AVORTEMENTS ASSOCIÉS À UNE CARENCE EN VITAMINE A EN ÉLEVAGE HORS SOL - La Semaine Vétérinaire n° 1841 du 14/02/2020
La Semaine Vétérinaire n° 1841 du 14/02/2020

CAS CLINIQUE OVIN

PRATIQUE MIXTE

FORMATION

Auteur(s) : CLOTHILDE BARDE

Conférenciers

Guillaume Belbis, Maître de conférences en Pathologie des Animaux de Production (ENVA) • Vincent Plassard (ENVA).

Article rédigé d’après une conférence présentée lors des journées nationales des GTV, du 15 au 17 mai 2019.

La carence en vitamine A intervient principalement dans les élevages de ruminants recevant une alimentation pauvre en fourrages verts et dans lesquels aucune supplémentation minérale et vitaminique n’est apportée, ou en cas de dysfonctionnement ruminal1. étant donné l’importance de cette vitamine dans le développement et le fonctionnement de nombreux organes, les manifestations cliniques de son déficit sont nombreuses et variées.

Des précédents existaient

Parmi celles-ci, on déplore des avortements et une mortinatalité, comme dans le cas clinique décrit ci-après. Ainsi, lors de la visite du vétérinaire dans un élevage de moutons hors sol (250 brebis et 400 agneaux), une vingtaine de brebis avaient avorté (dernier tiers de gestation) et 80 agneaux étaient nés malformés (brachygnathie, extrême faiblesse et/ou des signes neurologiques [incapacité à se lever, ataxie, nystagmus]) avant de mourir. Les animaux atteints appartiennent au même lot (100 brebis) qui n’a jamais accès à l’herbe (ration à base de fourrages conservés) et dont les animaux disposent de blocs de minéraux et vitamines proposés à volonté. D’ailleurs, dans ce même lot était survenu l’année précédente un épisode identique dont la cause n’avait pu être déterminée par analyses sérologiques (brucellose, border disease, chlamydiose et toxoplasmose) et mycotoxiniques (dosage de l’ergostérol dans les tourteaux inférieur à 1,5 ppm).

Une cause infectieuse peu probable

à l’examen clinique, aucune anomalie n’est décelée chez les brebis de ce lot, mais les agneaux vivants issus du lot affecté l’an passé présentent un retard de croissance modéré (10 %) par rapport aux autres animaux du même âge. L’examen nécropsique de deux agneaux révèle la présence de malformations congénitales (prognathisme supérieur, hydrocéphalie, atrophie modérée du cervelet, hydrocachexie discrète).

En raison de l’allure épizootique des avortements et des malformations rencontrées chez les agneaux (nerveuses, notamment), différentes pistes infectieuses sont envisagées comme la border disease, la toxoplasmose, la fièvre catarrhale ovine et le virus de Schmallenberg. Des examens complémentaires sont alors réalisés. Les sérologies révèlent qu’une brebis est positive pour la border disease et qu’une autre l’est pour la chlamydiose. Néanmoins, comme un seul et même lot, non isolé des autres, est affecté dans le bâtiment, et au vu du très faible nombre d’animaux positifs, la cause infectieuse n’est pas privilégiée. En revanche, les dosages de la vitamine A sur les échantillons de foie des agneaux étant très faibles (0,09 mg/kg et 0,36 mg/kg) par rapport à la valeur de référence de 200 mg/kg, cela conduit à conclure à une hypovitaminose A chez ces agneaux qui peut être à l’origine des avortements et des malformations du lot affecté. Il est alors proposé à l’éleveur d’assurer un apport de fourrages verts (herbe) et une supplémentation en vitamine A par voie injectable à la dose de 10 000 UI/kg aux animaux de ce lot, tous les 50 jours. à la suite de ce traitement, aucun nouveau cas n’a ensuite été recensé par l’éleveur.

Les recommandations pour l’apport en vitamine A

Même si la carence sévère en vitamine A constitue une affection peu rapportée dans la bibliographie française, le développement du hors sol, l’utilisation de plus en plus fréquente de fourrages conservés associée à une évolution du climat (étés chauds et secs à l’origine de sécheresse) favorisant la récolte de fourrages carencés, en font une affection en progression. L’une des particularités de ce cas clinique réside dans le développement d’une carence en dépit de la supplémentation apportée par les blocs à lécher. Selon les conférenciers cela s’explique par le fait que l’apport de vitamine A supplémentaire dans la ration ne suffit pas toujours pour prévenir une carence, car la vitamine A est une molécule fragile qui peut s’abîmer dans les aliments. C’est pourquoi, les compléments en vitamine A ne doivent pas être conservés pendant des périodes prolongées et, lorsque les rations semblent à risque, il peut aussi être intéressant d’apporter une supplémentation par voie parentérale. Par ailleurs, en raison de l’absence de corrélation entre taux plasmatique en β-carotène et en rétinol2, et du coût plus élevé du β carotène, il semble préférable de réaliser une supplémentation en vitamine A qu’en β-carotène si l’on désire couvrir les besoins en cette vitamine. Enfin, il convient de garder à l’esprit que lors de carence en vitamine A, le tableau clinique peut revêtir différentes formes (nerveuses, abortives, mortinatalités ou fréquemment manifestation oculaire) et que si certaines autres hypothèses (causes infectieuses notamment) ont été recherchées, elles n’ont pas toutes été investiguées (stéatose maternelle, notamment) dans ce cas clinique. La possibilité d’une origine multifactorielle (intervention d’une pathologie infectieuse concomitante, stéatose, etc.) n’a donc pas pu être exclue.

1. Constable P., Hinchcliff K., Done S., Grünberg W. Vitamin A deficiency (hypovitaminosis A). In : Veterinary Medicine, A textbook of the Diseases of Cattle, Horses, Sheep, Pigs and Goats. 11e éd. Saint Louis, Missouri : Elsevier ; 2017. p. 1314-21.

2. Enjalbert F. A survey of β-carotene status in French dairy herds using grass silage. In : Séminaire DSM Nutritional Products - World Buiatric Congress. Nice ; 2006.