COLLOQUE
ACTU
Auteur(s) : TANIT HALFON
Presque 10 ans après la tenue des états généraux du sanitaire, les rencontres nationales de santé publique vétérinaire ont été l’occasion de mettre en lumière les manquements de la nouvelle organisation sanitaire. La pertinence de l’échelon régional a été particulièrement questionnée.
À entendre quelques-unes des questions posées aux rencontres nationales de santé publique vétérinaire, organisées par l’Adilva et le SNISPV1, qui se sont déroulées à Marseille (Bouches-du-Rhône) les 21 et 22 novembre, les états généraux du sanitaire (EGS) ont laissé comme un goût d’inachevé. Organisés en 2010, les EGS avaient pour objectif de rénover, pour mieux l’améliorer, la politique française de sécurité sanitaire, notamment en donnant plus de poids aux professionnels. Près de 10 ans plus tard, les acteurs publics du sanitaire, réunis pour une table ronde sur les politiques de l’alimentation, ont fait part de leurs inquiétudes et attentes à Bruno Ferreira, directeur général de l’alimentation, invité à participer au débat. Ce dernier a convenu du chemin qu’il restait à parcourir : « Nous disposons des structures inscrites dans la loi, mais le sens que l’on souhaite leur donner n’est pas très clair, en tout cas pas très partagé. » Les Cropsav2 en font partie. « Autant, le conseil national fonctionne… mais au niveau régional, il est difficile de faire vivre les Cropsav, en particulier quand il n’y a pas d’actualités sanitaires », a reconnu le directeur de l’alimentation. Au niveau du secteur professionnel, toutes les structures prévues n’ont pas vu le jour, c’est le cas des associations sanitaires régionales (ASR), qui devaient encadrer les organismes à vocation sanitaire (OVS) et les organisations vétérinaires à vocation technique (OVVT), et qui ne sont qu’au stade « d’embryons dans certaines régions ».
Dans l’esprit des EGS, l’échelon régional était apparu comme un enjeu majeur du sanitaire, l’objectif étant de mettre en place de véritables “pôles régionaux” pour coordonner les actions en matière de surveillance, de prévention et de lutte contre certaines maladies, et de proposer à l’État un schéma régional de couverture des risques en agriculture. Aujourd’hui, le compte n’y est pas, en témoigne les propos d’un chef de service d’une direction départemental de la population. « Les OVS et les OVVT rament. Particulièrement les groupements techniques vétérinaires, pour maintenir les adhésions tout en assument leur rôle d’OVVT. » La question de la pertinence de l’échelon régional par rapport au départemental semble aussi posée, à entendre d’abord les témoignages de deux représentantes du département des Bouches-du-Rhône, invitées à la table ronde pour présenter le contexte local. Marie-Pierre Callet, vice-présidente du conseil départemental et éleveuse de bovins, a ainsi par exemple souligné que le département prenait en charge la prophylaxie dans les filières animales, à hauteur de plus de 600 000 € par an. Certains vont plus loin. « Si j’ai bien compris, en temps de paix, c’est l’État et les régions. En temps de guerre, cela ne fonctionne pas et c’est l’État et les départements. À quel moment il y a un intérêt à conserver les régions ? », s’est demandée une personne du public. Une autre : « Je comprends que le département des Bouches-du-Rhône finance énormément les prophylaxies. Est-ce bien orthodoxe avec la loi NOTRe 3 et que fait la région ? »
