DICTYOCAULOSE BOVINE : PERTINENCE D’UN TRAITEMENT SÉLECTIF À L’ÉCHELLE DE GROUPE - La Semaine Vétérinaire n° 1837 du 17/01/2020
La Semaine Vétérinaire n° 1837 du 17/01/2020

PRATIQUE MIXTE

FORMATION

Auteur(s) : CLOTHILDE BARDE

La dictyocaulose bovine est une maladie parasitaire pulmonaire des bovins causée par le strongle respiratoire Dictyocaulus viviparus et dont la prévalence en France est estimée à 13,75 %. Actuellement, le protocole thérapeutique suivi lors de suspicion clinique de dictyocaulose consiste à réaliser un traitement de l’ensemble du troupeau avec des anthelminthiques, même lorsque l’examen coproscopique est négatif (contrairement à la stratégie de traitement individuel suivie, sans succès, dans le cas clinique présenté précédemment1). Cette stratégie de traitement systématique se justifie par l’existence d’infestations asymptomatiques par D. viviparus chez les bovins2 et par le coût d’une analyse individuelle. Néanmoins, bien que très peu de cas de résistance à D. viviparus soient rapportés dans la littérature, ce risque n’est pas négligeable, et ce d’autant plus qu’à ce jour une seule molécule (éprinomectine) est utilisable sans délai d’attente pour le lait. Il est donc intéressant d’envisager de développer des stratégies de traitements sélectifs lors de dictyocaulose bovine, ce qui pourrait conduire à ne traiter que 50 % des animaux du lot et à constituer une population refuge de parasites non exposés à la molécule anthelminthique employée.

Traitement sélectif versus traitement systématique

C’est pourquoi, les chercheurs ont tenté, dans l’étude présentée ici, d’évaluer la pertinence d’un tel traitement en conditions de terrain, par le suivi de l’expression clinique et de la circulation du parasite pendant 3 mois. Il s’agissait d’un essai sur un petit nombre d’élevages avant d’envisager son évaluation et sa recommandation à plus large échelle. L’étude s’est déroulée sur cinq élevages entre les mois d’octobre 2016 et de janvier 2018 avec des animaux adultes en production qui présentaient une toux lors de la saison de pâturage (suspicion clinique de dictyocaulose). L’éleveur devait accepter de réaliser un traitement individuel par voie injectable d’une partie du lot, puis des suivis 1 et 3 mois après le traitement de l’évolution de la maladie dans l’élevage sur les primipares initialement prélevées et traitées et les multipares non traitées. Dans chaque élevage recruté, une première visite était réalisée pour confirmer la suspicion de dictyocaulose en réalisant des lavages bronchoalvéolaires ou LBA (sensibilité > 95 %) sur au moins deux animaux du lot, mais aussi des coproscopies individuelles (primipares et multipares) et une coproscopie de mélange (primipares). Une fois la maladie confirmée dans l’élevage, le traitement sélectif était mis en place avec de l’Eprecis°, seule éprinomectine injectable sans délai d’attente lait utilisable à ce jour en élevage bovin (posologie : 0,2 mg/kg, soit 1 ml/100 kg). Ce dernier ciblait uniquement les animaux les plus à risque de l’élevage, soit les primipares, ceux présentant des signes cliniques et les fraîches vêlées Au final, ce sont 18 animaux dans trois élevages qui ont été inclus dans cet essai. Au cours du suivi, l’analyse cytologique du LBA a révélé qu’aucune primipare (traitée) ne s’était réinfestée à J 30 et J 90 après traitement. Par ailleurs, en ce qui concerne les multipares, seules deux vaches non traitées se sont infestées après le traitement, soit une incidence durant l’étude de 4,4 % par mois pour les vaches non traitées. Enfin, le ressenti de l’amélioration clinique des vaches était positif chez tous les éleveurs.

