APICULTURE
PRATIQUE MIXTE
FORMATION
Auteur(s) : CHRISTOPHE ROY
Le système immunitaire de l’abeille est original. Il repose sur deux grands piliers : l’immunité individuelle et l’immunité sociale. L’étude du génome1 de l’abeille a cependant montré qu’elle disposait de moins de gènes impliqués dans les défenses immunitaires que d’autres insectes.
L’immunité individuelle des abeilles est peu comparable à celle des mammifères, leur espérance de vie, de quelques semaines à quelques mois, ne permettant pas de se forger une véritable mémoire immunitaire. Cette immunité évolue avec l’âge : les jeunes abeilles d’intérieur, dont les rencontres avec les dangers biologiques sont moins nombreux et variés que les ouvrières butineuses, disposent d’une immunité moins robuste. D’autre part, selon que les abeilles deviendront des abeilles d’hiver ou non, leur immunité reposera plus ou moins sur des mécanismes humoraux et/ou cellulaires, avec notamment pour conséquence une plus grande sensibilité des abeilles d’hiver aux infections virales. Les défenses humorales résident dans une douzaine de peptides antimicrobiens non spécifiques présents dans son hémolymphe, tels que les défensines, les lysozymes, l’apidaecine et l’hymenoptaecine, ainsi que dans l’activité d’une catalase, la phénoloxydase. Cette enzyme joue un grand rôle en oxydant les dérivés de la tyrosine pour former des substances toxiques (les quinones), elle-mêmes polymérisées en mélanine, participant ainsi au phénomène d’encapsulation des pathogènes. S’y ajoute une immunité antivirale de type ARN interférence comme chez d’autres espèces. De nombreux travaux sur le microbiote de l’intestin de l’abeille montrent aussi le rôle protecteur joué par la barrière naturelle formée par les bactéries, principalement des lactobacilles.
L’immunité sociale est complémentaire et essentielle pour l’abeille. Elle pallie aux insuffisances de chaque abeille à se défendre contre certains dangers biologiques. On entend par immunité sociale un ensemble de modalités assurées par plusieurs individus qui œuvrent pour une même action de défense collective. Ainsi les abeilles sont capables d’épouillages mutuels, de se répartir les tâches de nettoyage lorsque des abeilles, des nymphes ou des larves meurent, de lutter contre l’intrusion d’indésirables par l’action des ouvrières gardiennes, d’appliquer des résines antimicrobiennes comme l’est la propolis… D’autres comportements sociaux étonnants vont aussi dans le sens de “l’union fait la force”, par exemple la formation d’une boule d’abeilles pour tuer un frelon ou bien une attitude volontairement suicidaire lorsque l’une d’entre elles est infectée par certains agents pathogènes. Ces comportements sociaux reposent sans doute sur de subtils encodages du génome que les scientifiques n’ont que très partiellement élucidés.
Certains dangers biologiques, comme le parasite Varroa, constituent de nouvelles menaces pour l’abeille européenne qui ne dispose donc d’aucune immunité individuelle ou sociale suffisamment efficace, acquise à l’issue d’une lente coévolution mutuelle. Disposer de souches résistantes ou tolérantes à ce parasite semble un objectif encore hors d’atteinte à ce jour malgré des progrès significatifs. De même de nouvelles voies thérapeutiques, comme les ARN interférences, sont censées aider l’abeille à mieux se défendre : une spécialité avec pour indication l’israelite acute paralysis virus (IAPV) est commercialisé aux États-Unis et a même obtenu, en 2013, une LMR pour le miel en Europe. Un “vaccin” contre la loque américaine a également fait la une des journaux il y a quelques mois. Toutefois l’intérêt de ces médicaments reste à démontrer : le portage asymptomatique est la norme, les colonies vivant en état d’équilibre avec cette multitude d’agents pathogènes. Les bonnes pratiques apicoles permettent justement d’aider les abeilles en favorisant leurs défenses sociales et individuelles (nourrissement, déparasitage, qualité de l’emplacement, biosécurité, etc.).