographiques, mais leur visualisation est plus précise (fragments osseux) du fait de la désuperposition. Sous anesthésie générale, il est possible de pratiquer un examen comparatif exhaustif rapide et précis des autres articulations des membres pelviens en cas de doute sur une affection coexistante ou si la comparaison avec l’articulation controlatérale est souhaitée. L’arthroscanner consiste en des séries de coupes fines en fenêtre osseuse après injection de produit de contraste dilué en intra-articulaire. Il permet une observation des structures ligamentaires et méniscales intra-articulaires par contraste négatif. Le scanner seul n’est pas indiqué pour se substituer à l’examen radiographique. En revanche, le duo scanner-arthroscanner est pertinent, car il permet l’observation des structures intra-articulaires, en particulier la visualisation du ligament croisé antérieur. L’examen d’imagerie par résonance magnétique (IRM) de haut champ, réalisé sous anesthésie générale, dure de 45 min à 1 heure pour une seule zone. Le grasset, positionné en flexion à 90°, est soumis à plusieurs acquisitions dans des plans différents. L’IRM permet une visualisation fine des structures cartilagineuses et ligamentaires. Le ligament croisé cranial rompu totalement ou partiellement est directement observé. Des contusions osseuses caractéristiques, d’apparition précoce, peuvent être détectées à hauteur des zones d’insertion du ligament.
Chirurgie
Le traitement est chirurgical, l’approche médicale et symptomatologique permet de soulager l’animal, mais ne peut pas s’y substituer (instabilité, inflammation, arthrose). Différentes techniques existent. Celle extracapsulaire (dite “de Flo”) convient pour les chiens de moins de 15 kg. L’intracapsulaire (méthode over the top modifiée) est réservée aux cas d’entorse grave du grasset. Les techniques par ostéotomie de nivellement du plateau tibial (TTA, TPLO) sont indiquées pour les chiens de moyen à grand gabarit. Dans ce dernier cas, l’intervention consiste à recréer une pente tibiale de 6° de façon à annuler les forces mécaniques qui s’exercent sur le plateau tibial lors de la marche. Le premier temps consiste en un nettoyage de l’articulation et un traitement des lésions méniscales lors de l’arthrotomie. Puis, l’ostéotomie tibiale est pratiquée et une plaque de TPLO est appliquée. Le chien sort avec un pansement de Robert-Jones modifié et un traitement anti-inflammatoire non stéroïdien per os de 5 jours. La marche en laisse est indiquée pendant 2 mois. Un suivi radiographique est réalisé au cours de la convalescence (classiquement à 1 mois et 2 mois postopératoire), afin de suivre la cicatrisation osseuse, et sera poursuivi jusqu’à ce que cette dernière soit achevée.
Physiothérapie
La rupture du ligament croisé cranial induit de multiples conséquences fonctionnelles pour le membre atteint et au-delà. Parmi elles, l’amyotrophie du muscle quadriceps, la perte de stabilité dynamique, le déficit du contrôle moteur (réflexe ischio-jambier moins important), la diminution de la force verticale d’appui et de la vitesse angulaire du grasset sont fréquents et souvent durables. Elles se manifestent cliniquement par une diminution de la flexion du grasset et/ou du tarse, une rotation externe et/ou une abduction du membre, une asymétrie de la position assise et/ou du dos, des tensions des chaînes musculaires, etc. Le programme de physiothérapie est une rééducation inévitable en médecine humaine (deux séances de kinésithérapie par semaine pendant 4 à 6 mois). En médecine vétérinaire, les objectifs sont la gestion de la douleur, la perte de poids si nécessaire, la lutte contre l’amyotrophie et la récupération de la force musculaire, l’accélération de la remise en charge du membre et la diminution de l’effet de surcharge sur le membre controlatéral. De nombreuses publications attestent de ces effets et du bien-fondé d’une prise en charge rapide en postopératoire, voire dès la phase préopératoire. Solène Favari (DCFvet) préconise la réalisation d’un bilan anatomique et fonctionnel initial dès la sortie de l’hospitalisation. La première phase (J0 - J+15) consiste à contrôler la douleur et la cicatrisation ; le vétérinaire fait appel aux thérapies passives (glace, massages, mouvements passifs doux de faible amplitude) pour rééduquer le grasset, aux mouvements de flexion et d’extension. La deuxième phase (semaines 3 à 16) est l’étape de rééducation fonctionnelle qui emploie des thérapies actives en séance (hydrothérapie, plateaux, ballons d’équilibre, marches spécifiques) associées à des exercices à domicile. Ces séances de 20 min à 1 heures ont lieu une à deux fois par semaine sur une période de 1 à 4 mois. Les animaux bénéficiant d’un accompagnement précoce sont pris en charge pour une durée moyenne de 2 mois (10 séances). Enfin, il est utile d’encourager les propriétaires d’animaux à prendre une assurance, afin de couvrir les frais de cette prise en charge optimale.
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