Hémorragies péri-opératoires : prévention et prise en charge - La Semaine Vétérinaire n° 1836 du 10/01/2020
La Semaine Vétérinaire n° 1836 du 10/01/2020

SYNTHÈSE

PRATIQUE CANINE

Formation

Auteur(s) : JULIEN MICHAUT-CASTRILLO  

Les hémorragies péri-opératoires sont fréquentes et souvent sans conséquence pour l’animal lorsqu’elles sont prises en charge rapidement. Leur intensité et leur durée influencent les moyens mis en œuvre pour leur gestion.

L’hémostase

Rappels physiologiques

L’hémostase se déroule en trois phases : l’hémostase primaire, l’hémostase secondaire et la fibrinolyse. Lors de l’hémostase primaire, une vasoconstriction réflexe constitue le temps vasculaire, suivie aussitôt de l’adhérence plaquettaire en contact avec les cellules endothéliales lésées qui s’autoactivent et recrutent d’autres plaquettes et fixent le fibrinogène pour former un caillot. Puis un enchaînement de réactions enzymatiques se produit à la surface des plaquettes, des cellules endothéliales et des monocytes (coagulation). Le concept ancien décrivait la coagulation in vitro et mettait en jeu l’activation du facteur XII (voie intrinsèque) et le facteur tissulaire activant le facteur VII (voie extrinsèque) qui activent de manière commune le facteur X et permettent la polymérisation du fibrinogène en fibrine insoluble. Le concept actuel décrit de manière plus juste la coagulation in vivo et comprend trois phases : une phase d’initiation qui débute par l’expression du récepteur membranaire (facteur tissulaire, FT) formant une chaîne de complexes qui conduit à la formation d’une petite quantité de thrombine, puis une phase d’amplification aboutissant à la synthèse d’une grande quantité de fibrine et une dernière phase de propagation avec la polymérisation du fibrinogène en fibrine. Enfin, lors de la fibrinolyse, le plasminogène, synthétisé par le foie, est activé en plasmine et a pour rôle de limiter l’extension du caillot et de le reperméabiliser.

Évaluation biologique de l’hémostase

Une numération plaquettaire est fondamentale pour l’évaluation de l’hémostase primaire, la première cause d’anomalie de cette fonction étant la thrombopénie. En cas de thrombopénie, il convient de toujours suspecter une agrégation plaquettaire secondaire au prélèvement, très fréquente chez le chat, à la suite d’une lésion endothéliale, et donc une activation de la coagulation. Dans ce cas, un frottis sanguin doit être réalisé en dénombrant les plaquettes sur 10 champs et en multipliant ce chiffre par 15 000. L’hémostase secondaire s’évalue grâce aux temps de coagulation. Le temps de céphaline activé consiste à activer in vitro la voie intrinsèque de la coagulation avec de la céphaline. Une valeur supérieure à 30 % de la valeur du témoin est anormale. Il explore les facteurs I, II, V et VIII à XII. Le temps de Quick consiste à mesurer le temps de formation d’un caillot de fibrine en présence de FT en excès. Il explore les facteurs I, II, V, VII et X. Il est important que ces deux examens soient réalisés moins de 1 heure après le prélèvement pour être fiables. Le dosage du fibrinogène est souvent associé au temps de coagulation, car les anomalies de fibrigonémie sont fréquentes (coagulation intravasculaire disséminée, coagulopathie traumatique). Le taux normal est de 1,5 à 4 g/l. Lorsqu’une hyperfibrinolyse est suspectée, les produits de la dégradation de la fibrine et du fibrinogène (PDF) et les D-dimères (issus de la dégradation de la fibrine uniquement) peuvent être dosés, ce deuxième paramètre étant plus sensible et plus spécifique.

Prise en charge d’une hémorragie peropératoire

Le chirurgien mais aussi l’anesthésiste doivent agir ensemble lorsqu’une hémorragie se produit.

