UN CHANTIER NUMÉRIQUE ET ÉTHIQUE - La Semaine Vétérinaire n° 1840 du 07/02/2020
La Semaine Vétérinaire n° 1840 du 07/02/2020

E-SANTÉ ANIMALE

ANALYSE

La deuxième édition du congrès E-vet sur la santé connectée a été l’occasion d’aborder plusieurs enjeux éthiques liés aux nouvelles technologies.

La santé sera connectée ou ne sera pas. Pour la deuxième année consécutive, l’Association française des vétérinaires pour animaux de compagnie (Afvac), l’Association vétérinaire équine française (Avef) et la Société nationale des groupements techniques vétérinaires (SNGTV) ont organisé conjointement, le 30 janvier, la journée E-vet consacrée à la e-santé animale. Si les nouvelles technologies promettent des bénéfices en matière de santé, ce n’est pas sans risque, comme l’a rappelé Louis Schweitzer, président du Comité d’éthique animal, environnement, santé1. Le premier d’entre eux est lié au produit en lui-même. « En médecine humaine, les objets font l’objet de validation, de recueil d’éléments d’expérience permettant à celui qui les utilise, les recommande ou les supporte de disposer de toute une série d’informations. Pour les animaux, nous n’avons rien », a constaté le conférencier. En clair, il n’existe pas de cadre réglementaire et normatif permettant de garantir l’efficacité réelle de ces objets. « Or, aux yeux du propriétaire, le vétérinaire est le garant de l’efficacité de ces produits. » Conséquence : une commercialisation de « mauvais produits » est possible, certains pouvant être en plus « dangereux ». En humaine, un objet connecté ayant une finalité médicale peut être qualifié de dispositif médical sur demande du fabricant et rentre alors dans un cadre réglementaire européen spécifique. Pour ceux présentant un effet potentiel sur la santé sans être un dispositif médical, la Haute Autorité de santé a publié, en 2016, un référentiel de bonnes pratiques relatif à leur fiabilité, à la protection des données et à la cybersécurité. Ce guide, comme le règlement européen, ne mentionne pas les objets de santé destinés aux animaux.

Recourir aux normes

« Un risque des plus importants est la perte du contact réel avec les humains », a aussi affirmé le conférencier, en prenant notamment l’exemple de l’élevage. Dans ce contexte, il faudra aussi s’inquiéter de la fiabilité des alertes générées par les objets connectés, car « si l’alerte est trop fréquente, le risque est qu’elle soit ignorée. Si elle est insuffisante, il y a un risque de perte de confiance en l’objet ». De plus, à la différence de l’humain, la technologie ne sait pas gérer les imprévus. En revanche, elle peut être très bien détournée par d’autres humains, a souligné louis schweitzer. Quelles solutions face à ces éventualités ? L’idéal serait d’envisager l’élaboration de normes. « ce n’est pas gagné. Une norme purement française serait considérée comme un obstacle au commerce européen, et l’élaboration d’une norme européenne prend longtemps. Il faut donc avoir conscience que l’on va vivre très longtemps sans normes sérieuses. » de fait, il conviendrait de prendre les devants et de construire des bases de données techniques et sur l’usage des différents dispositifs disponibles sur le marché, « nourris et consultables par tous les vétérinaires. » à cela pourraient s’ajouter des bonnes pratiques d’emploi pour nourrir les bases de données. « l’objet connecté va sûrement mettre sur les épaules des vétérinaires de nouvelles responsabilités. »

1. Le comité doit prochainement rendre un avis sur l’éthique des objets connectés. Louis schwzeitzer a indiqué que ses propos n’engageaient, à ce stade, que lui.

Louis Schweitzer, président du Comité d’éthique animal, environnement, santé.© Tanit Halfon

Machine versus humain

La santé connectée rendra-t-elle l’humain optionnel ? Si cette question n’a pas été soulevée par Louis Schweitzer, elle est toutefois récurrente lorsque l’on parle d’intelligence artificielle. Pour les intervenants du congrès E-vet, la réponse est clairement non. Pascal Gené, vétérinaire membre du Comité d’éthique, animal, environnement, santé, qui travaille sur Le programme d’intelligence artificielle Watson conçu par IBM, a bien résumé le sujet : « les émotions sont inimitables. L’intelligence artificielle ne va pas remplacer des professions mais certaines de leurs fonctions. » du chemin reste à faire avant de supplanter l’être humain. « dans les médias, de nombreux articles affirment que la détection des mélanomes par l’intelligence artificielle est meilleure que par les médecins. C’est vrai, mais uniquement dans les conditions de l’essai », a-t-il martelé. Sans oublier que, comme chez l’humain, l’erreur est toujours possible. La solution pour limiter ce risque : « combiner intelligence humaine et artificielle ». Si la e-santé amène son lot de changements, ils sont « globalement imprédictibles » : « ce n’est pas la peine d’imaginer tout ce qui va changer », mais « ce qu’il reste, et ce sont les valeurs éthiques et le sens clinique. »