“Élémentaire, mon cher expert !” - La Semaine Vétérinaire n° 1827 du 25/10/2019
La Semaine Vétérinaire n° 1827 du 25/10/2019

DOSSIER

Auteur(s) : MAUD ROUAULT 

Le vétérinaire peut être sollicité pour des missions d’expertise. Si le domaine des assurances est le plus représenté, il intervient aussi lors d’expertises judiciaires. Compétences, rigueur et sens des responsabilités caractérisent ce secteur d’activité peu connu.

Nous, président de chambre au tribunal de commerce, nommons en qualité d’expert M. X, lequel, parties présentes ou dûment convoquées, aura pour mission… » Dans cette affaire, l’expert est un… vétérinaire ! Comme dans d’autres professions, le vétérinaire peut être amené à mettre certaines de ses compétences au service de l’activité d’expert. Il est même, depuis la loi du 17 juin 1938 relative à l’exercice de la médecine vétérinaire, le seul considéré compétent dans les cas ayant trait aux animaux ou aux denrées issues d’animaux. « La pratique de l’expertise est arrivée de manière fortuite : un assureur que je connaissais m’a confié un dossier, le travail que je lui ai rendu lui a convenu et il a continué à m’en confier d’autres. Comme cela me plaisait, j’ai suivi une formation au bout de quelques années auprès de l’Association francophone des vétérinaires praticien de l’expertise (AFVE) », témoigne Bertrand Pruvost, vétérinaire libéral mixte à la retraite ayant conservé son exercice complémentaire d’expert. Dans sa mission d’expertise, le vétérinaire sera, grâce à ses connaissances particulières dans un domaine, un appui technique pour un commanditaire qui peut être un juge ou un assureur, par exemple. Les questions posées à l’expert dans sa mission le seront dans un but de prise de décision par ce même commanditaire. Ainsi, le rôle de l’expert est toujours uniquement d’apporter un avis factuel technique et non de prendre la décision finale de la solution du litige. « C’est un métier varié, touche-à-tout, témoigne aussi Sandra Pougheon,experte vétérinaire à plein temps dans le cabinet CDH Expertises. Il est souvent possible de s’accorder plus de recul sur les cas, contrairement au vétérinaire traitant. » Elle ajoute : « On aborde aussi des dossiers dans des domaines différents de ceux de l’activité de clinicien, comme les sinistres agroalimentaires, les affaires de fromage ou de lait contaminés… C’est très stimulant ! » À noter que le nombre exact de vétérinaires experts est inconnu à ce jour.

Autopsier, chiffrer les pertes…

L’expertise vétérinaire peut être sollicitée dans de nombreux domaines. Le plus représenté est, de loin, les assurances. Dans ce cas, le commanditaire de l’expert sera un assureur et le rôle de l’expert consistera, le plus souvent, à aider ce dernier à trouver les responsabilités du litige dans le but d’indemnisations financières. C’est le cas dans l’exemple, malheureusement connu par certains confrères et consœurs, de l’assurance responsabilité civile professionnelle (RCP). Si un litige oppose un client au vétérinaire praticien, ce dernier pourra faire marcher sa RCP. Un expert, vétérinaire également, sera alors mandaté pour réaliser l’autopsie de l’animal et déterminer si la responsabilité du vétérinaire traitant est engagée. L’expert pourra également tenir un rôle dans l’estimation du chiffrage des indemnisations. Par exemple, s’il s’agit d’un bovin mort prématurément, il utilisera à la fois ses connaissances du cours du marché de la viande pour savoir combien l’animal en question aurait rapporté à l’éleveur à l’abattoir, mais aussi son expertise en zootechnie. Pourront alors être ajoutées des indemnités sur la lactation interrompue, voire sur les futures gestations perdues si l’animal présentait un haut potentiel génétique.

