PRATIQUE CANINE FÉLINE NAC
ANALYSE
Auteur(s) : MARINE NEVEUX
L’AFVAC MÈNE UNE CAMPAGNE DE SENSIBILISATION SUR LA PROBLÉMATIQUE DE LA SÉLECTION D’HYPERTYPES. LES PRATICIENS EN SONT LA CLÉ DE VOÛTE.
Après deux ans de collaboration avec l’Académie vétérinaire de France, concrétisée par un avis académique sur les hypertypes canins, l’Association française des vétérinaires pour animaux de compagnie (Afvac) et l’académie, sous l’égide de la marque vétérinaire qui atteste du soutien de toutes les structures professionnelles, lancent une campagne de communication sur les hypertypes canins et félins. Elle se matérialise par des affiches pour les structures vétérinaires, qui expliquent, photos à l’appui, les conséquences des hypertypes, et l’engagement des praticiens pour lutter contre ce fléau. Les praticiens sont aussi encouragés à partager la publication sur leurs réseaux sociaux. Entretien avec Éric Guaguère et Gilles Chaudieu, past-président et vice-président de l’Afvac.
Gilles Chaudieu et Éric Guaguère : De telles déviances sont observées dans tous les pays. La prise de conscience de leurs méfaits est fonction de la culture cynophile nationale au sens large. En France, pour des raisons multiples, la santé est une préoccupation constante des clubs de races canins et félins, sous l’égide et l’impulsion de leurs organisations fédératives de tutelle : Société centrale canine (SCC) et Livre officiel des origines félines (Loof). Néanmoins, des hypertypes existent.
Depuis un peu plus d’un siècle, quel que soit le pays, le rôle utilitaire du chien et du chat au sein de nos sociétés s’est amenuisé avec l’urbanisation et l’évolution des sociétés. Concomitamment, la sélection de beauté s’est développée, au point que les critères morphologiques sont devenus le facteur quasi-exclusif de choix d’un animal de compagnie par des acquéreurs néophytes. Ainsi, les conditions étaient réunies pour qu’un circuit maintenant pénalisé par certains de ses effets pervers se mette en place.
Il faut fixer des limites. La première, générale, a été énoncée par Ake Hedhammar au congrès WSAVA/Fecava2 de Copenhague, au Danemark, en 2017 : « Des animaux dont le type extrême affecte la santé ou le bien-être ne devraient pas être utilisés en élevage. » La volonté de la SCC de ne pas séparer la beauté des aptitudes naturelles des races (test d’aptitudes naturelles, TAN ; épreuves de travail), celle du Loof d’intégrer les standards raciaux dans quatre types morphologiques principaux, fixent pour partie les variations des types raciaux dans des limites raisonnables, en tout cas compatibles avec le bien-être et la santé des chiens et des chats. Depuis presque 40 ans, la WSAVA met en garde contre les risques d’appliquer une politique de sélection morphologique dangereuse pour la santé des chiens, et conseille une étude attentive des standards de races pour relever les points susceptibles de favoriser une dérive dans ce sens.
Un standard n’est pas immuable et peut faire l’objet, si son pays d’origine les propose, de modifications dans sa rédaction discutées au sein de la Commission internationale des standards. Pour ce que nous en savons, la Fédération cynologique internationale est consciente de l’enjeu. Elle considère l’hypertype comme un défaut grave qui devrait être éliminatoire. La modification de standards des races où la description du type pourrait être extrême et susceptible d’induire un état de souff rance est impérative afin de poser les bases d’une sélection raisonnable, prévenant aussi et surtout l’installation d’une situation néfaste à long terme. Les modifications du standard du bulldog anglais eff ectuées en 2011 sont à cet égard éloquentes, montrant que l’idée de tendre vers un type moyen s’impose : “relativement”, “léger”, “légèrement”, “sans exagération”, “modérément”, “sans excès”, “un peu” reviennent à plusieurs reprises dans la rédaction. L’interprétation du standard par le juge, dans des conditions qui sont celles de son activité habituelle, est susceptible, s’il n’y prend garde, d’induire une dérive vers l’hypertype.
Bien qu’il ne soit pas négligeable, le nombre de vétérinaires impliqués en cynophilie doit progresser, afin de sensibiliser les éleveurs, clubs de races, juges qualifiés au fait qu’il est essentiel de produire dans le type et que, si le standard définit le type d’une race, la sélection est susceptible de modifier son interprétation de façon insidieuse d’abord, assumée ensuite, dès lors que la prime à l’hypertype devient la règle. Enfin, il est impératif de limiter à un chiff re raisonnable, selon l’eff ectif de chaque race, le nombre de saillies d’un étalon pour éviter la propagation d’un excès de type dans une race.
Le “faire-savoir” vétérinaire est actuellement insuffisant : nous devons nous exprimer sur les dangers liés à la production de sujets hypertypés. Les praticiens doivent mettre les acquéreurs face à leurs responsabilités. Les acquéreurs potentiels doivent être dissuadés d’acheter des animaux hypertypés par l’information délivrée dans les salles d’attentes ou aux banques d’accueil de nos établissements de soins (encadré). Ils doivent être sensibilisés aux problèmes qu’ils auront à aff ronter et au fait qu’il auront à assumer un choix que la tendance du moment leur aura inspiré pour partie, mais qui reste fondamentalement le leur. Ils doivent savoir que certains critères sont à respecter pour le bien-être du chien ou du chat, indépendamment de ceux qui ont guidé leur choix. Ils doivent être conscients que l’hypertype est de fait considéré comme un “état pathologique” dans la mesure où il peut, ne serait-ce que potentiellement, être nuisible au bien-être du chien ou du chat. Par ailleurs, la limite type-hypertype est fragile et rien ne peut garantir contre son franchissement au cours de la vie de l’animal.
Prendre position sur l’incapacité connue de certaines races à se reproduire ou/et à mettre bas naturellement (césariennes programmées obligatoires) est un sujet plus complexe.
Dans le cas où ce serait la règle dans la race, nous nous trouvons alors très souvent face à des eff ectifs dont ni l’importance numérique ni la variabilité génétique n’autoriseraient un “rétropédalage” en matière de standards. Un suivi vétérinaire au sein de ces clubs permettrait dans certains cas de repérer des lignées où ce type d’assistance est moins systématique, voire absent, et de privilégier une sélection sur de tels morphotypes. Dans le cas où le phénomène n’est connu que dans certaines lignées, les reproducteurs intéressés ne devraient plus être utilisés. Dans les deux cas, un partage entre vétérinaires des données médicales et chirurgicales pourrait permettre, après collecte systématique, un premier recensement des races et familles à risque.
1. Voir La Semaine vétérinaire…
2. World Small Animal Veterinary Association, Federation of Companion Animal Veterinary Associations.