Les Vétos, du réel à la fiction - La Semaine Vétérinaire n° 1832 du 29/11/2019
La Semaine Vétérinaire n° 1832 du 29/11/2019

CINÉMA

ACTU

Auteur(s) : MICHAELLA MORADEL ET TANIT HALFON  

Pour son premier long métrage, la réalisatrice et scénariste Julie Manoukian raconte le quotidien du vétérinaire en zone rurale. Si les difficultés du métier transparaissent à l’écran, offrant une rare occasion pour le public de les découvrir, Les Vétos montre avant tout les liens humains qui peuvent unir une communauté.

Échanger des euros contre un café chaud, rater la soirée d’anniversaire de son fils à cause d’une urgence, consulter malgré la fatigue à la limite de l’épuisement… Le film Les Vétos, première réalisation de Julie Manoukian, montre, avec justesse et une certaine tendresse, les difficultés du vétérinaire exerçant en zone hyper-rurale. Nico, interprété par Clovis Cornillac, un vétérinaire mixte de 45 ans, se démène pour garder à flot son cabinet situé dans un petit village du Morvan. Et peine surtout, depuis plusieurs mois, à recruter un nouveau vétérinaire, son associé, Michel (joué par Michel Jonasz), partant en retraite. Par l’intermédiaire d’un stratagème un peu fantasque, Alex (Noémie Schmidt), une jeune diplômée alforienne et nièce de Michel, qui se prédestinait à la recherche, débarque dans leur vie. Pendant 1 heure 30, tout y passe : horaires à rallonge, obligations d’astreinte, sous-facturation des actes, comparaison avec “Dr Google”, critiques voire plaintes, turbulences sérieuses avec la vie de famille, etc. Ça sonne juste et pour cause : la réalisatrice s’est entourée de vétérinaires, d’abord lors de l’écriture du scénario, avec Laetitia Barlerin, mais aussi durant le tournage. Maxime Chassaing, vétérinaire mixte dans le Morvan, a accepté de jouer ce rôle de consultant, avec sa femme Camille Frombaum : « Nous avons d’abord aidé à l’écriture du scénario en ajoutant des anecdotes de médecine rurale, en particulier en accentuant le côté humain qu’il peut y avoir dans nos relations avec les éleveurs. Julie ne se doutait pas à quel point on pouvait rentrer dans leur intimité. »

Une vraie séquence de médecine

Sur le tournage, les deux vétérinaires faisaient la chasse aux incohérences, notamment dans la gestuelle des comédiens. Une recherche du réel qui est à son apogée avec la scène du vêlage, qui n’est en rien truquée ni une astuce de montage. « C’est la seule vraie séquence de médecine. Elle a été tournée de nuit dans une étable. Nous étions venus en équipe réduite, avec une seule caméra. Noémie a fondu en larmes, comme le reste de l’équipe, même moi ! Elle pleure dans le film, mais ce n’était pas tout à fait du cinéma », se remémore Maxime Chassaing avec nostalgie. Un tournage qui ne laisse pas indifférent. « J’ai eu le “movie blues“ lorsque l’équipe du film est partie. Ça a été difficile pendant plusieurs mois », souligne-t-il. À l’instar des liens créés lors du tournage, Les Vétos raconte en vérité l’histoire d’une grande famille. D’abord la famille du cabinet, dans lequel tout le monde se tutoie, y compris les clients. Le village dans son ensemble est aussi une autre grande famille, avec un bar dans lequel les scènes de disputes côtoient celles de réconciliation. Un constat qui rejoint les propos de Maxime Chassaing : « Mes clients m’appellent par mon prénom et me tutoient. Je connais tous les ragots, mais aussi tous les états d’âme de chacun d’entre eux. Ce n’est pas qu’une image d’Épinal, c’est ce qui fait la chaleur humaine du métier. Cela a d’ailleurs surpris Clovis Cornillac qui ne pensait pas qu’on pouvait avoir autant d’empathie. »

Utile à la profession

Que va penser le public ? Réalisera-t-il vraiment quelle passion anime les vétérinaires, investis jusqu’à l’abnégation dans certaines scènes du film ? Réponse à partir du 1er janvier prochain pour sa sortie en salles. Dans tous les cas, les messages que le film véhicule pourraient être utiles à la profession, soutient Jacques Guérin, président du Conseil national de l’Ordre des vétérinaires. « Ce film va venir donner une consistance aux courriers que j’envoie régulièrement aux ministères et à l’ensemble des sénateurs pour les sensibiliser à l’importance du maillage vétérinaire. Cela donne une réalité a un problème considéré encore comme virtuel. Il ne fait aucun doute que cela va nous aider dans notre démarche, mais aussi créer des vocations. Ce film rappelle que l’on peut encore avoir du bonheur à la campagne », affirme-t-il. Maxime Chassaing abonde dans le même sens : « Lors de l’avant-première à Auxerre, des gens du public ne se rendaient pas compte de l’impact des gardes sur la structure familiale. Ce film permet de faire passer des messages sans être choquant, un bon moyen d’engager un débat. » Pourtant, par certains aspects, Les Vétos tendrait à idéaliser la réalité. Mais est-ce bien grave ? « Ce qui est intéressant, c’est la promotion de l’exercice mixte. On est aux antipodes de ce que l’on voit dans les émissions télévisées sur le métier de vétérinaire avec un plateau technique très proche de la médecine humaine. De nombreux vétérinaires se débrouillent avec des moyens réduits, et produisent un travail de qualité, retient Jacques Guérin. Certes, ce n’est pas forcément le modèle courant dans certaines régions, mais le film approche des notions à travers un exemple et un mode de fonctionnement qui n’est pas déconnecté des réalités. Il parle d’euthanasie, de la relation vétérinaire-éleveur, de l’empathie envers l’animal. Il dépeint finalement le quotidien d’un vétérinaire curé de campagne, partie prenante d’une communauté. »