Un vétérinaire expert peut être également sollicité pour des expertises judiciaires. Ces dernières sont encadrées de manière plus stricte avec des réglementations propres au système de la justice française et relatives à la juridiction concernée. Le cadre législatif qui les entoure porte ainsi sur la désignation de l’expert, notamment son choix par le juge parmi les listes d’experts des cours d’appel ou de cassation sur lesquelles les vétérinaires peuvent demander leur inscription suivant certaines conditions. Un vétérinaire non inscrit peut être mandaté si cela est justifié, par exemple, par une absence d’expert compétent dans un domaine particulier sur la liste. Ces expertises peuvent parfois impressionner les jeunes experts vétérinaires, comme le confie Sandra Pougheon : « Pour être expert judiciaire, il faut avoir une bonne expérience. Parfois, l’ambiance entre les parties est très tendue et les représentants des parties peuvent être virulents. Il faut savoir gérer tout ça. »

Un travail strictement encadré

Un des aspects essentiels de la procédure est qu’elle est encadrée du début à la fin, bien que les règles varient selon le type d’expertise réalisé. L’expert est confrontée au cadre le plus “strict” lorsqu’il intervient dans une expertise judiciaire, ce qu’il peut faire aussi bien dans la juridiction civile, pénale qu’administrative. Les règles sont légèrement plus souples lorsqu’il réalise des missions extra-judiciaires, notamment un arbitrage ou une expertise d’assurance, qui sont des expertises amiables, prévues par les deux parties au sein d’un contrat. C’est ce que Bertand Pruvost explique : « En expertise d’assurance, le formalisme est moins important, mais il faut toujours être strictement rigoureux. À mon avis, il ne faut pas plus de liberté pour la réalisation des expertises, je suis pour une rigueur extrême. Plus on est rigoureux, meilleur est le travail. Il est important de garder en tête que le dossier continue à vivre après nous, chez les assureurs qui le traitent. Avoir un dossier bien ficelé diminue les possibilités de contestations. » Dans une expertise judiciaire, l’attribution de la mission et son déroulement seront également encadrés. L’expert s’engage à respecter le délai qui lui est imparti pour rendre son rapport. De plus, il doit suivre le principe du contradictoire qui est fondamental en droit et qui régit la convocation et la confrontation des parties. La rigueur de la démarche d’expertise implique, de fait, certaines qualités pour le vétérinaire qui la réalise, notamment l’organisation ou la ponctualité dans la restitution des conclusions. La mission sera toujours, que ce soit en matière judiciaire ou non, conclue par un rapport qui répond aux questions posées dans la mission, ni plus ni moins.

Une activité annexe de l’exercice libéral… ou pas

Pour certains vétérinaires, l’expertise représente l’unique activité rémunératrice, soit de manière indépendante, soit en travaillant pour ou avec des réseaux d’experts vétérinaires ou regroupant plusieurs métiers. Ces praticiens ne correspondent pas à la majorité des experts. Pour la plupart d’entre eux, l’expertise correspond à une activité complémentaire d’un exercice libéral indépendant, dans le secteur public, etc. « À mon sens, on ne peut pas vivre correctement uniquement de l’expertise vétérinaire. Il faut qu’elle soit une activité complémentaire, affirme Bertrand Pruvost. Je pense d’ailleurs que cette activité doit être clairement intégrée dans le cabinet, que tout le monde soit d’accord, car elle est chronophage. De plus, les mandants sont de plus en plus exigeants sur les délais pour la réalisation des expertises et la restitution des rapports, donc il faut pouvoir se dégager du temps. » Sandra Pougheon nuance : « Dans mon cabinet, mon collègue et moi, nous ne faisons que de l’expertise. Je pense qu’en France le nombre d’experts qui ne font que ça doit se compter sur “les doigts des deux mains” . On en vit, mais pour un vétérinaire seul, c’est très compliqué de ne faire que ça. » Elle ajoute : « Les assureurs forment des groupes de plus en plus grands, et il faut être capable de répondre à des appels d’offres et de respecter des cahiers des charges de plus en plus importants. Ils veulent un seul interlocuteur qui répartit les expertises par la suite, cela demande beaucoup de démarches et d’investissement, c’est compliqué pour un vétérinaire non rattaché à une société d’expertise. » Reste qu’une partie non négligeable des expertises sont réalisées par des vétérinaires retraités qui continuent à proposer leurs services en tant qu’expert.

Dossier réalisé d’après la thèse d’exercice vétérinaire de Maud Rouault « L’expertise vétérinaire en France en 2017 : établissement bibliographique du cadre législatif et étude des données de terrain », VetAgro Sup, 2018.

