DOSSIER
Auteur(s) : MAUD ROUAULT
Le vétérinaire peut être sollicité pour des missions d’expertise. Si le domaine des assurances est le plus représenté, il intervient aussi lors d’expertises judiciaires. Compétences, rigueur et sens des responsabilités caractérisent ce secteur d’activité peu connu.
Nous, président de chambre au tribunal de commerce, nommons en qualité d’expert M. X, lequel, parties présentes ou dûment convoquées, aura pour mission… » Dans cette affaire, l’expert est un… vétérinaire ! Comme dans d’autres professions, le vétérinaire peut être amené à mettre certaines de ses compétences au service de l’activité d’expert. Il est même, depuis la loi du 17 juin 1938 relative à l’exercice de la médecine vétérinaire, le seul considéré compétent dans les cas ayant trait aux animaux ou aux denrées issues d’animaux. « La pratique de l’expertise est arrivée de manière fortuite : un assureur que je connaissais m’a confié un dossier, le travail que je lui ai rendu lui a convenu et il a continué à m’en confier d’autres. Comme cela me plaisait, j’ai suivi une formation au bout de quelques années auprès de l’Association francophone des vétérinaires praticien de l’expertise (AFVE) », témoigne Bertrand Pruvost, vétérinaire libéral mixte à la retraite ayant conservé son exercice complémentaire d’expert. Dans sa mission d’expertise, le vétérinaire sera, grâce à ses connaissances particulières dans un domaine, un appui technique pour un commanditaire qui peut être un juge ou un assureur, par exemple. Les questions posées à l’expert dans sa mission le seront dans un but de prise de décision par ce même commanditaire. Ainsi, le rôle de l’expert est toujours uniquement d’apporter un avis factuel technique et non de prendre la décision finale de la solution du litige. « C’est un métier varié, touche-à-tout, témoigne aussi Sandra Pougheon,experte vétérinaire à plein temps dans le cabinet CDH Expertises. Il est souvent possible de s’accorder plus de recul sur les cas, contrairement au vétérinaire traitant. » Elle ajoute : « On aborde aussi des dossiers dans des domaines différents de ceux de l’activité de clinicien, comme les sinistres agroalimentaires, les affaires de fromage ou de lait contaminés… C’est très stimulant ! » À noter que le nombre exact de vétérinaires experts est inconnu à ce jour.
L’expertise vétérinaire peut être sollicitée dans de nombreux domaines. Le plus représenté est, de loin, les assurances. Dans ce cas, le commanditaire de l’expert sera un assureur et le rôle de l’expert consistera, le plus souvent, à aider ce dernier à trouver les responsabilités du litige dans le but d’indemnisations financières. C’est le cas dans l’exemple, malheureusement connu par certains confrères et consœurs, de l’assurance responsabilité civile professionnelle (RCP). Si un litige oppose un client au vétérinaire praticien, ce dernier pourra faire marcher sa RCP. Un expert, vétérinaire également, sera alors mandaté pour réaliser l’autopsie de l’animal et déterminer si la responsabilité du vétérinaire traitant est engagée. L’expert pourra également tenir un rôle dans l’estimation du chiffrage des indemnisations. Par exemple, s’il s’agit d’un bovin mort prématurément, il utilisera à la fois ses connaissances du cours du marché de la viande pour savoir combien l’animal en question aurait rapporté à l’éleveur à l’abattoir, mais aussi son expertise en zootechnie. Pourront alors être ajoutées des indemnités sur la lactation interrompue, voire sur les futures gestations perdues si l’animal présentait un haut potentiel génétique.
