DOSSIER
Auteur(s) : TANIT HALFON
LES PROMESSES DES OBJETS CONNECTÉS SONT IMMENSES POUR LA SANTÉ ET LE BIEN-ÊTRE DES ANIMAUX, IN FINE POUR LE VÉTÉRINAIRE PRATICIEN. ENCORE FAUDRA-T-IL ENCADRER LEUR USAGE, CES TECHNOLOGIES NE FAISANT L’OBJET D’AUCUNE RÉGLEMENTATION NATIONALE OU EUROPÉENNE SPÉCIFIQUE POUR LE SECTEUR ANIMAL GARANTISSANT LEUR EFFICACITÉ ET INNOCUITÉ.
En 2018, un groupe de vétérinaires spécialistes en dermatologie publiait dans BMC Veterinary Research un article1 prouvant la capacité du collier connecté Vetrax à détecter le prurit chez le chien, permettant une détection précoce de ce comportement anormal, et donc apportant une aide au traitement, en particulier pour son suivi. « Les objets connectés portables et le machine learning offrent d’énormes avantages en médecine vétérinaire », concluent les auteurs de cette étude. Les objets connectés, un atout pour la santé animale ? Il semble bien que oui. Recouvrant la notion d’Internet des objets (IOT pour Internet of things en anglais ; encadré page 34), ils concernent toutes les filières animales, les animaux de rente, et plus particulièrement la vache laitière, totalisant probablement le plus grand nombre d’entre eux. Pourtant, difficile de savoir combien exactement d’IoT sont déjà commercialisés sur le marché, tant celui-ci est dynamique, sauf peut-être en productions animales, un secteur pour lequel plusieurs inventaires sont faits2. Tous ces objets n’ont pas forcément de finalité médicale avérée, et se classent plutôt dans le domaine du bien-être. Quoique. « Le tracker GPS permet de localiser l’animal, mais il est aussi possible de paramétrer une barrière virtuelle. Une alerte se déclenche si l’animal sort du périmètre, cela peut permettre d’éviter les fugues et surtout les accidents », affirme Annick Valentin-Smith, vétérinaire et un des membres fondateurs du groupe de réflexion Vet in Tech sur la e-santé animale. « Les trackers d’activité évaluent aussi très bien les périodes de sommeil. Or, toute modification significative du sommeil signe une éventuelle maladie, notamment l’installation d’un processus douloureux. De la même manière, il est possible de connaître le nombre de calories dépensées, ce qui permet d’adapter la ration journalière et d’éviter le surpoids. Ce sont des paramètres simples et utiles, dont les propriétaires peuvent se servir au quotidien », remarque-t-elle aussi. Une frontière poreuse donc, entre santé et bien-être ou confort animal. Sans oublier que les objets consacrés au suivi des troupeaux, ou développés pour les chevaux de course, participent aussi à l’amélioration des performances des animaux.
Un avantage certain des objets connectés est la collecte permanente des données. « en élevage, le vétérinaire pourra avoir accès à l’historique des mesures, ce qui facilitera le suivi individuel des animaux d’un troupeau », explique raphaël guatteo, enseignant-chercheur en médecine bovine à oniris et lui aussi membre de vet in tech, en parlant de « propédeutique 2.0 ». « une gamelle connectée est tout à fait adaptée pour objectiver la dysorexie chez un animal, souvent mieux que les dires de son propriétaire », renchérit grégory santaner, vétérinaire fondateur de vetonetwork, qui appartient au think tank. L’objet connecté donne aussi accès à des données jusqu’ici inaccessibles, par exemple pour le suivi d’un animal épileptique. « un accéléromètre standard est capable de mesurer la fréquence, l’intensité et la durée des crises convulsives. Un propriétaire, absent une partie de la journée, ne peut pas collecter et restituer ce type d’informations précisément », souligne grégory santaner. Finalement, le panel des données accessibles semble sans limite, si ce n’est celle de la technologie, et surtout apporte une aide bienvenue au vétérinaire, pour les commémoratifs donc, mais aussi pour la clinique. Moins visibles encore en france, il existe des objets connectés développés pour le praticien, comme ce glucomètre dernière génération : « la fiabilité du freestyle libre a été validée, et il est utilisé aux états-unis, au japon et depuis peu en france. Il permet un suivi de glycémie à domicile pendant deux semaines », détaille grégory santaner. Exit donc le stress de l’hospitalisation pour l’animal, tout comme celui des équipes soignantes. Au-delà de l’appui à la médecine vétérinaire, les iot permettent d’intégrer pleinement le propriétaire dans la gestion de la santé de son animal. « on se dirige vers la médecine des 4p3, et les iot répondent particulièrement aux souhaits des propriétaires de soins personnalisés et d’une participation active à ces soins », estime annick valentin-smith. Non sans effets collatéraux inattendus ! « les propriétaires d’animaux équipés de colliers connectés ont plus tendance à promener leur animal, ce qui augmente leur exercice physique », note grégory santaner.
