ANALYSE
PRATIQUE MIXTE
Formation
Auteur(s) : KARIM ADJOU
La cryptosporidiose est une protozoose zoonotique majeure cosmopolite, affectant de nombreuses espèces animales et dont le principal protozoaire responsable est Cryptosporidium parvum. Elle est notamment associée aux diarrhées néonatales chez les jeunes ruminants (veaux, chevreaux, agneaux), surtout au cours des trois premières semaines de vie (photo 1). L’infection se fait principalement par voie orofécale, par ingestion d’oocystes (photo 2), qui sont directement infectants à très faible dose chez les très jeunes ruminants dès leur rejet dans les fèces. Or, cette maladie occasionne des pertes économiques considérables dans les élevages concernés en raison de sa morbidité (allant de 80 à 100 % chez le chevreau) et de sa mortalité élevée. C’est pourquoi, depuis des dizaines d’années, de multiples efforts pour développer des vaccins et des traitements pleinement efficaces ont été réalisés, avec des résultats limités. Les principales difficultés rencontrées reposent sur la position particulière du parasite dans la cellule hôte qui le protège de l’action de nombreux composés chimiques (position ecto-cytoplasmique).
Toutefois, une nouvelle approche thérapeutique et préventive fondée sur l’utilisation des polysaccharides naturels (le chitosan) dans le lait pourrait voir le jour. En effet, le chitosan, polysaccharide naturel, qui provient de la désacétylation des déchets de la pêche (coquilles de crustacés) ou de la production par un champignon (Aspergillus et/ou Saccharomyces), possède de nombreuses propriétés biologiques déjà référencées : activités antitumorales, antimicrobiennes et antifongiques. Une étude1 a ainsi été réalisée afin d’évaluer in vivo son efficacité chez des chevreaux contaminés expérimentalement par C. parvum. Âgés de 1 semaine, ils ont été infectés par voie orale à la dose de 105 à J3. Puis ils ont été séparés en deux lots : un lot témoin (8 chevreaux) maintenu sans intervention médicamenteuse pendant la durée de l’étude et un autre traité dans le lait une fois par jour par 12 g d’Optisaf®, aliment complémentaire diététique contenant des levures et du chitosan mix à la concentration de 20 % à J3, J4, J5, J6, J7, J8, J9. Les oocystes de C. parvum ont ensuite été collectés à partir des matières fécales des chevreaux. Une notation de l’état des matières fécales de 0 à 4 (0 = normales ; 1 : pâteuses ; 2 : liquides ; 3 : liquides ; 4 : très liquides et collées autour de la queue avec présence de sang) a été réalisée. L’état général a aussi été évalué (bonne santé : animal mange, se déplace normalement ; état moyen : animal mange, se déplace, mais est deshydraté ; mauvais état : difficultés à se déplacer, ne mange pas et ne tète pas). De plus, un comptage parasitaire (excrétion fécale ovocystaire) a été effectué sur chaque animal 2 jours après l’infection, puis tous les 2 jours jusqu’au 16e jour par immunofluorescence (photo 3). Enfin, une pesée a été réalisée à J3, J7, J11 et J17.
Dans le groupe “contrôle”, l’état de santé des chevreaux a été maintenu à un niveau moyen jusqu’à J5, des diarrhées (liquides, collées autour de la queue) sont apparues à J4 sur quatre animaux sur huit et l’état de santé des animaux s’est dégradé dès J6 (figure 1). Les animaux ont alors présenté les signes cliniques de la maladie, ils étaient prostrés, les poils raides, ne se déplaçant plus. En parallèle, dans le lot traité, l’état de santé est resté assez bon pour l’ensemble des animaux sur la période de l’étude par rapport aux témoins et seule une phase de diarrhée a été notée sur quelques chevreaux entre J5 et J9 postinfection. De plus, concernant l’excrétion parasitaire, elle était très élevée, avec plusieurs millions d’oocystes par gramme de fèces (figure 2) 4 jours après l’infection. Dans le groupe témoin, une forte augmentation de l’excrétion a été observée à J6 et J8, avec respectivement plus de 66 millions et 106 millions d’oocystes par gramme de fèces, puis le niveau d’excrétion parasitaire a diminué de J10 à J14, à la suite probablement de l’acquisition d’immunité par les animaux (figure 2). A contrario, le groupe “traité” a présenté une excrétion d’oocystes de cryptosporidies moins importante pendant la période de J6 à J10 et il a été enregistré une réduction significative de l’excrétion parasitaire de 69,6 % à J6, puis de 85,72 % à J8 par rapport au lot témoin (p < 0,05). Enfin, un gain de croissance de 30 % a été noté chez les animaux traités, soit une différence significative de 1 kg de poids vif (p < 0,05) avec le lot témoin.
D’après cette étude, il semblerait donc que ce produit naturel puisse constituer une très bonne solution alternative à l’utilisation des antibiotiques, limitant ainsi l’apparition de résistance (ou de multirésistances) aux agents antimicrobiens. Le décalage dans le niveau d’excrétion fécale d’oocystes est un phénomène déjà décrit aux cours d’essais thérapeutiques impliquant d’autres produits, tels que le sulfate de paromomycine ou le lactate d’halofuginone. La supplémentation du lait par de l’Optisaf® contenant du chitosan retarderait donc la multiplication du parasite, diminuerait la gravité des diarrhées et améliorerait la croissance des chevreaux traités (+ 1 kg de poids vif par rapport aux témoins). Ces résultats encourageants et prometteurs ouvrent donc de nouvelles pistes dans la lutte contre la cryptosporidiose animale. Néanmoins, le traitement spécifique doit encore faire la preuve de son efficacité et, dans l’attente d’études complémentaires et de la recherche de nouvelles molécules ou de vaccins innovants et efficaces, l’observance des mesures d’hygiène et de prévention reste le meilleur moyen de lutter contre la propagation de cette maladie cosmopolite dans les élevages.
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1 Unité mixte de recherche de biologie moléculaire et d’immunologie parasitaires (UMR Bipar ; ENVA, Anses, Inra).