Au-delà de l’aspect organisationnel, la mise en œuvre de la politique sanitaire nécessite des acteurs de terrain. Dans ce cadre, la question du maillage vétérinaire est brûlante. « C’est une problématique qui touche de nombreux territoires de façon accrue, a confirmé Bruno Ferreira. Il faut que nous arrivions à pouvoir redonner des perspectives aux vétérinaires et aux laboratoires. » Il a ainsi indiqué qu’un travail était en cours, avec notamment l’élaboration d’une nouvelle feuille de route pour le maillage vétérinaire, la précédente comportant beaucoup trop d’actions. « Nous voulons proposer des mesures qui vont permettre de faire des choses, par exemple, par des voies d’expérimentations, en redonnant des compétences aux conseils départementaux. On pourrait aussi se rapprocher de logiques expérimentées dans le domaine de la médecine humaine. » Comme il l’a exprimé, le maillage sanitaire repose aussi sur les laboratoires d’analyse départementaux. Mais à entendre plusieurs acteurs du secteur, ils semblent être sous-exploités, alors même que la capacité analytique et les compétences sont au rendez-vous. Pourtant, la crise Lubrizol a montré certaines limites des laboratoires, Bruno Ferreira indiquant que des professionnels avaient dû envoyer leurs analyses d’autocontrôles en Italie, du fait d’une saturation des laboratoires français. Comment expliquer ce constat ? Bruno Ferreira donne lui-même une réponse : « La grosse difficulté est de savoir comment maintenir une capacité de réaction en temps de crise suffisamment dimensionnée par rapport à l’enjeu, tout en espérant de ne pas en avoir besoin. Cela nécessite un investissement, du maintien de compétences, de capacités analytiques. Cela coûte de l’argent, et en temps de disette budgétaire, la tendance est de tirer sur la corde, au risque de se mettre en danger en cas de situation de crise. »
Trouver un modèle économique, en temps de paix, est donc bel et bien un enjeu majeur pour le maintien du réseau des laboratoires. Mais pour l’instant, ça coince. «
Nous n’avons pas encore réussi à le faire, a ainsi admis Bruno Ferreira. Il faut mener une réflexion profonde, associé aux collectivités.
» S’il a indiqué qu’il souhaitait que l’État s’engage sur cette question, il a tout de même pointé du doigt celle de la gestion comptable des laboratoires : « Il faut aussi être capable de tenir des comptabilités séparées, entre ce qui relève du privé et du public. Il faut s’assurer que ce qui fait l’objet d’une subvention publique ne vient financer qu’une action publique. C’est un vrai enjeu dans le contexte d’une plainte que nous avons auprès de la Commission européenne.
» Plus qu’une réflexion, l’État est appelé à prendre sa part. «
Nous avons la chance dans les Bouches-du-Rhône d’avoir des politiques qui soutiennent l’agriculture, les laboratoires. Il y a énormément d’investissements financiers, humains et managériaux nous permettant de réagir en temps de crise, a souligné Isabelle Martel, directrice du LDA 134. Il faudra stabiliser ce modèle. Nous ne pouvons pas toujours demander aux collectivités, il faut aussi que l’État utilise ses outils, les valorisent, les financent pour trouver un équilibre. La prévention est essentielle pour limiter les crises.
» S’agissant des financements, Philippe Nicollet, président de l’Adilva, a suggéré une piste en conclusion de cette table ronde : «
Le règlement européen
625-2017 donne la possibilité à l’État de lever des taxes auprès des producteurs afin de financer les contrôles officiels, et donc d’augmenter les contrôles alimentaires pour faire fonctionner cette armée en temps de paix et qui ne demande que ça.
» Et d’ajouter : « Au travers des exposés, on voit bien que l’échelon territorial est fondamental… Ce qui nous aiderait est que la loi NOTRe, pour les collectivités qui le souhaitent, puisse autoriser celles-ci, de façon légale, à appuyer les productions locales territoriales et à faire fonctionner ainsi leurs outils sanitaires de proximité comme le sont les laboratoires départementaux. » Des propos qui ont fini sous les applaudissements.
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1 Association française des directeurs et cadres de laboratoires vétérinaires publics d’analyses, Syndicat national des inspecteurs en santé publique vétérinaire.
2 Conseil régional d’orientation de la politique sanitaire animale et végétale.
3 Loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République.
4 Laboratoire départemental d’analyses des Bouches-du-Rhône.
LOI NOTRE : POURQUOI ÇA BLOQUE ?