Les outils connectés promettent aussi une détection plus précoce des problèmes de santé, un atout dans la prévention des maladies, particulièrement en élevage où ils permettent de se soustraire aux limites de l’observation physique des animaux. En cas d’anomalies, une alerte, envoyée généralement par sms, sera émise. « les iot et le recours à l’intelligence artificielle vont aboutir à une nouvelle détection et sélection des animaux malades, assure raphaël guatteo, qui prend l’exemple de l’élevage laitier. De nos jours, les alertes générées pour la détection des vêlages et chaleurs sont performantes et faciles à apprécier. Les alertes santé sont plus difficiles à évaluer et on ne connaît à l’heure actuelle que peu leurs performances. » dans ce cadre, « une première information utile est de savoir si l’alerte est générée par un seuil fixe à ne pas dépasser ou si l’animal sert lui-même de propre témoin, ce qui est préférable », souligne-t-il. Il ajoute : « ce n’est pas un outil de substitution du vétérinaire ou de diagnostic immédiat. Il permet d’identifier dans des lots les animaux à risque. Des travaux sont en cours pour savoir si le profil des réponses est plutôt évocateur de tel ou tel trouble. Le problème étant toutefois que les troupeaux les mieux équipés sont ceux qui ont le moins de soucis ! » les animaux de compagnie ne sont pas en reste. « les premières publications sur le collier whistle ont montré qu’il est possible de détecter des affections dermatologiques jusqu’à trois semaines avant que le propriétaire d’un chien ne se rende réellement compte de leur existence, précise grégory santaner. Cela va nous obliger à modifier nos pratiques de gestion médicale en cas d’alertes aussi précoces. » sans oublier de garder un esprit « critique vis-à-vis des alertes car nous sommes dans une phase d’apprentissage des outils. » plus que la bonne santé physique, les outils de monitoring auraient un intérêt probablement majeur dans l’évaluation du bien-être animal, via l’évaluation de l’expression du répertoire comportemental des animaux d’élevage et leurs émotions4. « cet usage serait aussi valable pour les animaux de compagnie. On pourrait, par exemple, évaluer le profil comportemental d’un chat enfermé toute la journée. Non sans risque de soulever certaines questions éthiques… », note Raphaël Guatteo.
Pour l’instant, malgré l’offre, l’usage des iot ne s’est toujours pas démocratisé en médecine vétérinaire, en tout cas en france. Comme l’explique grégory santaner, la problématique principale est l’absence de liaison aux logiciels métiers, ce qui implique de devoir chercher l’information sur les smartphones de chaque propriétaire équipé ! « il faudrait surtout que seules les alertes apparaissent. », complète annick valentin-smith. L’accès aux données d’élevage est par ailleurs quasi inexistant pour les praticiens aujourd’hui. Le coût peut être aussi un facteur limitant, même s’il a tendance à baisser. « pour la vache laitière, le prix varie parfois suivant le nombre de paramètres mesurés quand l’outil peut en mesurer plusieurs. Certains objets sont réutilisables, comme les colliers et podomètres, d’autres plus difficilement récupérables, explique raphaël guatteo. De plus, en fonction des objectifs recherchés, le taux d’équipement nécessaire n’est pas le même. Si on veut détecter des maladies, il faut théoriquement équiper tous les animaux du troupeau ; si on vise la détection des chaleurs et que les vêlages sont étalés, on pourra faire tourner les dispositifs entre les animaux. » il est probable que ces questions se règlent avec le temps, d’autant que les iot apparaissent comme une aide précieuse pour la télémédecine vétérinaire, qui sera prochainement légiférée. Malgré tout, une autre question s’avère peut-être plus complexe, celle de la qualité. Actuellement, aucune réglementation européenne ou nationale n’encadre les objets connectés commercialisés dans le secteur animal, et ce quels que soient leurs usages. « il n’est pas prévu d’en adopter une, explique jean-pierre orand, directeur de l’agence nationale du médicament vétérinaire (anmv). Donc l’innocuité de ces produits est de la responsabilité de leur fabricant et de ceux qui les commercialisent ». « rien ne garantit ou n’oblige à un niveau d’efficacité technique donné, souligne raphaël guatteo. Toutefois, un outil qui montrerait trop de limites ne trouverait probablement pas son marché. » quelles solutions ? « soit un organisme issu du monde vétérinaire se crée pour valider certains objets connectés, ce qui paraît peu probable vu le temps et les financements nécessaires. Soit ce seront des initiatives privées, avec des organismes certificateurs agréés qui donneront un label, ou au minimum les fabricants devront avoir une démarche volontaire de validation de leurs produits via des études cliniques de validation réalisées avant leur mise sur le marché », propose Annick Valentin-Smith. « il y aurait intérêt à coconstruire un cahier des charges pour définir les guidelines pour la conduite d’essais visant à évaluer efficacité, sûreté et ergonomie, un peu comme un dossier d’autorisation de mise sur le marché », ajoute Raphaël Guatteo.
