Entreprise vétérinaire : des consultants aux petits soins ! - La Semaine Vétérinaire n° 1834 du 13/12/2019
La Semaine Vétérinaire n° 1834 du 13/12/2019

DOSSIER

Auteur(s) : TANIT HALFON 

Face aux évolutions des modes organisationnels des cliniques vétérinaires, des consultants indépendants proposent de mettre leurs compétences au service de la gestion d’entreprises. Organisation du travail, des ressources humaines, de la visibilité numérique voire définition des orientations stratégiques, les services qu’ils proposent répondent aux nouveaux besoins des praticiens.

Dans la famille vétérinaire, je demande… le consultant en gestion d’entreprise !« Quand je me suis lancée en 2010, nous n’étions que quelques-uns », raconte Hélène Villarroya, de la société Adevet, qui accompagne les entreprises vétérinaires. Depuis, la famille s’est agrandie. Si aucune donnée chiffrée n’existe, un rapide tour d’horizon fait apparaître une dizaine de structures consacrées spécificiquement à la profession. Gestion du personnel, organisation du temps de travail, développement de l’activité, visibilité numérique… Les services proposés sont multiples et répondent à une demande croissante d’un secteur de plus ou plus ouvert à cette forme d’aide. « Les praticiens se rendent compte qu’aborder la gestion d’entreprise permet d’améliorer les conditions de travail et l’efficacité. La conséquence est souvent l’amélioration de la qualité de la prise en charge des “patients” », explique Jean-Philippe Duval, qui, avant de se lancer dans l’activité avec Vetaction Conseil, avait officié en tant que consultant d’entreprise chez Pfizer. Même constat pour Hélène Villarroya : « Je note un changement dans la nature de la demande. Avant, les praticiens me sollicitaient pour résoudre un problème urgent, comme une baisse de chiffre d’affaires, maintenant, ils sont plus dans l’anticipation et la construction. » Pierre Mathevet, consultant d’entreprise et président de la société Tirsev, tournée vers la santé animale, indique : « L’augmentation de la taille des entreprises, les difficultés de recrutement, les exigences des jeunes générations, tout cela génère beaucoup de questions. » À cette prise de conscience s’ajoute le fait que les praticiens sont plus enclins à payer ce service. « Au départ, ils m’appelaient pour savoir s’il existait des moyens de se faire financer. Aujourd’hui, ils paient, souligne Hélène Villarroya. Beaucoup de conseils gratuits étaient auparavant proposés par des laboratoires, ce service était donc perçu comme gratuit. Désormais, le praticien se rend compte de la vraie valeur apportée et de la nécessité du besoin d’accompagnement. » À hauteur de leurs moyens. « Dans le milieu vétérinaire, le budget consacré à la communication reste encore très en dessous d’autres secteurs, précise Jean-Philippe Duval. Cela représente moins de 1 % de leur chiffre d’affaires quand ce pourcentage monte à 5 ou 6 %, voire beaucoup plus, pour d’autres types d’entreprises. »