LE POINT DE VUE DE CHRISTIAN DIAZ

« Les qualités de l’expert : indépendance, impartialité et objectivité »Vétérinaire exerçant à Balma (Haute-Garonne) et pratiquant l’expertise vétérinaire et la médiation civile près la cour d’appel de Toulouse, Christian Diaz est coresponsable pédagogique du diplôme d’école en droit et expertise vétérinaire de l’ENVT et président de l’Association francophone des vétérinaires praticiens de l’expertise (AFVE). Il décrit le profil type du vétérinaire expert. Le vétérinaire expert se doit, dans un premier temps, de posséder les qualités humaines suivantes : indépendance, impartialité et objectivité. Elles sont indispensables à la réalisation de n’importe quelle expertise, judiciaire ou non, car il faut toujours garder en mémoire que, lorsque l’on rédige le rapport d’une expertise d’assurance, par exemple, ce dernier peut finir par être produit en justice. Ainsi, l’expertise demande au vétérinaire de toujours s’astreindre aux mêmes exigences, peu importe le type d’expertise qu’il réalise. Le vétérinaire expert est également, comme son nom l’indique, une personne d’expérience ayant des compétences précises dans son domaine. Mais attention, expérience ne signifie pas forcément âge, bien que ce dernier constitue encore parfois une condition exigée par les magistrats pour l’inscription sur les listes d’expert auprès des cours d’appel.
L’expertise est exceptionnellement une activité exclusive. Les experts de justice sont des collaborateurs occasionnels du service public de la justice. Les exceptions sont constituées par certains vétérinaires travaillant au sein de réseau d’experts, missionnés par les compagnies d’assurances. L’avènement de ces groupes a favorisé l’installation d’une concurrence certaine dont profitent les donneurs d’ordre et l’activité d’expertise privée est moins rémunérée qu’autrefois, au contraire de l’expertise judiciaire (aux environs de 100 € HT l’heure d’expertise).
Enfin, l’expert vétérinaire n’est malheureusement pas obligatoirement formé à l’expertise, ce qui peut être dommageable dans certaines affaires, lorsque, par exemple, l’expert judiciaire n’est pas au fait des principes fondamentaux de la justice française, comme le principe du contradictoire. Certaines “erreurs”, par défaut de formation, peuvent conduire à l’annulation de l’affaire qu’elles concernent. Ce point est cependant atténué par le fait que l’inscription des vétérinaires sur les listes d’experts judiciaires est aujourd’hui facilitée lorsque ceux-ci ont suivi une formation.

EXEMPLES DE MISSIONS

L’expertise “foudre”
Sur l’ordre de mission transmis à l’expert figure l’identification de la mission (ici, un dommage aux biens), l’émetteur (un assureur), le souscripteur (le propriétaire des animaux), le lieu de l’expertise et les informations sur le sinistre : il s’agit d’une suspicion de foudre sur quatre ovins. La mission qui incombe à l’expert est la suivante : « Merci de vous rendre sur place afin de vérifier si les animaux sont morts foudroyés et d’estimer leur valeur. » Dans ces cas, une autopsie des animaux est souvent effectuée. Pour les fulgurations, il s’agit surtout de ne trouver aucune autre cause pouvant avoir entraîné la mort que la foudre. Les traces nécropsiques de cette dernière sont en effet assez rares. L’expert peut également s’appuyer sur les rapports Météorage qui indiquent si oui ou non, à la date présumée du sinistre, des impacts de foudre ont été notés dans la zone géographique concernée. L’estimation de la valeur des animaux se fait en fonction du type de production, de leur âge, de leur stade de lactation ou de gestation, de leur potentiel génétique, du marché de la viande, etc.

L’expertise judiciaire civile
Une chienne de race bouledogue français est emmenée par ses propriétaires un soir en urgence chez le vétérinaire pour une dystocie. Le praticien réalise une césarienne, qui se passe sans souci. Il en va de même pour la réanimation des chiots. Une fois correctement réveillée, la chienne est laissée pendant la nuit avec ses chiots dans le chenil de la clinique. Le lendemain matin, à l’ouverture, le personnel de la clinique découvre la cage maculée de sang et les chiots ayant été mangés par leur mère. Le propriétaire estime ses pertes en fonction du prix auquel il aurait vendu les chiots (1 500 € par chiot, plus un préjudice moral) et entame une procédure judiciaire contre son vétérinaire. Une expertise est mandatée par le juge et les objets de la mission, auxquels devra répondre l’expert, sont les suivants :
- L’état de la chienne et des chiots était-il compatible avec le fait de la laisser sans surveillance durant la nuit ?
- Les propriétaires étaient-ils correctement informés, en d’autres termes, savaient-ils que la chienne et ses chiots restaient seuls la nuit ?