Prozinc® versus Caninsulin® : match nul - La Semaine Vétérinaire n° 1829 du 08/11/2019
La Semaine Vétérinaire n° 1829 du 08/11/2019

MÉDICAMENT

PRATIQUE CANINE

L'ACTU

Auteur(s) : PROPOS RECUEILLIS PAR VALENTINE CHAMARD  

En mettant sur le marché Prozinc®, insuline à longue durée d’action, Boehringer Ingelheim fait le pari de l’observance avec une injection unique quotidienne. Pourtant, malgré les études précliniques, un retour de terrain sur plusieurs mois sera nécessaire pour appréhender cet argument, d’autant que l’expérience montre que, quel que soit le type d’insuline employé, une injection biquotidienne est préférable pour une stabilisation à long terme.

Lancé en Europe en 2016 avec une indication pour le traitement du diabète sucré du chat, Prozinc® dispose désormais aussi d’une autorisation de mise sur le marché pour le chien depuis juin 2019. Cette insuline recombinante bénéficie d’une absorption retardée et d’une longue durée d’action grâce à l’ajout de protamine et de zinc. « Prozinc ® a montré son efficacité chez le chien en une seule injection quotidienne et présente la plus longue durée d’action des insulines vétérinaires », souligne ainsi Boehringer Ingelheim. Les praticiens ont donc désormais à leur disposition deux insulines pour le chien : Prozinc® et Caninsulin® (MSD), une insuline à action intermédiaire d’origine porcine. Toutes deux s’utilisent en initiation de traitement à la dose de 0,5 à 1 UI/kg, une fois par jour. Éclairage sur la place de ces deux médicaments dans l’arsenal thérapeutique du vétérinaire avec Laëtitia Jaillardon, diplomate ECVCP1, maître de conférences en pathologie clinique et responsable du LDHVet d’Oniris, et Hervé Pouliquen, diplomate ECVPT2, professeur à l’unité de pharmacologie et toxicologie d’Oniris.

Quels sont les retours des études de mise sur le marché en matière d’efficacité de Prozinc ® versus Caninsulin ® ?

Hervé Pouliquen : L’un des essais cliniques a été réalisé en Europe (Allemagne, Pays-Bas, Espagne, France et Suisse) sur plus de 200 chiens diabétiques. Il est surtout comparatif contre Caninsulin® (essai randomisé), l’efficacité étant appréciée sur une période de 84 jours. Les taux de succès, fondés à la fois sur l’amélioration d’au moins un signe clinique et de la glycémie, sont bons, de plus de 80 % pour les deux insulines. Dans cet essai, les taux de succès sont toujours meilleurs chez les chiens diabétiques “naïfs”, qui n’ont pas déjà été traités par une insuline, que chez ceux qui le sont déjà.

Quelles sont les différences pharmaco cinétiques entre Prozinc ® et Caninsulin ® chez le chien ? Y a-t-il de fortes variations individuelles ?

H. P. : Chez les chiens diabétiques (diabète spontané), le pic d’efficacité (glycémie la plus faible) est maximal 8 heures après l’injection de Caninsulin® (n = 17 chiens) contre plus de 9 heures après l’injection de Prozinc® chez 68 % des chiens (n = 245 chiens). La durée de l’efficacité (retour aux valeurs basales chez les chiens diabétiques) est de 16 à 24 heures pour Caninsulin® et de 20 à 24 heures ou plus pour Prozinc®. Dans tous les cas, ces valeurs médianes masquent des écarts très élevés entre chiens.

Laëtitia Jaillardon : L’insuline contenue dans toutes les préparations est sous forme polymérisée par le zinc. Pour qu’elle soit active, l’insuline doit se dépolymériser sous forme de dimères, sans être filtrée au niveau glomérulaire. Cette dépolymérisation dépend de nombreux paramètres : clairances rénale et hépatique, pH sanguin, fonctionnement cardiaque, équilibre hydrominéral, etc. Ce phénomène de dépolymérisation se fait plus ou moins complètement et plus ou moins vite, ce qui explique les durées d’action extrêmement variables d’un animal à l’autre, et pour un animal d’un jour à l’autre, selon son état. Ainsi, les notions de durée d’action (insuline rapide versus intermédiaire versus lente) sont très approximatives, ceci étant particulièrement vrai chez l’animal malade.

Les effets indésirables sont-ils plus marqués avec l’une ou l’autre spécialité ?

H. P. : Dans l’essai clinique comparatif (245 chiens), la prévalence des effets indésirables est élevée dans les deux groupes (Prozinc® et Caninsulin®), de l’ordre de 70 à 80 %. Durant la première période de l’essai de terrain, l’incidence des signes d’hypoglycémie apparaît plus élevée (21,7 % des chiens) et plus tardivement (entre 9 et 13,5 heures) avec Prozinc® qu’avec Caninsulin® (10,1 % et en moyenne 6 heures). Ces effets semblent survenir au moment où l’hypoglycémie est la plus marquée, donc plus tardivement avec Prozinc® qu’avec Caninsulin®. Ces différences entre les deux insulines s’estompent dans la seconde partie de l’essai de 98 jours supplémentaires consacrée à la tolérance, avec presque 20 % de chiens présentant une hypoglycémie.

