Que pensez-vous des outils de modification du génome pour les animaux de rente ? - La Semaine Vétérinaire n° 1833 du 06/12/2019
La Semaine Vétérinaire n° 1833 du 06/12/2019

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@... VOUS !

Auteur(s) :  CHANTAL BÉRAUD 

LE POTENTIEL EST INTÉRESSANT

Il est aujourd’hui possible de modifier le génome de toutes les espèces. En particulier, le système Crispr-Cas9 est techniquement assez facile à utiliser. Un nombre croissant d’articles évoque des modèles modifiés d’animaux de rente. D’un point de vue zootechnique, les outils d’édition du génome pourraient permettre des avancées intéressantes : donner naissance à des bovins laitiers sans corne sans avoir à faire des croisements sur plusieurs générations ou encore inactiver une protéine nécessaire à l’entrée d’un pathogène dans les cellules pour augmenter la résistance des animaux. Si certaines applications permettent d’augmenter le bien-être animal, l’efficience alimentaire ou de diminuer le recours aux antibiotiques, alors l’utilisation des nucléases semble avantageuse. Cependant, il faut rester prudent, car les modifications génétiques peuvent avoir des conséquences multiples à long terme. Comment savoir si un récepteur aujourd’hui connu pour être impliqué dans la sensibilité à une maladie infectieuse ne le sera pas dans la résistance à une autre affection ? Dans un contexte de dérèglement climatique et de changements rapides en matière de risque infectieux, je miserais surtout sur la diversité génétique. Effectuer des études complètes à long terme sur les animaux génétiquement modifiés via ces technologies me paraît indispensable avant de pouvoir conclure.

LUCIE CHEVALLIER

UN OUTIL SOCIALEMENT ACCEPTABLE ?

J’ai exercé en tant que praticien et responsable de schéma de sélection, et j’ai toujours été intéressé par la génétique animale. Personnellement, je m’interroge sur l’acceptabilité sociétale liée à l’utilisation d’outils de modification du génome. Les consommateurs de lait et de viande sont en effet de plus en plus attentifs aux conditions d’élevage. Il faudrait donc communiquer sur le sujet, car les conséquences seraient désastreuses si le grand public apprenait que l’on fait cela “dans son dos” ! Je suis cependant favorable à en autoriser l’étude pour que nos chercheurs soient en mesure de vérifier et d’avancer des arguments scientifiques concernant les modifications que d’autres pays du monde proposeront à l’Europe. Cependant, nous disposons aujourd’hui d’autres outils génétiques “simples” de sélection qui permettent déjà d’obtenir d’excellents résultats. Certes, utiliser un outil tel que Crispr-Cas9 permettrait d’être plus rapide, par exemple pour introduire un gène comme le gène “sans corne”, mais le jeu en vaut-il la chandelle ? D’aucuns diront oui, d’autres non. A minima, il faudrait très sérieusement encadrer l’utilisation d’un tel outil. Récemment, la Food and Drug Administration a interpellé une société américaine qui avait ainsi produit un cheptel sans corne, mais en introduisant également “par inadvertance” un gène de résistance aux antibiotiques !


NORBERT LUCAS

RÉFLÉCHIR AU CAS PAR CAS

Les animaux dont le génome fait l’objet de modifications génomiques ciblées ne sont pas des animaux transgéniques stricto sensu. Je suis favorable à l’utilisation de cet outil puissant de biotechnologie à des fins de recherche et d’évaluation de risques, la précision et la fiabilité des modifications devant être évaluées. La possibilité d’introgresser des allèles d’intérêts d’une race à une autre, sans procéder à de multiples générations de croisements, permettrait un gain de temps considérable ! De même, la création d’individus résistants à certains agents pathogènes est séduisante. Mais il reste des interrogations : sommes-nous, par exemple, réellement en capacité d’évaluer avec certitude les conséquences directes ou indirectes d’une mutation, même si elle a déjà été répertoriée et caractérisée chez certains individus ? Pour utiliser cette biotechnologie en élevage, il serait plus juste d’élaborer un règlement au cas par cas, s’appuyant sur les applications et non sur la technologie. L’organisation mise en place pour améliorer l’évaluation génétique des animaux de production devra continuer d’assurer leur traçabilité. Par ailleurs, communiquer, expliquer sera également primordial pour rassurer sur la qualité des travaux menés, si l’on ne veut pas risquer un rejet massif de la part du grand public, comme cela s’est déjà produit en matière d’organismes génétiquement modifiés (OGM) !


VÉRONIQUE LAMBERT