ENTRETIEN
PRATIQUE CANINE
L'ACTU
Auteur(s) : PROPOS RECUEILLIS PAR TANIT HALFON
La consultation de médecine préventive vise à réduire le risque d’apparition d’une maladie et à en limiter ses conséquences. Elle s’inscrit dans une pratique raisonnée de la médecine vétérinaire, dans laquelle le propriétaire est pleinement intégré à la chaîne de soins de son animal. Notre confrère Ludovic Freyburger (GEMP de l’Afvac) livre ses éclairages.
Ludovic Freyburger, directeur de la formation vétérinaire chez SantéVet, consultant en médecine préventive à VetAgro Sup1 et président du nouveau groupe d’études en médecine préventive (GEMP) de l’Afvac2, fait le point sur les usages et l’intérêt de la consultation de médecine préventive. Fondée sur une analyse de risque propre à chaque individu, cette nouvelle approche promet une valorisation de l’image de la profession.
Il s’agit d’une discipline clinique qui vise à préserver l’état de bonne santé d’un animal tout au long de sa vie, à identifier et limiter les risques de sa dégradation, ainsi qu’à empêcher la transmission de zoonoses. Elle se démarque totalement de la médecine en pathologies médicale et chirurgicale dans laquelle le vétérinaire prend soin d’un animal malade, et pour laquelle sa compétence reste incontournable pour la prise en charge médicale du “patient”. En médecine préventive, l’animal présenté en consultation n’est pas malade. Cette nouvelle approche ne va pas de soi, car les praticiens n’y ont pas été formés spécifiquement. Pourtant, elle suit l’évolution des attentes sociétales, tout comme celle des sciences qui ont mis en exergue l’importance de raisonner ses pratiques, entre autres, vaccinales. Dans ce contexte, le praticien a deux choix : se saisir de cette question ou laisser à d’autres acteurs cette activité, notamment de conseil (éleveurs, éducateurs, etc.).
Évidemment. La différence fondamentale est que la consultation vaccinale nécessite une vaccination. Or, en matière de prévention, le vaccin n’est qu’un élément parmi d’autres. En outre, il a été démontré qu’un rappel annuel de vaccination n’était pas obligatoire pour l’ensemble des valences vaccinales. Parler de consultation annuelle de santé ne convient pas non plus : par exemple, le suivi d’un chat en surpoids implique de le voir plusieurs fois par an. Il est donc important, à mon sens, de parler de consultation de médecine préventive. Cela fait, en plus, prendre conscience au propriétaire qu’il s’agit bien d’une consultation de médecine à part entière, qui relève de la compétence du vétérinaire.
La médecine préventive va de pair avec des pratiques raisonnées en matière de vermifugation, de vaccination… Quelle est la démarche à adopter pour les faire évoluer ?
Le praticien doit effectuer une analyse de risque individuelle dans tous les domaines pour lesquels une démarche de prévention apparaît nécessaire. Pour ce faire, il faut recueillir de manière exhaustive toutes les informations utiles sur l’animal, mais aussi sur son propriétaire et la relation qu’il entretient avec lui, car cela va forcément impacter les stratégies de prévention à mettre en œuvre : se renseigner sur les habitudes du propriétaire en matières de vacances, demander si une grossesse est en cours ou envisagée, afin d’adapter les protocoles de vaccination et les traitements antiparasitaires, etc. En médecine préventive, les prescriptions systématiques devraient être exclues, ce qui permet de remettre du sens médical dans la consultation et de valoriser l’image de la profession. De plus, faire comprendre aux propriétaires qu’une prescription est individualisée, et est évolutive tout au long de la vie de leur animal, justifie pleinement le fait de consulter son praticien au moins une fois par an. La démarche intégrative de la médecine préventive revient aussi à raisonner ses actes. Par exemple, en cas de surpoids avéré chez une chienne en croissance, il conviendra de repousser la stérilisation, pour pouvoir avant tout gérer cette problématique. Cette décision est d’ailleurs cohérente avec les discussions actuelles sur l’impact de la stérilisation de la chienne et du risque d’apparition des tumeurs mammaires.