Prozinc ® autorise-t-il une seule injection quotidienne, tandis que Caninsulin ® précise, dans son résumé des caractéristiques du produit, que « chez la majorité des chiens, la dose journalière doit être ajustée en fractionnant la dose en deux injections réalisées à 12 heures d’intervalle » ?

L. J. : Nous n’avons pas encore assez de recul quant à l’utilisation en clinique de Prozinc® chez le chien. Peu d’études cliniques sont aujourd’hui publiées, ce qui ne permet pas de confirmer ou d’infirmer les résultats des études précliniques de Boehringer Ingelheim. De larges cohortes de chiens diabétiques suivis sur le long terme (au moins 6 mois) sont nécessaires pour évaluer la dose efficace, le nombre d’administrations quotidiennes nécessaires selon le profil des animaux… Toutefois, d’après notre expérience, lorsque l’insuline (quel que soit son type) est administrée une seule fois par jour, une amélioration clinique et biologique satisfaisante de l’animal peut être observée en première intention. Néanmoins, après quelques semaines, cela entraîne souvent des alternances entre hypo- et hyperglycémie préjudiciables à l’état de l’animal. Une administration d’emblée à deux injections par jour est à privilégier en première intention, quelle que soit l’insuline utilisée.

Y a-t-il un intérêt à choisir l’un ou l’autre médicament en première intention ?

L. J. : Prozinc® n’a, pour l’instant, pas fait preuve d’une meilleure efficacité, ni d’une diminution d’effets indésirables par rapport à Caninsulin®. D’un point de vue pratique, le fait que Prozinc® permettrait d’équilibrer un diabète chez le chien avec une seule administration quotidienne reste à évaluer sur de grandes cohortes de chien diabétiques et sur le long terme. Enfin, le coût d’achat d’un flacon de 10 ml de Prozinc® est 30 % supérieur à celui du même flacon de Caninsulin®. Aujourd’hui, il n’existe pas, à mon sens, d’argument vérifié pour choisir Caninsulin® plutôt que Prozinc® en première intention, et inversement.

Pour un animal déjà sous Caninsulin ® , y a-t-il un intérêt à changer d’insuline ?

L. J. : Pour un chien diabétique équilibré cliniquement et biologiquement sous Caninsulin®, aucune raison ne justifie le changement d’insuline. En cas d’échec de l’insulinothérapie, avant d’envisager de changer d’insuline, il s’agit de s’interroger sur les raisons possibles de cet échec : absence de traitement de la cause du diabète (chienne en diœstrus, animal recevant des stéroïdes topiques ou systémiques, obésité, dysendocrinies), mauvais protocole d’administration de l’insuline (conservation, injection), présence d’une hypokaliémie (très fréquente chez les diabétiques et sous insulinothérapie) à l’origine d’une baisse de la sensibilité à l’insuline. Le changement d’insulinothérapie (molécule ou dose) doit s’effectuer après évaluation des variations journalières de la glycémie (au moins quatre prélèvements dans la journée espacés de 2 heures chacun), plus ou moins associée à une courbe d’insulinémie.

Le suivi des chiens diabétiques sous Prozinc ® est-il différent par rapport à ceux sous Caninsulin ® ?

L. J. : Le suivi est le même pour les animaux diabétiques, quel que soit le type d’insuline utilisé. Une première évaluation de l’efficacité clinique et biologique de l’insulinothérapie doit être effectuée 12 jours minimum après le début du traitement (courbe de glycémie). Une mesure de la fructosamine est également un moyen de contrôler l’efficacité de l’insulinothérapie (à réaliser au moins 3 semaines après le début du traitement). Une mesure de la kaliémie est indispensable, car l’insuline agit sur les pompes ATPases Na/K en bloquant le potassium en intracellulaire entraînant une hypokaliémie, cette dernière pouvant par ailleurs être à l’origine d’une diminution de la sensibilité à l’insuline. Plus généralement et quel que soit le type d’insuline, l’insulinothérapie a des risques d’échouer lorsque l’on cherche à équilibrer trop rapidement le diabète, par exemple en modifiant chaque jour la dose d’insuline en fonction d’une seule mesure de la glycémie. Les perturbations métaboliques et endocriniennes ne peuvent se stabiliser en quelques jours. Il faut respecter des paliers de 2 à 3 semaines qui permettent à l’organisme de trouver un nouvel équilibre. Dans le cas contraire, des doses supérieures à 1 UI/kg par injection peuvent être rapidement atteintes, seuil à partir duquel le risque d’insulinorésistance et les effets indésirables potentiels sont gravement augmentés.

1 European College of Veterinary Clinical Pathology.

2 European College of Veterinary Pharmacology and Toxicology.