ENTRETIEN AVEC  JULIE MANOUKIAN 

« J’AI DÉCOUVERT UN MILIEU AVEC BEAUCOUP D’AMOUR, D’HUMOUR ET DE DÉVOUEMENT »

Scénariste et réalisatrice, Julie Manoukian sort son premier long métrage intitulé Les Vétos, qui met en scène le quotidien du vétérinaire en zone rurale. Elle revient pour nous sur la genèse de ce projet. Pourquoi avoir choisi de vous intéresser au métier de vétérinaire rural ?
C’est mon producteur, Yves Marmion, qui m’a proposé d’écrire une histoire sur les vétérinaires ruraux, puis il m’a aussi confié la réalisation du film. Ce sujet a été un véritable coup de foudre. J’ai découvert un milieu avec beaucoup d’amour, d’humour et de dévouement. Il y a quelque chose d’héroïque à faire ce métier, surtout à la campagne.
Avant d’accepter ce projet, je ne connaissais pas le milieu vétérinaire. J’étais familière, en revanche, avec celui de soignants, via les écrits de médecins comme Martin Winckler, Baptiste Beaulieu ou encore Jaddo, et j’ai rapidement compris que les vétérinaires vivaient la même chose.

Quelle aide avez-vous eu des vétérinaires pour le scénario et le tournage ?
La première vétérinaire m’ayant apporté son aide est Laetitia Barlerin, à qui j’avais adressé la première version de mon scénario. Par la suite, deux vétérinaires ruraux du Morvan, Maxime Chassaing et Camille Frombaum, se sont prêtés au jeu de consultant de tournage. Ils nous ont assistés, afin d’apporter les corrections nécessaires en cas d’incohérence, que ce soit dans les dialogues ou la gestuelle des comédiens. Ils étaient systématiquement présents lorsque nous tournions des séquences avec un animal.

La scène de vêlage est un moment fort du film. Comment l’avez-vous préparée ?
Lors de nos repérages, nous sommes tombés sur une étable abritant 15 vaches gestantes, toutes primipares, et dont les dates de vêlages pouvaient correspondre avec la période du tournage. Il se trouve, de plus, que le vétérinaire traitant était Maxime Chassaing. Mais progressivement, il ne resta plus qu’une seule vache dont la mise bas était compatible avec nos dates. Par chance, un jour, Maxime nous a prévenus que c’était le bon moment. En parallèle, la comédienne Noémie Schmidt avait suivi Camille Frombaum lors de ses tournées dans les élevages et avait ainsi pu se préparer avec elle. Aussi, au moment du vêlage, elle a pu faire certains gestes elle-même, sous la surveillance de Maxime. C’était un moment très émouvant pour toute l’équipe.

Si le film montre plusieurs difficultés du métier, il révèle aussi celles de la vie en milieu rural. Étiez-vous familière de ces problématiques ?
Non, ce sont des choses que j’ai pu découvrir au cours de mes recherches. Maxime m’a ensuite confirmé qu’il était malheureusement fréquent que le vétérinaire finisse par ne pas tout facturer. Il y a en quelque sorte un accord tacite entre le praticien et son client, qui le remercie en lui offrant ce qu’il a sous la main. J’ai trouvé cela très émouvant.

Récemment, plusieurs longs métrages se sont penchés sur le monde de l’élevage (Petit Paysan,Au nom de la terre). Le cinéma s’ouvre-t-il davantage à la ruralité ?
Je dirais plutôt que c’est cyclique, mais ce sont toujours des films qui marquent les esprits. Le plus frappant est leur succès croissant, je pense notamment à celui du film Au nom de la terre. Cela fait du bien, pour les gens habitant en zone rurale, de se voir représenter sur grand écran.
Quels messages souhaitiez-vous faire passer avec ce film ?
Pour moi, c’est une histoire de solidarité, de communauté, de famille. Il y a l’idée qu’on ne peut pas s’en sortir tout seul. Ces personnages auraient pu en réalité évoluer dans un autre contexte, et les ressorts émotionnels auraient été les mêmes. Le besoin d’être entouré, de donner du sens à sa vie, on le retrouve autant à la campagne qu’à la ville. J’ai voulu juste raconter une histoire humaine, qui se passe dans un milieu et à un moment donné.

Que retenez-vous de ce projet ?
Ce film a d’abord changé mon rapport aux animaux, et j’ai pu découvrir, par exemple avec nos dresseuses, à quel point un animal pouvait faire des choses par amour pour nous. De plus, traiter ce sujet m’a conforté dans le fait qu’il faut aborder les choses de manière sincère.

Quels retours avez-vous eu de la profession ?
De nombreux vétérinaires assistent aux premières projections du film, et je suis touchée de voir qu’ils ne se sentent pas trahis. Ils sont aussi heureux de voir un long métrage qui raconte leurs difficultés, sans pour autant tomber dans le drame.

Si vous deviez résumer votre film en quelques mots, que direz-vous ?
C’est une histoire de transmission, de famille et de retour aux sources. Il s’agit aussi d’un film sur la fin de l’enfance, une page qui se tourne pour vivre le reste de sa vie.

Propos recueillis par Tanit Halfon