Oui. Par exemple, en matière d’hygiène buccodentaire, le détartrage précoce est intéressant, car il limite le temps anesthésique et les processus douloureux, et permet aussi d’éviter l’installation de lésions qui seront difficilement récupérables. Il sera, bien sûr, à associer à des stratégies de prévention de formation du tartre, tels que le brossage de dents, afin de retarder les prochains détartrages. Pour les bilans biologiques, le fait de construire une banque de données individuelles s’inscrit totalement dans la démarche de médecine préventive, d’autant qu’il est connu que certains paramètres biologiques sont plus individuels que d’autres.
Il convient d’abord de prendre conscience que cette consultation s’aborde forcément différemment des autres, parce que l’animal n’est pas malade et qu’il s’agit d’une démarche volontaire de son propriétaire de l’amener en consultation. Je conseillerais de prendre le temps nécessaire pour bien expliquer les risques auxquels peut être soumis un animal. Rien ne sert de faire peur, pour avoir l’adhésion du propriétaire, il faut seulement placer les risques dans la réalité de leur dangerosité. De plus, traiter tous les sujets en une seule fois n’est pas une obligation, d’autant qu’il y a énormément d’informations à communiquer. Il est tout à fait possible d’indiquer au propriétaire que tel sujet sera abordé dans une consultation ultérieure. Par exemple chez le jeune, la question de la vaccination complémentaire ne pourrait être abordée qu’à partir de 6 mois d’âge, à condition d’expliquer pourquoi au propriétaire.
L’ordonnance est déjà un bon support pour laisser une trace écrite de son discours, pour peu qu’elle soit correctement et suffisamment détaillée, y compris quant aux conseils. Les fiches sont une bonne idée à condition qu’elles appuient le discours et soient utilisées dans la clinique par les vétérinaires ou les auxiliaires spécialisés vétérinaires. Par exemple, il est possible de demander au propriétaire de la lire, et de noter ses questions auxquelles une réponse sera apportée lors de prochaine consultation. L’idée, en médecine préventive, est bien d’engager le propriétaire dans la santé de son animal.
La médecine préventive permet de valoriser les actes vétérinaires. Elle développe aussi la satisfaction des clients et renforce leur confiance en leur clinique, ce qui les rend plus enclins à accepter les choix thérapeutiques dans les autres consultations. C’est donc bien un axe stratégique pour l’entreprise vétérinaire. Les compagnies d’assurances, quant à elles, encouragent cette démarche. Elles assurent un risque (maladie ou accident). Il est donc pertinent de maintenir les animaux en bonne santé, les frais étant possiblement couverts par les forfaits prévention des contrats s’ils sont compris.
Oui, mais elles sont très générales. À ce stade, le rythme des consultations pourrait être le suivant : 4 à 5 consultations pendant la première année de vie de l’animal, incluant la stérilisation, 1 à 2 consultations par an pour un animal adulte et 2 consultations par an pour un animal senior.
Oui et non. Pour ce qui est de savoir si l’animal vit mieux et plus longtemps avec des consultations de médecine préventive, nous manquons de données. Il faudrait entreprendre des méta-analyses multifactorielles, conduites pendant toute la vie d’un animal, ce qui s’avère extrêmement complexe. En revanche, en prenant chaque domaine indépendamment les uns des autres, le bénéfice est indéniable (vaccins, gestion des parasites, de la reproduction, alimentation, etc.). Pour ma part, je ne suis pas convaincu de l’intérêt de différencier l’EBP de l’evidence based medicine, car dans les deux cas, il s’agit bien de médecine.
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1 Ludovic Freyburger était auparavant enseignant-chercheur, responsable de la consultation de médecine préventive à VetAgro Sup.
2 Association française des vétérinaires pour animaux de compagnie.