ENTRETIEN AVEC JACQUES GUÉRIN
ACTU
Auteur(s) : PROPOS RECUEILLIS PAR TANIT HALFON
Avec la publication de son livre blanc, la démarche Vetfuturs a franchi une nouvelle étape dans la mise en œuvre du plan stratégique pour la profession à l’horizon 2030. 56 leviers à mobiliser y ont été identifiés. Jacques Guérin, président du Conseil national de l’Ordre des vétérinaires, fait le point sur l’état d’avancement du plan.
Pourquoi la démarche Vetfuturs est-elle nécessaire pour l’avenir de la profession ? Peut-on dire que c’est pour “rassembler les vétérinaires”, enclencher une dynamique, motiver les jeunes générations, trouver de nouvelles opportunités économiques, accompagner l’évolution des métiers de vétérinaire ?
Oui. J’ajouterais qu’apparaissait aussi la nécessité de renouveler les références à la profession, notamment pour les pouvoirs publics. J’ai le souvenir d’une réunion sur le plan ÉcoAntibio au ministère dans laquelle des scientifiques citaient des publications du début des années 2000, voire avant, faisant référence à l’usage des antibiotiques comme promoteurs de croissance ! L’Atlas démographique de la profession vétérinaire, par exemple, permet d’actualiser les choses, comme la production de Vetfuturs amène des éléments sociologiques sur la profession vétérinaire. Nous sommes, de plus, convaincus que nous faisons face à un scénario de rupture, tel que la profession a pu le vivre dans le passé avec l’arrêt du cheval de traction. Aujourd’hui, la question est de savoir si la profession va basculer majoritairement vers la médecine des animaux de sport et de loisir en faisant le choix radical de se retirer des productions animales. Dans ce contexte, la démarche Vetfuturs est essentielle, car elle permet d’amener le vétérinaire à réfléchir à des solutions de consensus.
Sur quels leviers l’Ordre, en tant qu’instance professionnelle, va-t-il pouvoir jouer et comment comptez-vous aider au développement d’initiatives individuelles ?
D’abord, précisons qu’il ne faut pas actionner tous les leviers en même temps, car certains sont sans retour. Le fait d’autoriser des auxiliaires spécialisés vétérinaires, sous couvert de compétences, à pratiquer des actes vétérinaires au sein d’établissements de soins, est certainement le premier levier à actionner. L’état en a utilisé un autre : avec l’augmentation du nombre d’étudiants, il a créé finalement l’équivalent d’une cinquième école vétérinaire, et ce à moyens constants. Pour le reste, la réflexion menée dans le cadre de Vetfuturs a abouti à la création d’une marque : “Vétérinaire pour la vie, pour la planète”.
Cette démarche est apparue comme un bon moyen pour rassembler une profession morcelée, et converger vers des intérêts communs, d’autant que l’Ordre, s’il accompagne l’évolution de la profession, doit le faire dans les limites inhérentes à ses missions. Une fois celle-ci unie, peut-être serons-nous capables de réunir les conditions visant à faire émerger des initiatives et s’exprimer des talents. Pour ma part, je déplore la segmentation, l’hyperspécialisation de la profession, conduisant à des modes d’organisation où il devient difficile de trouver un consensus. Une situation dans laquelle des démarches militantes viennent, au surplus, créer de la confusion.
Identifiez-vous des sujets sur lesquels la profession a déjà bien avancé ?
Nous avons des idées de plus en plus claires sur la télémédecine ou la délégation d’acte. Parmi les actions concrètes, il y a l’instauration, l’an dernier, d’une journée nationale vétérinaire. Nous avons aussi créé un comité d’éthique animal, environnement, santé. Je note également que les entreprises vétérinaires se sont structurées, avec le développement de nouveaux métiers pour les accompagner. Tout n’est pas réglementaire et je crois aux initiatives privées. Néanmoins, tout cela demande du temps. Par exemple, il a fallu six ans pour porter le dossier sur les stages tutorés.
Qu’en est-il de la permanence et continuité des soins ?
Nous avons beaucoup échangé à ce sujet. Certains la considèrent comme une obligation démesurée, la profession n’ayant pas les mêmes moyens que la médecine humaine. Je crois, au contraire, que cela constitue un élément fort de l’existence de la profession, à condition d’envisager des solutions collectives. L’idée n’est pas de réglementer, mais de favoriser les initiatives locales qui s’inscrivent dans un bassin de vie. Dans une grande majorité des territoires, des solutions sont encore possibles, à partir du moment où l’on accepte de raisonner sur la mutualisation. Il faut arrêter de voir son voisin comme un concurrent. Si dans certains territoires la continuité et la permanence des soins devenaient insurmontables par défaut constaté de solution, l’Ordre en tirerait toutes les conséquences en matière de bien-être des vétérinaires : à l’impossible nul n’est tenu !
Aurez-vous les moyens de votre ambition ?
Peut-être ferons-nous face à des freins financiers. Mais mon souci est avant tout de maintenir une dynamique et une réflexion. L’Ordre et le syndicat ne pourront porter seuls ce projet, il faudra trouver des relais, et je vois, par exemple, des jeunes s’approprier des idées sur un mode start-up. Si nous n’y arrivons pas, nous risquons de n’avoir qu’un effet communication qui s’essoufflera au bout de deux à trois ans.
•