Sortir du brouillard

« Les vétérinaires ont l’intuition ou la connaissance des problèmes, mais ne savent pas comment les aborder. Ils me disent qu’ils ont besoin de quelqu’un pour les aider à sortir du brouillard », souligne Jean-Philippe Duval. Pas facile de mener de front une activité médicale stricto sensu et la direction du “bateau entreprise”. « Chez les vétérinaires, une problématique réelle et permanente est le manque de temps, constatent les associés d’ADN Vet Conseil, Christian Pena et Mathieu Buonavita, eux-aussi des anciens de l’industrie de la santé animale. L’idée est donc d’essayer d’amé liorer l’organisation interne afin de mieux raisonner leur activité. » En outre, l’augmentation de la taille des structures vétérinaires complique l’exercice de gestion et révèle souvent des problématiques organisationnelles. « À partir de 15 personnes, on le constate, note Jean-Philippe Duval. Un exemple type est celui de l’auxiliaire spécialisé vétérinaire (ASV) qui est tout le temps dérangé par des appels téléphoniques à l’accueil. Alors qu’il suffit d’installer un poste téléphonique en arrière-boutique, avec un standardiste qui pourra aussi s’occuper du courrier, du planning… permettant à tous les autres de se libérer du temps. Une action simple à mettre en place, mais qui peut changer la vie des gens. » Dans ces grosses structures apparaît aussi clairement l’importance de la gestion d’équipe. Une thématique chère à Pierre Mathevet : « Je constate que les outils de relations interpersonnelles, si importants dans le management comme dans la relation client, manquent aux vétérinaires. » Or, « un vétérinaire et un ASV, c’est déjà une équipe », précise-t-il. Les praticiens peuvent aussi avoir des demandes plus stratégiques, comme la valorisation des services de la clinique ou l’amélioration de leur visibilité. Si elles varient d’une structure à l’autre, elles traduisent un besoin d’accompagnement. « La lecture d’un rapport d’audit met en évidence des choses pressenties, mais pour faire la différence, il faut passer de la prise de conscience à la réalisation, explique Jean-Philippe Duval. L’accompagnement permet de s’assurer que les recommandations sont suivies et qu’elles étaient pertinentes. » « J’ai une approche de coaching, la demande des structures est un accompagnement dans la durée », argue, pour sa part, Pierre Mathevet. Pour mieux répondre aux attentes, les associés d’ADN Vet Conseil indiquent qu’ils ont développé des offres “distancielles” : « Le client peut nous solliciter en permanence et avoir accès à l’arsenal de ressources dont nous disposons. »

Un accompagnement sur mesure

Avec l’évolution des modes d’organisation des cliniques vétérinaires, l’image du binôme une clinique-un consultant se complexifie. Si les structures de grande taille peuvent avoir internalisé certaines compétences – « à partir de 3 à 4 millions de chiffres d’affaires, il est impossible de s’en passer », indique d’ailleurs Jean-Philippe Duval –, le consultant externe a toujours sa place. « Nous accompagnons les managers de clinique, associés ou responsables des ressources humaines dans la réalisation d’un état des lieux objectif des forces de leur équipe. Puis, nous les aidons à programmer et à animer des réunions d’équipe efficaces », précise les associés d’ADN Vet Conseil. Pour eux, il est nécessaire d’avoir des rôles clairement définis et l’apport d’un œil extérieur permet d’avoir « une vision globale, réelle et un référentiel en matière de bonnes pratiques ». « Les cliniques peuvent avoir des managers pour gérer l’opérationnel, qui peuvent eux-mêmes avoir besoin de solutions pour les aider et parfois aussi vouloir un accompagnement pour des réflexions plus stratégiques. Ce sont des interlocuteurs privilégiés », indique, quant à elle, Hélène Villarroya. Initialement réservés aux achats groupés, les groupements d’intérêt économique (GIE) diversifient leurs offres de services, et dans ce cadre peuvent aussi faire appel aux consultants, comme l’explique Jean-Philippe Duval. « Depuis quatre à cinq ans, des GIE font une force de leur union pour se former, en organisant des sessions qui n’auraient pas été à la portée financière d’une petite structure. Ça fonctionne bien. » « Je travaille avec plusieurs GIE dans la durée, à différents niveaux, le premier étant la formation », confirme Pierre Mathevet. Les GIE sont aussi particulièrement friands de solutions en stratégie, comme l’indiquent les associés d’ADN Vet Conseil : « Nous intervenons davantage en amont sur des orientations stratégiques pour les aider à mieux se différencier et démarquer des autres. »

Des nouvelles opportunités

Cette évolution du paysage vétérinaire ne modifie pas les offres d’ADN Vet conseil, « car nous restons à l’écoute des évolutions du marché, des comportements des propriétaires, des adaptations choisies par les praticiens pour la prise en charge des cas. » Cela peut même créer de nouvelles opportunités, comme le constate Jean-Philippe Duval à propos des GIE : « Elles sont intéressantes, car certaines de mes actions peuvent être mutualisées. De plus, les vétérinaires qui adhèrent à ces groupements sont généralement plus ouverts aux questions relatives à la gestion d’en treprise. » « Les nouvelles organisations ne changent pas foncièrement mon travail, qui repose toujours sur l’accompagnement des cliniques, souligne Hélène Villarroya. La différence réside dans le fait qu’il faut coconstruire des outils qui servent à l’ensemble du groupe, et que chaque clinique puisse l’intégrer à sa pratique en tenant compte de ses propres contraintes. » Mais elle ajoute : « Certaines organisations fonctionnent plutôt sur un mode descendant. » Dans ce cas, le principe est de développer une méthode et de la reproduire à l’infini, mais ça ne tient pas forcément compte de la nature de l’équipe. « Il est possible que, financièrement, cela soit mieux, et que ça puisse convenir à certains vétérinaires, mais cela ne respecte pas l’équilibre de la structure. Apporter une recette à laquelle il faut adhérer, pour moi, ce n’est pas du conseil. » De l’avis de tous, le consultant extérieur a donc toujours sa place. « Aujourd’hui, ce besoin de professionnalisation et de gain d’efficacité sur la gestion d’entreprise est valable pour toutes les cliniques, en particulier celles dans un environnement concurrentiel, assure Hélène Villarroya. Il y a des praticiens qui iront chercher des solutions toute faites, comme celles que proposent les réseaux. D’autres préféreront développer leur propre méthode. C’est un choix. »

