Collision

D’une puissance singulière, ce récit à vif aimante et bouleverse. Il ouvre une brèche dans la réalité, souvent réduite de nos jours à sa surface visible pour nous convaincre qu’on la maîtrise. Pourfendant les frontières entre les mondes, il réactive la pertinence des mythes face à l’indétermination de notre destin contemporain, il dévoile la fécondité de l’inattendu vers lequel des forces invisibles poussent nos existences incertaines.

Nastassja Martin est anthropologue. Après avoir étudié dix ans l'animisme des chasseurs gwich’in dans une Alaska chamboulée par le réchauffement du climat (donnant lieu à un livre passionnant¹) la chercheuse est partie au Kamchatka (de l’autre côté du détroit de Bering) partager l’existence d’un clan évène, une famille d’éleveurs de rennes retournés, eux aussi, vivre dans la forêt après la chute du bloc soviétique². C’est là que, de plus en plus déroutée par son empathie à l’égard de son “terrain” et des rêves récurrents d’ours, elle entrera littéralement en collision avec l’animal sauvage. De cette rencontre, incroyable et violente, à laquelle par miracle elle survit, l'auteur, meurtrie, va creuser le sens profond, indicible, l’allégorie grâce à laquelle un dialogue avec l’altérité et une renaissance redeviennent possibles. Ce que l’ours a déposé en elle ce jour d’août 2015, la jeune femme l’offre ici dans ce texte habité, étranger à tout romanesque, où les fauves, les rêves et les mythes s’arrachent de leur giron archaïque pour interpeler le présent.
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¹ Les âmes sauvages (2016, La Découverte).

² Voir également sur www.arte.tv jusqu’au 21 novembre : Kamtchatka : un hiver en pays évène, documentaire de 60 min de Mike Magidson et Nastassja Martin où l’on retrouve les protagonistes du livre.

Croire aux fauves de Nastassja Martin, Verticales, 152 pages, 14 x 20,5 cm, 12,50 €.