Les vaccins avec AMM pour les mammites : qu’en attendre réellement ? - La Semaine Vétérinaire n° 1834 du 13/12/2019
La Semaine Vétérinaire n° 1834 du 13/12/2019

CONFÉRENCE

PRATIQUE MIXTE

Formation

Auteur(s) : CLOTHILDE BARDE 

L’obtention de vaccins efficaces contre les mammites des ruminants laitiers est très attendue, mais c’est une entreprise difficile. Actuellement, seuls deux vaccins produits par le laboratoire Hipra SA sont disponibles en Europe pour les vaches laitières : Startvac®, contre les infections mammaires induites par Escherichia coli et Staphylococcus aureus, et Ubac®, qui cible les infections dues à Streptococcus uberis. C’est pourquoi le conférencier Pascal Rainard a souhaité, au vu des connaissances actuelles en vaccinologie et en immunologie de la mamelle, faire le point sur l’efficacité de ces vaccins sur le terrain.

Des obstacles à l’efficacité vaccinale

Pour être efficace contre les mammites cliniques et subcliniques, les vaccins doivent agir au niveau de la mamelle et cibler les multiples bactéries responsables. Mais plusieurs obstacles s’opposent à leur efficacité. Ainsi, la mamelle en lactation est propice à la multiplication des bactéries qui possèdent l’équipement enzymatique pour dégrader le lactose ou les caséines dans le canal du trayon, soit la plupart des bactéries retrouvées lors de mammites à l’exception de S. uberis. De plus, le lait dilue certains éléments de défense de l’organisme (complément ou anticorps), il inhibe l’activité de la lactoferrine, par exemple1, et il contrarie les activités bactéricides des cellules phagocytaires2. Par ailleurs, l’épithélium mammaire n’est pas protégé par un mucus capable de concentrer les anticorps adaptés à la protection locale sans induire d’inflammation (immunoglobulines A [IgA] sécrétoires)3. Par conséquent, une vaccination locale, reposant sur l’induction d’une synthèse locale d’anticorps, a peu de chance d’induire une protection efficace de la mamelle en lactation. Dans le même temps, la protection de la mamelle est aussi rendue difficile par la nature des bactéries responsables de la plupart des infections mammaires. En effet, ce sont généralement des bactéries commensales de la vache laitière (E. coli, S. uberis et S. aureus), qui peuvent par conséquent être tolérées par son système immunitaire malgré leur potentiel pathogène. De plus, la variabilité génomique des souches responsables de mammites qui utilisent des stratégies différentes pour exprimer leur pouvoir pathogène pose problème4. Ainsi, pour E. coli, le lipopolysaccharide (LPS), avec l’activité endotoxique du lipide A, est responsable de l’essentiel du pouvoir pathogène. Concernant S. aureus, des stratégies de contre-attaque (enzymes, toxines) ou d’évitement (slime, survie intracellulaire) du système immunitaire sont adoptées5. Enfin, pour S. uberis, les mécanismes ne sont pas bien connus.

Plusieurs approches explorées visant l’induction d’anticorps

Dans un tel contexte, les solutions vaccinales classiquement proposées pour induire une protection efficace de la mamelle reposent essentiellement sur l’immunité à médiation humorale (induction d’anticorps). À cet égard, elles peuvent permettre une neutralisation des toxines (antitoxines) pour S. aureus, voire E. coli, une opsonisation pour faciliter la phagocytose par les polynucléaires neutrophiles de toutes les bactéries ou limiter l’adhésion à l’épithélium et l’invasion des cellules épithéliales mammaires par des antiadhésines (S. aureus et S. uberis)6. Plusieurs approches visant l’induction d’anticorps ont été explorées, comme l’utilisation de différents adjuvants, de vaccins ADN avec différentes voies d’administration : locale (intramammaire), locorégionale (zone drainée par les ganglions rétromammaires), systémique sous-cutanée ou intramusculaire.