Des résultats à confirmer

Cette étude a donc permis de confirmer l’intérêt de la cytologie du LBA pour diagnostiquer et suivre l’évolution d’un épisode de dictyocaulose dans un élevage. En effet, sur les cinq élevages suspectés d’être atteints cliniquement par la dictyocaulose, deux se sont révélés en réalité négatifs à la cytologie. La dictyocaulose n’est donc pas systématiquement la cause de la toux d’été dans un lot (60 % de prévalence troupeau), et la réalisation d’un diagnostic préalable à un traitement est nécessaire pour éviter un échec thérapeutique. De plus, la cytologie du LBA nous a permis de diagnostiquer la maladie dans trois élevages et sur sept individus alors que la coproscopie seule (individuelle et de mélange) aurait permis le diagnostic de la maladie uniquement dans deux élevages et sur trois individus. Ces résultats sont en accord avec la faible sensibilité de la coproscopie à l’échelle individuelle3,4 et la bonne sensibilité de la cytologie du LBA4 rapportées dans les études. L’analyse de l’éosinophilie pulmonaire sur liquide de LBA permet donc à la fois le diagnostic parasitaire de la toux ou de la polypnée et le suivi de l’efficacité du traitement. Enfin, en dépit de la persistance d’une circulation relativement faible du parasite dans les élevages de l’étude, tous les éleveurs ont noté une nette amélioration des signes cliniques après la réalisation du traitement sélectif sans rechute au cours des trois mois de l’étude. Pour confirmer l’efficacité des traitements sélectifs de la dictyocaulose et son intérêt financier, il serait donc intéressant de réaliser un essai clinique randomisé à plus large échelle comparant les traitement systématique et ciblé, et mesurant leurs impacts sur la production laitière du troupeau.

1. La Semaine Vétérinaire n° 1836 du 20/1/2020, pages 24 et 25.

2. May K., Brügemann K., König S., Strube C. 2018. The effect of patent Dictyocaulus viviparus (re) infections on individual milk yield and milk quality in pastured dairy cows and correlation with clinical signs. Parasit Vectors. 2018;11 (1):24.

3. Hagberg M., Wattrang E., Niskanen R. et coll. Mononuclear cell subsets in bronchoalveolar lavage fluid during Dictyocaulus viviparus infection of calves : a potential role for gamma/delta TCR-expressing cells in airway immune responses ? Parasite Immunol. 2005;27 (5):151-161.

4. Schnieder T, Daugschies A. Dose-dependent pathophysiological changes in cattle experimentally infected with Dictyocaulus viviparus. Zentralbl Veterinarmed B. 1993;40 (3):170-180.

Article rédigé d’après une conférence présentée par T. Lurier, T. Hilaire, C. Henon, G. Bourgoin et M.-A. Arcangioli lors du congrès de la SNGTV, du 15 au 17 mai.

QUELLES SONT LES MÉTHODES DIAGNOSTIQUES DE LA DICTYOCAULOSE ?

Le diagnostic de routine de la dictyocaulose se fait par la recherche de larves de stade 1 de D. viviparus par coproscopie de Baermann/Mc Kenna. Cette technique a une sensibilité très faible au niveau individuel chez les bovins adultes (estimée à 8 % pour le Baermann1), mais elle est toutefois utilisable à l’échelle du troupeau, si un grand nombre de prélèvements sont faits sur les animaux les plus à risque d’excréter le parasite (les primipares notamment). Une autre méthode de diagnostic de la maladie, est le lavage bronchoalvéolaire (LBA) qui permet à la fois de mesurer l’éosinophilie pulmonaire, en tant que réponse à la présence du parasite dans les voies respiratoires et, parfois, de mettre en évidence des adultes dans le liquide de lavage. Le LBA a une sensibilité de 91 % et une spécificité de 85,2 % à l’échelle individuelle1.

1. Lurier T., Delignette-Muller M. L, Rannou B. et coll. diagnosis of bovine dictyocaulosis by bronchoalveolar lavage technique : a comparative study using a bayesian approach. Preventive Veterinary Medicine. Prev. Vet. Med. 2018;154:124-131.