Sans caution scientifique donc, l’usage de ces outils en santé animale, et particulièrement par les vétérinaires, pose clairement question. Dans ce contexte, les grands groupes ont pris déjà les devants. Vetrax, dont l’efficacité a été démontrée dans le prurit, appartient à… hill’s (groupe colgate-palmolive) ; le collier connecté whistle, à royal canin (groupe mars). Des données au plus près du réel, les chiens étant suivis dans les cliniques vétérinaires… banfield détenues par le même groupe mars. Derrière l’objectif d’amélioration de la santé se cachent clairement des enjeux stratégiques et de potentiels relais de croissance. Non sans poser question. « même si les données de santé des animaux d’élevage peuvent sembler plus sensibles éthiquement parlant, il convient de rester attentif aux investissements en cours autour des outils générant et collectant les données de santé des animaux de compagnie, convient grégory santaner. Un dépistage précoce engendre un animal qui vit plus longtemps, parfois avec une maladie chronique, ce qui est économiquement intéressant. » ces entreprises l’ont bien compris ? François bagaïni, vétérinaire data-scientist et membre de vet in tech, va plus loin : « certains projets ne sont pas forcément développés pour le bénéfice de l’animal, mais pour satisfaire son propriétaire. Un objet utile, devrait couvrir un besoin plutôt que d’en créer un autre. Quant à la question de savoir si cela va permettre au vétérinaire d’être plus performant vis-à-vis de l’animal, par exemple de gagner en matière de morbidité et de taux de guérison, il est nécessaire de le vérifier par des essais cliniques qui sont difficiles à réaliser pour une petite start-up. » les iot peuvent être vus aussi comme un outil puissant de fidélisation : « quand toutes les données de ton animal arrivent dans une clinique, il est clair que tu ne vas pas voir celle d’en face. Quelque part, grâce aux solutions connectées, le client est fidélisé sans s’en rendre compte », note Annick Valentin-Smith posant la question de la propriété des données. Les questions éthiques font actuellement l’objet d’une réflexion par le comité d’éthique animal, environnement, santé. ?
2. Par exemple, le projet européen 4D4F liste, et actualise, les capteurs disponibles pour vaches laitières : en juillet 2019, 137 y étaient comptabilisés.
3. Prédictive, préventive, personnalisée et participative.
Les objets connectés présentent un intérêt zootechnique certain, en permettant un suivi fin des animaux d’un troupeau. Dans un contexte de main-d’œuvre restreint, ils ont l’avantage d’améliorer la précocité de l’intervention. Dans ma clientèle, les éleveurs commencent à s’équiper avec des dispositifs d’alerte au vêlage, et j’ai de bons retours du terrain. L’idéal serait que cela se démocratise, mais cela dépendra du coût. Malgré tout, la question de l’accès aux données se pose. Il faudrait d’abord que les éleveurs acceptent de les partager, et que les vétérinaires en aient à échanger, ce qui n’est pas encore le cas. Il n’est pas non plus exclu que l’on doive, à terme, accepter d’acheter certains jeux de données.
Selon l’Arcep1, l’Internet des objets (IOT pour Internet of things) est défini comme l’ensemble d’objets physiques connectés qui communiquent via de multiples technologies avec diverses plateformes de traitement de données, en lien avec les vagues du cloud et du big data. On y retrouve donc d’abord les objets connectés en tant que tel, qui ont des technologies embarquées de capteurs, d’intelligence et de connectivité leur permettant de communiquer avec d’autres objets. Ces objets sont associés à des réseaux de communications électroniques pour transporter les données. Enfin, l’informatique va permettre le stockage et analyse de ces données.
1. Autorité de régulation des communications électroniques et des postes : www.bit.ly/2GQlN9i.
Je vois dans ces outils un moyen de détecter précocement les maladies, avant l’émergence des signes cliniques. En filière avicole se développent par exemple des technologies fondées sur l’analyse d’image. L’objectif est de caractériser la répartition spatiale des animaux et leurs activités, deux facteurs qui peuvent varier lors de manifestations pathologiques. De la même manière, des dispositifs connectés déjà existants permettent de suivre la température et l’hygrométrie, la consommation d’aliments et d’eau, ainsi que le poids des animaux. Une variation de ces paramètres peut être un indicateur prédictif de maladies. Malgré tout, je trouve que ces outils sont surtout utiles pour les éleveurs, qui peuvent améliorer les conditions de vie des animaux et leur bien-être notamment grâce aux contrôles des paramètres d’ambiance, et donc réduire le risque d’apparition des maladies.
Pour les animaux de compagnie, il faut différencier les objets connectés destinés aux propriétaires d’animaux, que sont les trackers d’activité, gamelles ou encore chatières connectées, de ceux développés pour les praticiens. Les premiers pourront trouver des applications dans la détection précoce et le suivi des maladies, à condition que les données puissent être partagées avec le vétérinaire et que des systèmes d’alerte se mettent en place. Les objets utilisés en clinique ne sont, à l’heure actuelle, pas nombreux. Pour ma part, je teste depuis peu un collier qui mesure, entre autres, les fréquences cardiaque et respiratoire, la température et la position de l’animal. C’est utile car cela me permet d’avoir un monitoring continu et à distance des chiens en postopératoire, mais l’abonnement reste encore cher, limitant pour l’instant la généralisation de son usage.