Tests physiologiques précoces et prédiction de performance chez le trotteur - La Semaine Vétérinaire n° 1830 du 15/11/2019
La Semaine Vétérinaire n° 1830 du 15/11/2019

CONFÉRENCE

PRATIQUE MIXTE

Formation

Auteur(s) : ANNE COUROUCÉ  

Actuellement, la filière course doit relever des défis en partie semblables à ceux entrepris dans d’autres filières de productions animales. Parmi ceux-ci, sécuriser les performances économiques est crucial dans un contexte de crise : le nombre d’entraîneurs a chuté de 5 % au trot et de 17 % au galop entre 2010 et 2015. Une des options est d’augmenter les effectifs d’animaux tout en limitant les charges de personnel.

Une autre particularité de la filière trot est qu’un grand nombre de poulains produits ne sont pas valorisés. Ainsi, avec 10 à 11 000 naissances chaque année et un taux de qualification d’environ 40 %, seulement 4 500 trotteurs par génération ont accès à la compétition. La plupart connaissent une carrière très limitée et seuls environ 5 % des trotteurs d’une génération atteignent, à l’issue de celle-ci (fin des 10 ans), des gains supérieurs à 100 000 €.

La sélection des jeunes trotteurs est donc une étape cruciale pour tout entraîneur. Il convient de repérer le plus précocement possible les individus présentant un potentiel sportif limité, pour réduire l’impact financier du maintien à l’entraînement de chevaux non valorisables et privilégier les éléments prometteurs, sources de revenus potentiels.

L’étude

Les questions posées

- Les données physiosportives mesurées à 2 ans chez le trotteur sont-elles corrélées aux performances à venir ?

- L’acquisition et l’analyse de ces données permettent-elles de sécuriser le choix des entraîneurs dans leur recrutement ?

- Les critères physiologiques et sportifs mesurés à 2 ans sont-ils prédictifs du niveau de performance futur ?

Les chevaux

L’étude a porté sur une population de 180 jeunes trotteurs nés en 2012 et en 2013 et testés durant l’été de l’année de leurs 2 ans. Tous les poulains ont été soumis au cours de cette année à trois tests physiologiques effectués à 45 jours d’intervalle, alors qu’ils étaient en préparation à l’épreuve de qualification. Ils sont issus de 18 centres d’entraînements de Mayenne et de Maine-et-Loire.

Tests d’effort et attribution des scores de potentiel

Le test d’effort de terrain a consisté, après un échauffement d’une dizaine de minutes, en la réalisation de trois paliers de 3 minutes à vitesse constante. Pour ces jeunes chevaux, les vitesses demandées étaient de 30, 33 et 36 km/h. Les paramètres témoignant de la capacité aérobie et de l’aptitude cardiaque des chevaux étaient respectivement :

- la V4, vitesse induisant une lactatémie de 4 mmol/l,

- la V200, induisant une fréquence cardiaque de 200 battements par minute.

Le potentiel de vitesse est ensuite évalué par la réalisation d’une accélération à vitesse maximale (Vmax) sur 200 à 300 m.

À l’issue des trois tests, la meilleure évaluation de chaque individu a été sélectionnée et, à chaque variable V4, V200 et Vmax, un score a été attribué selon le niveau atteint (tableau 1). Ainsi, chaque poulain s’est vu attribuer un score global variant de 0 à 9, somme du score de V4, V200 et Vmax.

Sur la base de cette note, les poulains ont été qualifiés de :

- “faible potentiel”, si le score global était égal ou inférieur à 2,

- “potentiel moyen”, s’il était de 3 ou 4,

- “bon potentiel”, pour un score de 5 ou 6,

- “excellent potentiel”, pour un score supérieur ou égal à 7.

Performances en courses et indice génétique

À la fin de l’année des 4 ans, différents indices de performance ont été recueillis sur la base de données du trot, parmi lesquels : la réussite à l’épreuve de qualification, le nombre de courses courues, les gains.