Un vétérinaire expert peut être également sollicité pour des expertises judiciaires. Ces dernières sont encadrées de manière plus stricte avec des réglementations propres au système de la justice française et relatives à la juridiction concernée. Le cadre législatif qui les entoure porte ainsi sur la désignation de l’expert, notamment son choix par le juge parmi les listes d’experts des cours d’appel ou de cassation sur lesquelles les vétérinaires peuvent demander leur inscription suivant certaines conditions. Un vétérinaire non inscrit peut être mandaté si cela est justifié, par exemple, par une absence d’expert compétent dans un domaine particulier sur la liste. Ces expertises peuvent parfois impressionner les jeunes experts vétérinaires, comme le confie Sandra Pougheon : « Pour être expert judiciaire, il faut avoir une bonne expérience. Parfois, l’ambiance entre les parties est très tendue et les représentants des parties peuvent être virulents. Il faut savoir gérer tout ça. »
Un des aspects essentiels de la procédure est qu’elle est encadrée du début à la fin, bien que les règles varient selon le type d’expertise réalisé. L’expert est confrontée au cadre le plus “strict” lorsqu’il intervient dans une expertise judiciaire, ce qu’il peut faire aussi bien dans la juridiction civile, pénale qu’administrative. Les règles sont légèrement plus souples lorsqu’il réalise des missions extra-judiciaires, notamment un arbitrage ou une expertise d’assurance, qui sont des expertises amiables, prévues par les deux parties au sein d’un contrat. C’est ce que Bertand Pruvost explique : « En expertise d’assurance, le formalisme est moins important, mais il faut toujours être strictement rigoureux. À mon avis, il ne faut pas plus de liberté pour la réalisation des expertises, je suis pour une rigueur extrême. Plus on est rigoureux, meilleur est le travail. Il est important de garder en tête que le dossier continue à vivre après nous, chez les assureurs qui le traitent. Avoir un dossier bien ficelé diminue les possibilités de contestations. » Dans une expertise judiciaire, l’attribution de la mission et son déroulement seront également encadrés. L’expert s’engage à respecter le délai qui lui est imparti pour rendre son rapport. De plus, il doit suivre le principe du contradictoire qui est fondamental en droit et qui régit la convocation et la confrontation des parties. La rigueur de la démarche d’expertise implique, de fait, certaines qualités pour le vétérinaire qui la réalise, notamment l’organisation ou la ponctualité dans la restitution des conclusions. La mission sera toujours, que ce soit en matière judiciaire ou non, conclue par un rapport qui répond aux questions posées dans la mission, ni plus ni moins.
Pour certains vétérinaires, l’expertise représente l’unique activité rémunératrice, soit de manière indépendante, soit en travaillant pour ou avec des réseaux d’experts vétérinaires ou regroupant plusieurs métiers. Ces praticiens ne correspondent pas à la majorité des experts. Pour la plupart d’entre eux, l’expertise correspond à une activité complémentaire d’un exercice libéral indépendant, dans le secteur public, etc. «
À mon sens, on ne peut pas vivre correctement uniquement de l’expertise vétérinaire. Il faut qu’elle soit une activité complémentaire, affirme Bertrand Pruvost. Je pense d’ailleurs que cette activité doit être clairement intégrée dans le cabinet, que tout le monde soit d’accord, car elle est chronophage. De plus, les mandants sont de plus en plus exigeants sur les délais pour la réalisation des expertises et la restitution des rapports, donc il faut pouvoir se dégager du temps.
» Sandra Pougheon nuance : «
Dans mon cabinet, mon collègue et moi, nous ne faisons que de l’expertise. Je pense qu’en France le nombre d’experts qui ne font que ça doit se compter sur “les doigts des deux mains”
. On en vit, mais pour un vétérinaire seul, c’est très compliqué de ne faire que ça.
» Elle ajoute : « Les assureurs forment des groupes de plus en plus grands, et il faut être capable de répondre à des appels d’offres et de respecter des cahiers des charges de plus en plus importants. Ils veulent un seul interlocuteur qui répartit les expertises par la suite, cela demande beaucoup de démarches et d’investissement, c’est compliqué pour un vétérinaire non rattaché à une société d’expertise.
» Reste qu’une partie non négligeable des expertises sont réalisées par des vétérinaires retraités qui continuent à proposer leurs services en tant qu’expert.
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Dossier réalisé d’après la thèse d’exercice vétérinaire de Maud Rouault « L’expertise vétérinaire en France en 2017 : établissement bibliographique du cadre législatif et étude des données de terrain », VetAgro Sup, 2018.
LE POINT DE VUE DE CHRISTIAN DIAZ
EXEMPLES DE MISSIONS