DOSSIER
Auteur(s) : CHARLOTTE DEVAUX
Les Français en sont friands pour eux-mêmes, mais aussi pour leurs animaux. À la limite légale avec les médicaments, les compléments alimentaires vétérinaires, dont l’efficacité est reconnue en pratique (moins dans les études), sont à prescrire de façon raisonnée.
D’après l’étude Inca 3 sur les habitudes et modes de consommation alimentaire de la population française (Agence nationale de sécurité sanitaire, 2017), le taux d’utilisateurs de compléments alimentaires en 2015 était de 14 % chez les enfants de 3 à 17 ans et de 22 % chez les adultes de 18 à 79 ans, avec une nette augmentation (quasiment 50 %) depuis la précédente enquête de 2007. Le taux de consommation de compléments alimentaires augmente avec le niveau d’étude et la catégorie socioprofessionnelle. Il est ainsi multiplié par deux entre un niveau d’étude primaire ou collège et un niveau d’étude supérieur au bac. Chez les adultes, il est également plus élevé chez les femmes et chez les moins de 45 ans. Une saisonnalité de consommation est aussi observée, avec une consommation plus élevée en hiver. Pour les animaux, le profil des consommateurs n’est pas tout à fait le même. Notre consœur Constance Semblat qui a monté, en février dernier, le site de vente de complément alimentaire bonjour eustache, témoigne : « Alors que je m’attendais à une clientèle de jeunes trentenaires, la majorité de mes clients ont entre 40 et 65 ans. Les gens sont très en demande de compléments alimentaires, surtout pour leurs animaux âgés ou atteints de maladie chronique comme l’arthrose chez les chiens ou la calicivirose chez les chats. Cependant, ils n’osent pas toujours parler de compléments alimentaires à leur vétérinaire, ayant peur d’être mal vus. »
Si en humaine les compléments alimentaires se définissent comme « des denrées alimentaires dont le but est de compléter le régime alimentaire normal et qui constituent une source concentrée de nutriments ou d’autres substances ayant un effet nutritionnel ou physiologique seuls ou combinés », Arnaud Deleu, du Syndicat de l’industrie du médicament et réactif vétérinaires (SIMV), précise que les termes “complément alimentaire” ou “complément alimentaire vétérinaire” « ne répondent à aucune définition légale. Ils correspondent aux aliments complémentaires et doivent respecter les dispositions des règlements relatifs à l’alimentation animale et aux additifs destinés à celle- ci. »
Les aliments pour animaux sont divisés en trois catégories par le règlement européen : complets, complémentaires et minéraux. Un aliment complet suffit à assurer une ration journalière, c’est-à-dire qu’il couvre tous les besoins nutritionnels d’un animal qui devrait pouvoir être nourri tous les jours de sa vie avec celui-ci sans présenter de carences. Un aliment complémentaire a une teneur élevée en certaines substances, mais ne peut couvrir à lui seul tous les besoins d’un animal et ne peut donc être donné exclusivement. Un aliment minéral est un aliment complémentaire contenant au moins 40 % de cendres brutes, donc essentiellement composé de vitamines, de minéraux et d’oligoéléments. Chaque additif autorisé, dont les vitamines et les minéraux, est inscrit au registre européen avec, si nécessaire, une teneur minimale et maximale dans l’aliment complet. Cette teneur maximale est multipliée par 100 pour les aliments complémentaires.
Les “compléments alimentaires” en tant qu’aliments complémentaires ne peuvent, d’un point de vue légal, ni contenir des substances reconnues pour leur activité curative ou préventive à l’égard des maladies animales, ni être présentés comme possédant de telles propriétés. D’après la Cour européenne de justice, un produit est présenté comme un médicament lorsqu’il est décrit ou recommandé comme tel même lors d’une simple présentation orale de la part de délégués commerciaux, mais également chaque fois qu’il apparaît, de manière même implicite mais certaine, aux yeux d’un consommateur avisé, que ledit produit devrait – eu égard à sa présentation – avoir un effet curatif ou préventif. Or, le Code de la santé publique stipule que « lorsque, considérant l’ensemble de ses caractéristiques, un produit est susceptible de répondre à la fois à la définition du médicament (…) et à celle d’autres catégories de produits régies par le droit communautaire ou national, il est, en cas de doute, considéré comme un médicament ».
D’après le Code de la santé publique, un produit peut être classé comme médicament par présentation ou par fonction. Toute substance ou composition présentée comme possédant des propriétés curatives ou préventives à l’égard des maladies animales sera considérée comme un médicament par présentation. Toute substance ou composition pouvant être administrée à un animal en vue soit de restaurer, de corriger ou de modifier des fonctions physiologiques en exerçant une action pharmacologique, immunologique ou métabolique, soit d’établir un diagnostic médical sera considérée comme un médicament par fonction.
La difficulté réside dans les propriétés métaboliques. Comme le précise le rapport commun des Académies nationales de médecine et de pharmacie, intitulé Réflexions et propositions relatives aux allégations de santé et aux compléments alimentaires (2011), il n’y a pas « de frontière claire entre un effet physiologique et un effet pharmacologique. Il s’agit plutôt d’un continuum entre la physiologie et la pharmacologie, entre un état d’équilibre et l’apparition d’un état pathologique et, donc, d’un continuum entre un effet physiologique et un effet pharmacologique ».