VEILLER AU NUMÉRIQUE

“Prendre soin” de son entreprise vétérinaire nécessite aussi désormais de se soucier de sa présence numérique. Certains consultants en ont fait leur secteur principal d’activité. C’est le cas de Grégory Santaner. J’ai commencé à m’intéresser au numérique dès ma sortie d’école, en 1999, et même pendant ma scolarité. À l’époque, j’avais fondé ma première entreprise qui proposait aux praticiens la création de sites internet. Ce fut un échec, car bien trop en avance par rapport au marché potentiel. Malgré tout, j’ai continué à me former, tout en étant praticien. Progressivement, j’ai accepté des missions de consultant, d’abord pour les laboratoires. Elles ont pris de plus en plus de place et, en 2017, j’ai arrêté la pratique pour m’y consacrer à temps plein. Actuellement, les cliniques vétérinaires constituent 15 à 20 % de mon activité. Mon intervention se fait le plus souvent dans le cadre d’un accord avec un groupement d’intérêt économique (GIE), parfois financé par un laboratoire. Ma mission principale consiste à réaliser une analyse globale de la présence du numérique et à accompagner les structures dans leurs évolutions à la suite de ces audits. Je note aussi, depuis deux à trois ans, des demandes croissantes en community manager, que j’ai refusées. En effet, je considère qu’il vaut mieux internaliser ces pratiques en formant les auxiliaires spécialisés vétérinaires pour personnaliser les contenus. L’évolution du marché vétérinaire va générer des besoins croissants en consultants externes pour affiner les stratégies numériques. D’ici quelques années, si 30 % des établissements vétérinaires appartiennent à un groupe, les cliniques indépendantes auront besoin de compétences numériques pour rester concurrentielles face à ces groupes performants dans les usages numériques. Pour l’instant, le marché vétérinaire français n’est pas totalement mature pour attribuer des ressources financières au développement numérique, mais cela commence à changer. Des études à venir sur le retour sur investissement de ces stratégies numériques et l’arrivée de nouvelles générations de dirigeants d’entreprises vétérinaires vont accélérer ce changement.

RETOURS D’EXPÉRIENCE

Pourquoi faire appel à un consultant en gestion d’entreprise ? Deux vétérinaires expliquent leurs motivations. Rachel Ballery-Hervé est vétérinaire associée à la clinique des Hutins (Saint-Julien-en-Genevois, Haute-Savoie). Cettesociété d’exercice libéral à responsabilité limitéecomprend 5 associés, 14 vétérinaires salariés, 25 ASV, 2 comptables et 2 agents d’entretien.
Nous avons eu la chance de connaître une croissance rapide qui nous a fait passer d’une structure familiale composée d’une dizaine de personnes à 50. Avec cette augmentation de taille, est apparu un besoin en matière de gestion des ressources humaines et de communication interne. Il fallait formaliser les choses. Au départ, nous avons engagé le consultant pour des interventions ponctuelles. Depuis quatre ans, il consacre quatre journées par mois à notre structure. Nous lui déléguons toujours plus de missions, comme la gestion du digital ou une partie de celle du personnel, dont le recrutement des ASV, leurs entretiens individuels et leur formation. Il a, par exemple, élaboré un recueil de procédures pour l’arrivée de nouvelles ASV, intégré à une forme de “passeport de formation“ qui les accompagne durant leur apprentissage. Le fait que le consultant soit extérieur à notre structure est un plus, car il peut dire les choses et les ASV peuvent se confier à lui plus facilement.
Vétérinaire spécialiste européen et américain en médecine zoologique, Minh Huynh exerce en tant qu’entrepeneur libéral dans un centre hospitalier vétérinaire et dirige trois salariés à temps partiel (deux CDI et un CDD).