Mécanisme d’action physique du chirurgien

Dès lors qu’une hémorragie se produit, le chirurgien doit immédiatement agir afin d’arrêter le saignement. Le premier réflexe est la compression au doigt à l’aide d’une compresse, puis la mise en place d’une pince hémostatique sur le vaisseau lésé. Cela permet ensuite de ligaturer de manière précise le vaisseau atteint. Si ce dernier est difficile d’accès pour mettre en place une ligature, des hémoclips peuvent être utilisés. Si le saignement provient d’un organe parenchymateux (foie, poumon), des pinces d’autosutures permettent une bonne hémostase. Il est recommandé d’utiliser des éponges hémostatiques en cas de saignement diffus et modérés.

Lors de petits saignements, le recours au bistouri électrique (monopolaire ou bipolaire) est possible. Une solution alternative à l’électrocoagulation est la fusion tissulaire comme la thermofusion, qui dénature les fibres de collagène et l’élastine des vaisseaux, ou le scalpel harmonique, qui utilise les ondes ultrasoniques pour coaguler et couper les tissus à faible température. Le laser (diode, CO2) libère de l’énergie sous des photons formant une lumière monochromatique qui va coaguler et couper les tissus. Des précautions sont à prendre lors de son utilisation (lunettes de protection, aspiration des fumées et protection des tissus adjacents).

Le chirurgien peut également réduire le flux sanguin vers les extrémités en plaçant un garrot d’Esmarch sur la partie proximale du membre opéré. Une ligature temporaire peut être placée sur certains vaisseaux, notamment l’artère hépatique et la veine porte (manœuvre de Pringle) en cas d’hémorragie hépatique. D’autres peuvent être ligaturés de manière définitive comme les veines jugulaires, les artères carotides communes (pas chez le chat) ou l’artère brachiale.

La fluidothérapie par l’anesthésiste

Lors d’une hémorragie, l’oxygénation des tissus est diminuée du fait d’une baisse du débit cardiaque et du taux d’hémoglobine. Cela se traduit par une augmentation de la fréquence cardiaque (qui peut être masquée par l’utilisation de molécules cardiodépressives comme les α-2-agonistes ou le fentanyl), une disparition du pouls, des muqueuses pâles et des arythmies cardiaques.

En cas d’hémorragie aiguë, il convient de procéder à un remplissage rapide, afin de rétablir le débit cardiaque en perfusant des cristalloïdes isotoniques à défaut de transfuser, malgré une légère dilution sanguine. Si la perte sanguine est supérieure à 30 % du volume sanguin total, il sera nécessaire de poursuivre la prise en charge en transfusant ou, à défaut, en perfusant des colloïdes afin d’éviter une hémodilution trop sévère qui entraînera un œdème interstitiel. Le suivi de l’hématocrite est inutile en phase aiguë, car il y a une perte de sang, donc l’hématocrite ne changera pas même si la perte sanguine est massive.

En cas de choc hypovolémique, les fluides doivent être administrés de manière rapide (90 ml/kg chez le chien, la moitié moins chez le chat). Une solution alternative est l’administration de cristalloïdes hypertoniques (NaCl 7,5 %) par bolus de 1 à 4 ml/kg, trois fois par heure au maximum, associée à la perfusion de cristalloïdes isotoniques, uniquement si l’animal est normohydraté et seulement en urgence.

La transfusion

La décision de transfuser1 se fonde surtout sur l’état clinique, le type d’intervention (exemple : splénectomie avec hémoabdomen) et, dans une moindre mesure, les valeurs seuils d’hémoglobinémie (Hb < 5-6 g/dl) et de l’hématocrite (Ht < 15-20 %) préopéraroires. La coagulation intravasculaire disséminée, qui peut être secondaire à un gros traumatisme, est la coagulopathie principale pouvant nécessiter une transfusion préopératoire qui apportera des facteurs de coagulation et de globules rouges.

1 Voir La Semaine Vétérinaire n° 1833 du 6/12/2019, page 21.

Anthony Barthelemy, praticien hospitalier au Siamu de VetAgro Sup (Lyon) Cyrill Poncet, Dip. ECVS, praticien au CHV Frégis (Arcueil, Val-de-Marne) Luca Zilberstein, Dip. ECVAA, praticien au CHV Advetia, Vélizy-Villacoublay (Yvelines) Céline Pouzot-Nevoret, diplômate ECVECC, responsable de l’unité Siamu de VetAgroSup (Lyon).