D’après une note de l’Agence nationale du médicament vétérinaire (ANMV) datant d’août 2013, pour conclure à une présentation implicite comme médicament, les tribunaux français recherchent les indices qui confortent dans l’esprit du public la notion de propriétés curatives ou préventives. Par exemple : la mention d’une posologie et d’un mode d’emploi, l’allusion à des recherches de laboratoires vétérinaires, à des méthodes ou à des substances mises au point par des vétérinaires, la présence de logos ou de symboles utilisés pour l’identification des cabinets vétérinaires. Dans ce cadre, une grande majorité des aliments complémentaires pourraient être reclassés en médicaments. Quels sont, en pratique, les éléments qui permettent de dire si une substance est un médicament ou un aliment complémentaire ? Ni l’ANMV, ni la Fédération des fabricants d’aliments pour chiens, chats, oiseaux et autres animaux familiers (Facco) n’ont pu répondre à nos interrogations et la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) est restée injoignable. Arnaud Deleu, du SIMV, précise que « la qualification se fait sur un faisceau d’indices et la décision revient au juge. Il ne nous est pas possible de définir une liste de critères au-delà des définitions légales que vous avez exposées ».
Les compléments alimentaires sont généralement des produits ne disposant pas d’études suffisamment approfondies concernant leur efficacité. Avec une exception pour les acides gras oméga 3 dont les publications sur l’efficacité dans de multiples affections se multiplient. Cependant, il convient de garder à l’esprit les doses utilisées dans les études. En effet, chez le chien et le chat, les doses efficaces sont comprises entre 50 et 200 mg d’acide eicosapentaénoïque (EPA) + acide docosahexaénoïque (DHA)/kg, ce qui correspond au minimum au double de la dose inscrite sur les emballages. De plus, il existe un problème de conservation des acides gras polyinsaturés qui sont très sensibles à l’oxydation. Pour lutter contre ce phénomène, la plupart des compléments à base d’oméga 3 contiennent de la vitamine E. Or, naturelle ou synthétique, elle pourrait au contraire favoriser l’oxydation en accélérant la formation d’aldéhydes. Les antioxydants naturels comme l’extrait de romarin ou de thé vert seraient eux efficaces pour ralentir la dégradation des huiles de poisson1. L’association de la chondroïtine et de la glucosamine, prisée dans la gestion de l’arthrose, n’a pas montré d’efficacité dans les méta-analyses de médecine humaine. Cependant les formes utilisées, les doses, les associations (acide hyaluronique, méthyl-sulfonyl-méthane, collagène, curcuma, harpagophytum et autres plantes) rendent toute comparaison compliquée. De plus, l’arthrose évoluant par crise, il existe toujours des phases de rémission. Ainsi, s’il n’est pas possible d’affirmer que l’association chondroïtine-glucosamine a une efficacité prouvée, les retours des vétérinaires en prescrivant et de leur clientèle sont plutôt positifs, avec une notion de répondeurs, des animaux semblant très améliorés, tandis que sur d’autres l’efficacité ne sera pas satisfaisante.
Si l’efficacité est le plus souvent au rendez-vous, l’innocuité n’est pas garantie. Les vitamines sont vues comme inoffensives pourtant cela est loin d’être tout le temps le cas. Certains compléments alimentaires contiennent, par exemple, de la vitamine C. Contrairement aux humains, les chiens et les chats savent synthétiser cette vitamine et n’ont pas besoin d’apport exogène. Certains prétendent qu’elle permettrait d’acidifier les urines, mais les études en humaine n’ont pas permis de mettre en évidence cet effet à la dose de 1 à 2 g/j. En revanche, cette même dose augmenterait de façon significative l’oxalurie et les taux de saturation relative des urines en oxalate de calcium. Ainsi, l’acide ascorbique est un facteur de risque des calculs d’oxalate et son utilisation en tant que complément alimentaire est déconseillée.
De même, les mélanges de vitamines et minéraux utilisés pour “booster” les animaux sont loin d’être anodins. Si les vitamines du groupe B sont hydrosolubles et que tout excès est éliminé dans les urines sans conséquence, les vitamines liposolubles comme la A et la D ont des limites maximales de sécurité et un surdosage peut être toxique. Il convient de garder à l’esprit que les animaux reçoivent des aliments complets qui sont déjà supplémentés pour couvrir tous les besoins en vitamines et minéraux d’un animal moyen. Ainsi, tout ajout supplémentaire risque de dépasser les doses journalières recommandées. Lorsqu’un propriétaire est en demande de vitamines pour “booster” son animal, deux cas de figure se présentent : soit l’alimentation n’est pas équilibrée en vitamines et minéraux (ration ménagère non supplémentée, par exemple) ou l’aliment est de mauvaise qualité (pet food bas de gamme), auquel cas un aliment complet et premium peut être proposé (ou une ration ménagère équilibrée), soit l’animal mange un aliment complet et de bonne qualité et la baisse de forme est alors un symptôme médical qu’il convient d’explorer. Le complément alimentaire ne doit pas devenir le pansement sur une jambe de bois ou la substance « qui ne peut pas faire de mal
» et dispenserait d’explorer. Comme pour toute prescription, elle doit être mesurée et faite en conscience et connaissance de cause.
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1 O’Sullivan A., Mayr A., Shaw N.B. et coll. Use of natural antioxidants to stabilize fish oil systems. Journal of aquatic food product technology 2005;14:75-94.
DES DOSES EFFICACES DIFFICILES À ÉTABLIR