En faisant appel à un consultant, mon objectif était de bénéficier d’un regard extérieur, qui connaît bien les mondes de l’entreprise et vétérinaire, pour m’accompagner dans la définition de mes priorités. Après 10 années d’exercice, je ne cherchais pas spécialement à développer mon activité, mais plutôt à apprendre à mieux répartir mes efforts. Cette intervention était d’autant plus nécessaire que je ne suis pas familier des questions relatives à l’entreprise. De plus, mon statut est particulier et mon activité hyper-spécifique. Cela m’a, par exemple, permis de réorienter mon activité pour faire plus de référé. Actuellement, je traite environ 60% de première intention, et l’idée serait d’inverser la tendance. J’ai pu aussi redéfinir ma stratégie de communication externe et interne, notamment vis-à-vis de mes référents et de mes clients.

LE POINT DE VUE DE PIERRE-MARIE CADOT

Constatez-vous un essor de l’activité de consultants d’entreprise dans le secteur vétérinaire ?
Oui, l’offre commence à s’étoffer, mais nous ne disposons, à ce jour, d’aucune donnée chiffrée sur le nombre de consultants. Plusieurs d’entre eux assistent aux rencontres de l’association Ergone.

Que pensez-vous de ce service ?
Si le vétérinaire est capable de gérer des problématiques médicales, il n’a jamais été formé pour piloter une entreprise. Pour le praticien qui exerce en solo ou en groupe, les responsabilités de dirigeant d’entreprise sont les mêmes. Je pense qu’il est utile de faire appel à un consultant sur des sujets précis. En revanche, on ne pourra se rendre compte de la qualité du service apporté qu’après son intervention, quand les nouvelles solutions prendront vie.

Qu’est-ce qui explique qu’un vétérinaire fasse appel à un consultant ?
Il peut intervenir soit pour apporter des solutions nouvelles en cas de crise, de gouvernance, de ressources humaines (RH), de difficultés de gestion… mais aussi dans le cadre d’un accompagnement pour développer l’entreprise autour de projets de croissance interne ou externe. Tant que son activité est en croissance, le vétérinaire n’a pas forcément conscience de l’intérêt de ces services. Mais s’il ne définit pas de stratégie, s’il n’anticipe pas sa gestion d’entreprise, il peut s’exposer à des difficultés.

Ne pourrait-on pas envisager de nouveaux profils, intégrés aux structures vétérinaires, qui auraient des compétences en gestion d’entreprise ?
Le problème est qu’une seule personne peut difficilement être à la fois très compétente en RH, en gestion financière, en communication… De toute façon, la mission du ou des dirigeants est d’apporter sens et vision à leur entreprise vétérinaire. Qu’ils soient aidés par une ressource interne ou un consultant, le plus important, c’est que l’entreprise s’adapte à son environnement.

1 Créée en 2009, Ergone est une association avec pour objectif de partager les expériences autour de la gestion d’entreprise.
À la date de notre interview, Pierre-Marie Cadot était président d’Ergone. Depuis le 10 octobre, il a démissionné de ses fonctions et a lancé sa propre société de consultants en gestion d’entreprise, Eunoia.

LES LABORATOIRES “CONSULTENT” AUSSI

Certains laboratoires pharmaceutiques proposent aussi un service de consultants en gestion d’entreprise. Exemple avec MSD Santé animale, qui a monté depuis près de cinq ans une équipe de business partners. « Notre objectif est d’accompagner le vétérinaire dans le développement de son activité », explique Camille Villard, directrice des opérations Bravecto. Parmi les sujets particulièrement demandés par les cliniques, elle cite la médicalisation du chat, mais aussi le digital. « Nous proposons également d’analyser les données d’activités des cliniques, afin d’identifier les leviers sur lesquels agir. » Si l’offre est orientée vers l’activité vétérinaire canine, le laboratoire étudie la possibilité de l’étendre à la rurale.