CONFÉRENCE
PRATIQUE CANINE
Formation
Auteur(s) : CORINNE LESAINE
Un écoulement nasal est souvent synonyme de coryza pour le praticien. Connu pour toucher différentes espèces, l’homme, le chat, avec les herpèsvirus félin de type 1, les calicivirus et chlamydia felis, et les bovins, avec les herpès virus ovins type 2 (fièvre catarrhale), le coryza est-il pour autant l’une des causes majeures de l’éternuement chez le lapin ? Ce symptôme a des causes variées qui ont été recensées et présentées par les conférenciers Charly Pignon et Minh Huynh sous forme de cas cliniques lors du dernier congrès France Vet, pour faciliter la démarche diagnostique complète et progressive.
Les cavités nasales du lapin, connues pour leur complexité anatomique, sont étroites. Seule la respiration nasale est possible, ce qui rend cet animal d’autant plus fragile aux infections de l’appareil respiratoire supérieur. De nombreuses causes peuvent occasionner un rhume, associé à des éternuements et jetages, mais la première cause chez le lapin est d’origine environnementale. Il est nécessaire alors de considérer dans les commémoratifs ces facteurs favorisants tel qu’une atmosphère trop sèche, trop chaude, trop poussiéreuse, la présence de courants d’airs, de fumigènes, d’ammoniac ou de désodorisants. Un environnement inadapté engendre une irritation chronique des cavités nasales, une inflammation continue qui sera visible précocement par des poils humides et collés autour des narines associés aux éternuements. À ce stade, le recours aux anti-inflammatoires non stéroïdiens (exemple : méloxicam 1 mg/kg/12 h per os) permet une régression rapide des signes cliniques. Les rhinites allergiques à certaines graminées sont parfois décrites, ainsi que celles d’origines bactériennes, primaires ou secondaires, profitant dans ce cas de l’inflammation chronique des rhinites environnementales. Les malocclusions dentaires, les corps étrangers et les néoplasies complètent le tableau étiologique possible des écoulements nasaux.
Lorsque l’affection n’est pas traitée suffisamment à temps, les complications bactériennes sont souvent associées à Pasteurella multocida, Bordetella bronchiseptica ou Pseudomonas spp., qui sont, dans l’ordre, les trois bactéries les plus souvent détectées par écouvillon des cavités nasales. Jetage muco-purulent, altération de l’état général, perte d’appétit sont des signes d’alerte. Un risque de contamination des voies respiratoires basses implique une antibiothérapie ciblée de première intention avec administration de pénicilline par voie sous-cutanée (SC) stricte (80 000 UI/kg/72 h) ou de doxycycline (de 5 à 15 mg/kg/12 h), et une prise en charge médicale avec hospitalisation. L’adjonction d’anti-inflammatoires non stéroïdiens, de nébulisation au chlorure de sodium (Nacl) hypertonique et de séances de laser thérapeutique, traitement adjuvant utile pour la liquéfaction du pus chez le lapin avec un fort encombrement nasal, complètent le traitement.
Il est important de réaliser des clichés radiographiques thoraciques comme bilan d’extension, afin de détecter au plus tôt la présence d’une bronchopneumonie ou d’un abcès pulmonaire. La réalisation de l’antibiogramme sur culture peut se faire par un lavage nasolacrymal, avec une technique de cathétérisation du conduit lacrymal (après nettoyage du pourtour des narines pour ne pas contaminer le prélèvement avec des germes cæcotrophes). La procédure consiste à déposer quelques gouttes de tétracaïne dans l’œil du lapin, à éverser la paupière inférieure pour mettre en évidence le méat du canal lacrymal, avec un petit cathéter sans mandrin, à instiller du Nacl stérile pour récupérer le liquide au bout des narines dans un tube.
Le scanner est parfois nécessaire face à des cas chroniques, d’anorexie critique, de détresse respiratoire sévère associée à un jetage et qui résistent à des traitements préalables. La radiographie du crâne peut montrer des malocclusions dentaires, fréquentes, et qui peuvent avoir des répercussions autres que celles exprimées dans la cavité buccale. La réalisation d’un examen tomodensitométrique permet de reconstruire en 3D la complexité des cavités nasales et ses parties aériques, surtout comblées par du pus, avec des volutes détruites dans le cas des infections sévères.
La prise en charge médicale d’urgence vise à réoxygéner le lapin et à contrôler les complications éventuelles d’iléus intestinal. Elle est suivie par une rhinotomie, une rhinostomie ou une pararhinotomie, afin de réaliser un drainage des sinus et un curetage des tissus infectés, couplée à l’extraction des dents infectées si besoin. Un prélèvement bactériologique complète l’extraction de la dent (présence fréquente de germes anaérobies comme Bactéroïdes sp. et Fusobacterium sp.). La marsupialisation est une technique de choix pour un drainage extrabuccal après parage des tissus, les drains ne fonctionnant pas chez le lapin en raison de l’épaisseur du pus.
Le scénario type du lapin qui, malgré plusieurs semaines de traitements antibiotiques (après antibiogramme) pour une rhinite bactérienne et bilan complet buccodentaire négatifs, présente un jetage mucopurulent résistant, doit amener le praticien à d’autres suspicions. Celles des corps étrangers (épillets, par exemple) ou des concrétions calciques (rhinolithes) sont parfois difficiles à diagnostiquer, mais un jetage unilatéral qui ne rétrocède pas aux traitements est évocateur. Une observation minutieuse, par rhinoscopie (endoscope rigide ou semi-rigide de faible diamètre de 1 à 1,9 mm), sous anesthésie profonde (dexmédétomidine 0,15 mg/kg et kétamine 5 mg/kg), sur l’animal intubé, en retroussant le repli nasal, doit alors être considérée, après instillation de lidocaïne associée à de la naphazoline pour insensibiliser la narine. Si le corps étranger ne peut pas être directement délogé, une rhinotomie ou une sinusotomie facilite l’extraction. Les particules minérales qui contribuent aux inflammations chroniques seront, de préférence, retirées par trépanation dorsale du nez.
Les tumeurs nasales sont relativement rares chez les lapins. Elles affectent plutôt des lapins d’âge moyen, qui présentent un jetage réfractaire aux antibactériens depuis plusieurs mois, avec un état général affecté. Les destructions de structures osseuses visibles au scanner, qui avec un produit de contraste révèlent davantage un tissu que du pus, sont candidates à biopsies, réalisables avec endoscope ou “à l’aveugle”. Les radiothérapies, à raison de huit séances de 6 gy hebdomadaires pour des adénomes ou des carcinomes nasaux, peuvent améliorer le confort et la durée de survie chez le lapin, avec des médianes de plus de 2 ans chez certains, et peu d’effets secondaires (poils décolorés). Sans radiothérapie, le pronostic est réservé.
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