SE PROTÉGER CONTRE LES AGRESSIONS - La Semaine Vétérinaire n° 1838 du 24/01/2020
La Semaine Vétérinaire n° 1838 du 24/01/2020

PROFESSION

ANALYSE

Auteur(s) : SERGE TROUILLET

Alors que le nombre de déclarations d’actes d’incivilité et d’agressions subis par les vétérinaires est en hausse, l’institution ordinale rappelle que les praticiens ne doivent rien laisser passer. Des référents départementaux des forces de l’ordre sont à leur écoute.

À la demande de l’Ordre, le préfet de la région Auvergne-Rhône-Alpes, Pascal Mailhos, a reçu, le 6 janvier, Jacques Guérin, président du Conseil national de l’Ordre des vétérinaires (CNOV), et Jean-François Mourier, secrétaire général du conseil régional de l’Ordre des vétérinaires (CROV) d’Auvergne-Rhône-Alpes, afin d’aborder le sujet des agressions et des incivilités subies par les vétérinaires. « Au-delà de cas ponctuels qui émeuvent le landernau vétérinaire, comme ce fut le cas en juin dernier à Pierre-Bénite avec l’agression de notre consœur Carine Heid1 (voir témoignage page 11), l’objectif de tels échanges avec les autorités compétentes en matière de sécurité est de faire vivre, de dynamiser les procédures existantes mais pas toujours suffisamment activées », explique Jacques Guérin.

Et de rappeler que les signalements recueillis par l’Observatoire Ribbens (encadré) minorent la réalité : « Les vétérinaires ne déclarent pas toutes les incivilités dont ils sont les victimes auprès de la gendarmerie, de la police et sur le site de l’Ordre. C’est un biais préjudiciable à la profession, car cela ne permet pas aux services de sécurité d’évaluer la menace véritable et de proportionner ainsi leurs réponses. Je recommande ainsi fermement aux confrères de ne rien laisser passer ! Ils sont trop résilients et absorbent trop ces questions d’incivilités. Le risque en est qu’elles ne montent d’un cran. »

Dans cet objectif de réactivation des circuits d’information et d’échanges, l’Ordre conseille régulièrement aux instances ordinales régionales de prendre contact avec les préfets pour évoquer les problèmes d’insécurité. Que chacun sache qui sont les référents de sécurité locaux et comment ils peuvent être contactés. « Notre époque, empreinte d’irrationnel avec ses dérives sur les réseaux sociaux, ses comportements d’enfants-rois, la déification de l’animal, l’échec non assumé, la banalisation de l’irrespect, nécessite que l’on revisite régulièrement le protocole de sécurité. Que l’on investisse constamment dans le relationnel. », analyse Jacques Guérin.

1. Voir La Semaine Vétérinaire n° 1820 du 7/9/2019, page 13.

Des référents départementaux réactivés

Dans notre région, observe Jean-François Mourier (L 81), secrétaire général du conseil régional de l’Ordre des vétérinaires d’Auvergne-Rhône-Alpes, comme partout, les incidents augmentent, mais étant la première région pour le nombre des praticiens (2 600), nous sommes également en tête pour celui des incivilités. Nos échanges avec le préfet et son responsable de la sécurité ont permis de revisiter les procédures actuelles, réactivant notamment la liaison avec les référents départementaux de la gendarmerie et de la police. L’objectif est de faciliter les échanges d’information dans les deux sens en temps réel. Lorsque, par exemple, comme cela a été le cas récemment, des vols d’échographes ont été constatés dans un ou plusieurs secteurs, les autres vétérinaires de la région peuvent en être aussitôt informés et se montrer ainsi plus vigilants. Pour ce qui des incivilités ou des agressions, l’Ordre n’entend pas se substituer aux vétérinaires, mais les informer, les conseiller, les épauler dans leurs démarches, voire se porter partie civile le cas échéant. »

Jean-François Mourier (L 81)