Or, sont-elles suffisantes pour obtenir une bonne protection ? Les études montrent que les infections naturelles (S. aureuset les souches de E. coli non capsulées) n’induisent pas de protection complète de la mamelle. Pour les souches d’E. coli encapsulées et celles de S. uberis, seule une diminution de la sévérité de l’infection (sans réduction de l’incidence des nouvelles infections) est obtenue, ce qui conduit à conclure que la vaccination locale avec des bactéries vivantes (antigène) n’est pas efficace. On peut donc douter du succès d’une approche vaccinale qui reposerait uniquement sur l’induction d’anticorps circulants mobilisables dans la mamelle et le lait au prix d’une réaction inflammatoire permettant l’exsudation de plasma.

Startvac®, un vaccin à utiliser en association

Selon le résumé des caractéristiques du produit (RCP), le vaccin Startvac® est composé d’une association de bactéries tuées des souches E. coli J5 et S. aureus SP140 (exprimant fortement un complexe antigénique de surface associé à la production de slime)7. Il vise donc à induire des anticorps dirigés contre le slime de S. aureus et des antigènes partagés par les entérobactéries, et apporte donc peu de nouveautés par rapport aux préparations vaccinales antérieures (vaccins à base de bactéries tuées entières)8. Toutefois, l’association avec les bactéries J5 pourrait en principe modifier l’intensité ou la nature de la réponse vaccinale. Pour tester cette hypothèse, quatre essais de terrain ont été réalisés9. Ils ont révélé que l’utilisation de ce type de vaccins permet une diminution de la sévérité des mammites cliniques dans les troupeaux qui ont des mammites à S. aureus ou E. coli. Cependant, ce résultat positif n’a pas été retrouvé dans d’autres études10 et ce vaccin devra toujours être utilisé en association avec d’autres mesures de contrôle, car il est peu efficace pour réduire l’incidence des nouvelles infections, les numérations cellulaires du troupeau et empêcher l’installation d’une infection staphylococcique chronique.

Le vaccin Ubac® permet de réduire les symptômes

Par ailleurs, en ce qui concerne Ubac®, premier vaccin contre les infections mammaires des vaches laitières par S. uberis, administré par voie intramusculaire en émulsion avec l’adjuvant Hipramune® U11, les résultats des études ont montré que les symptômes cliniques, l’excrétion de bactéries et la baisse de production ont été réduits chez les vaches ayant une mammite clinique et vaccinées par rapport aux contrôles. Un mécanisme est mis en avant pour expliquer l’effet du vaccin : les anticorps anti-LTA. Ils préviendraient l’adhésion des bactéries aux cellules épithéliales mammaires. En effet, d’après les recherches, le sérum des vaches vaccinées contient un anticorps monoclonal anti-LTA, capables de réduire la production de slime par la souche vaccinale. Enfin, une affiche présentée par Hipra au congrès du National Mastitis Council (NMC) à Milan (Italie), en 2018, illustre que le vaccin induit des anticorps qui reconnaissent des souches variées de S. uberis sans pour autant démontrer une diminution de l’adhésion des souches à des cellules épithéliales.

Des résultats mitigés

Comme l'indique le conférencier, ces vaccins ne révolutionnent donc pas les approches vaccinales explorées antérieurement, car les résultats obtenus sur le terrain sont comparables aux vaccins J5 ou à base de staphylocoques tués commercialisés en Amérique. Toutefois, même si nous manquons de références et que le mécanisme d’action exact reste inconnu, les premiers essais de terrain indiquent une réduction de la fréquence des mammites cliniques. Selon lui, ces vaccins ont certainement induit des effets sur l’immunité à médiation cellulaire, mais ils n’ont pas été mesurés. En conclusion, les vaccins avec autorisation de mise sur le marché (AMM) peuvent constituer un élément parmi d’autres dans un programme complet adapté à la situation des élevages confrontés à une situation problématique de mammites cliniques, comme indiqué dans les résumés des caractéristiques du produit (RCP).

1 Rainard and Riollet, 2006.

2 Paape et coll., 2003.

3 Rainard, 2017.

4 Germon et coll., 2016.

5 Rainard and Foucras, 2012.

6 Erskine, 2012.

7 Poutrel and Le Page, 2012.

8 Middleton et coll., 2009; Wilson et coll., 2007.

9 Poutrel, 2017.

10 Freick et coll., 2016.

11 Collado et coll., 2018.

Pascal Rainard Inra, unité d’infectiologie et de santé publique. Article rédigé d’après une présentation faite lors des journées nationales des GTV, du 15 au 17 mai.