Sur la base des gains en fin d’année des 4 ans, les chevaux ont été répartis en quatre différents niveaux de performance :

- un groupe de bons performeurs : chevaux ayant gagné plus de 25 000 €,

- un groupe de performeurs moyens : gains entre 10 000 et 25 000 €,

- un groupe de mauvais performeurs : gains entre 0 et 10 000 €,

- un groupe de chevaux non qualifiés : non admis à la compétition.

Sur le site de l’Institut français du cheval et de l’équitation, le BTR (Blup trotteur, soit le bilan linéaire universel prévisionnel) de chaque cheval a été relevé, afin de mesurer la qualité génétique individuelle.

Résultats

L’analyse finale a porté sur 149 poulains, car 31 ont fait une faute sur l’accélération finale et aucun score de Vmax n’a été attribué. Ils ont donc été exclus de l’analyse.

Sur la base de la note globale (somme des scores de V4, V200 et Vmax), le nombre de poulains :

- à faible potentiel était de 30,

- à potentiel moyen était de 27,

- à bon potentiel était de 49,

- à excellent potentiel était de 43.

Potentiel de performance et nombre de courses courues

Le nombre de courses courues en fin d’année des 4 ans était significativement supérieur dans les groupes “excellent” et “bon potentiel” par rapport au groupe “potentiel moyen”, lui-même supérieur au groupe “faible potentiel”(figure 1).

Potentiel de performance et gains moyens en fin d’année des 4 ans

Comme le montre la figure 2, le gain moyen en fin d’année des 4 ans était significativement supérieur dans le groupe “excellent potentiel” par rapport au “bon”, lui-même supérieur au groupe “faible potentiel”.

Potentiel de performance et niveau de performance

La catégorie de potentiel mesurée à 2 ans impacte significativement le niveau de performance atteint en fin d’année des 4 ans. Ainsi, 79 % des poulains non qualifiés (NQ) appartenaient au groupe “faible potentiel” (49 %) ou “potentiel moyen” (30 %). Inversement, 94 % des “bons performers” (BP) faisaient partie des groupes “bon potentiel” (25 %) ou “excellent potentiel” (69 %). Le tableau 2 décrit la distribution du nombre de poulains des différentes catégories de potentiel en fonction des niveaux de performance.

Influence de la génétique sur le potentiel de performance

Seul le groupe “excellent potentiel” présentait un BTR moyen significativement supérieur à celui des autres groupes, dont le BTR moyen était identique (la figure 3 illustre les BTR moyens par catégorie de potentiel).

Quelles applications pratiques ?

La tenue à l’effort (mesurée principalement par la V4) et la vitesse (mesurée par la vitesse de pointe Vmax) sont deux facteurs de performance essentiels chez un trotteur. Bien sûr, d’autres facteurs rentrent en jeu tels que des aspects psychologiques comme la combativité et le goût de l’effort. Néanmoins, le potentiel physiologique est primordial et, comme le montre cette étude rétrospective, peut s’évaluer précocement par rapport à la période de compétition.

Pour l’entraîneur, ces données peuvent véritablement servir d’aide à la décision en matière de sélection individuelle des jeunes chevaux, mais aussi de détermination de la charge d’entraînement afin d’éviter sous-entraînement et surentraînement.

Pour l’éleveur, ces données d’entraînement permettent aussi, par exemple, de caractériser le potentiel physiologique d’une pouliche n’ayant pas couru car accidentée précocement. Cette étude montre aussi la relation entre qualité génétique et probabilité d’appartenir au groupe “excellent potentiel” et plus tard au groupe “bons performeurs”. Bien que les gènes en relation avec les qualités de résistance à l’effort et de vitesse ne soient pas encore identifiés chez le trotteur, ils semblent influencer largement le potentiel sportif.

Enfin, un futur propriétaire pourra “sécuriser” son achat en corrélant l’avis subjectif de l’entraîneur qui le conseille et les mesures objectives d’une réponse à l’exercice.

Au travers de ces tests d’effort, le vétérinaire a donc un rôle fondamental en tant que conseil auprès de l’entraîneur, de l’éleveur et du propriétaire.

Claire Leleu Directrice d’Equi-test. Article rédigé d’après une présentation de Claire Leleu aux journées sciences et innovations équines organisées par l’IFCE à Saumur, les 23 et 24 mai.