Secrétaire général du conseil régional de l’Ordre des vétérinaires d’Auvergne-Rhône-Alpes

TÉMOIGNAGE
Carine Heid (L 86)
Praticienne canine à Pierre-Bénite (Rhône) Après une violente agression, difficile de tourner la page

Agressée physiquement en juin 2019 par une personne dont le chien n’avait pas survécu à une hospitalisation, et ayant porté plainte, Carine Heid, praticienne canine à Pierre-Bénite, peine aujourd’hui à tourner la page. « cette agression l’a marquée, confie son assistante. elle est plus méfiante. Ne souhaitant pas s’arrêter, elle a trouvé une remplaçante qui lui permet de prendre un peu de temps pour elle. de souffler. Son humour habituel commence seulement à revenir petit à petit. » Située dans la banlieue lyonnaise, sa clinique a renforcé depuis son dispositif de sécurité : porte extérieure barreaudée, verrouillage intérieur, sonnette, vitre sans tain. « Le risque zéro n’existe pas, mais ces aménagements sont rassurants. Nous nous étions déjà équipés d’une caméra de surveillance, car nous avons déjà été cambriolés deux fois. J’ai maintenant hâte que le procès, qui a été ajourné deux fois en raison des grèves récentes des avocats, se déroule enfin. La date de l’audience au tribunal est fixée au 17 février », témoigne Carine Heid.

TÉMOIGNAGE
Vincent Coupry (A 90)
Praticien canin à Cholet (Maine-et-Loire) Le e-bashing, une préoccupation constante

Victime d’un sordide bashing sur les réseaux sociaux en 2017, à la suite duquel il a porté plainte et obtenu gain de cause, Vincent Coupry, praticien canin à Cholet, n’a toujours pas récupéré, deux ans après la décision de justice, l’indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi, ainsi que le remboursement des frais d’avocat. Un peu plus de 3 000 € ! Son agresseur en ligne n’est en effet pas solvable ! « mon avocat s’attache à récupérer cette somme, sans doute au mieux la moitié, auprès d’un fonds d’indemnisation des victimes. outre ce dommage collatéral, il n’en reste pas moins le sentiment de pouvoir toujours se faire agresser de nouveau à tout moment. » Trésorier du conseil régional de l’Ordre des vétérinaires des Pays-de-la-Loire, il ne manque pas une occasion de sensibiliser ses confrères, lors de soirées confraternelles organisées par l’instance ordinale régionale, sur cette problématique du bashing et de l’e-réputation : « c’est une pression permanente. rares sont les jours sans que l’un d’entre nous n’en fasse les frais. pourtant, ceux qui déversent ainsi leur fiel sont rarement compétents pour nous juger. nous ne sommes ni des dieux lorsque nous sauvons un animal, ni des moins-que-rien lorsque nous ne parvenons pas à faire des miracles. »

UNE PROGRESSION PRÉOCCUPANTE

L’Observatoire Ribbens des incivilités et agressions, tenu par l’Ordre, a comptabilisé 222 entrées en 2019, soit une progression de plus de 23 % par rapport à 2018. Ce nombre de signalement représente 1,25 % de la population de vétérinaires en exercice.

TYPES D’AGRESSIONS :

→ 60 % : agressions subies par des femmes

→ 87 % : agressions verbales envers le vétérinaire ou son personnel

→ 6 % : agressions physiques envers les vétérinaires ou leur personnel

→ 5 % : dénigrement sur les réseaux sociaux

→ 1 % : vandalisme/destruction

MOTIFS DES AGRESSIONS :

→ 35 % : reproche relatif au traitement

→ 23 % : refus de payer

→ 5 % : refus de délivrer un médicament

→ 5 % : temps d’attente jugé excessif

→ 1 % : agression à la suite d’une déclaration de maltraitance animale

SUITES DONNEES :

→ 179 incivilités n’ont pas donné lieu à un dépôt de plainte

→ 27 mains courantes

→ 16 plaintes