DIRECTIVE “SERVICES” ET MÉDICAMENTS
PHARMACIE
Auteur(s) : CHRISTIAN DIAZ
L’interprétation de la directive « services » concernant le médicament vétérinaire et la participation de non-vétérinaires dans le capital des sociétés vétérinaires a fait l’objet d’une question préjudicielle introduite par la cour d’appel de Bucarest. Décryptage d’une décision importante pour tous les états membres de l’Union européenne.
La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) s’est prononcée en mars 2018 sur la distribution des médicaments vétérinaires, en réponse à une question préjudicielle introduite par la cour d’appel de Bucarest (Roumanie). En l’espèce, l’Ordre des vétérinaires roumains avait saisi la justice pour résoudre un litige avec l’Autorité sanitaire de ce pays, à la suite d’une modification législative susceptible de porter atteinte aux prérogatives de la profession vétérinaire.
La question porte sur l’interprétation de la directive 2006/123, dite “services”, concernant le médicament vétérinaire et la participation de non-vétérinaires dans le capital des sociétés vétérinaires. Considérant que cette position s’impose à tous les états membres, elle mérite d’être développée.
Bien que cela n’ait pas été directement l’objet de la question, la CJUE a tout de même précisé le statut de la profession de vétérinaire.
Selon la directive 2006/123, les services des soins de santé sont expressément exclus du champ d’application de celle-ci. « Les services visés par cette exclusion sont ceux fournis par les professionnels de santé aux patients pour évaluer, maintenir ou rétablir leur état de santé, ce qui implique qu’ils sont fournis à des êtres humains. » « Si les activités de commerce de détail et d’utilisation de produits biologiques vétérinaires, de produits antiparasitaires à usage spécial et de médicaments à usage vétérinaire relèvent effectivement du domaine de la santé, elles ne constituent pas pour autant des services de soins fournis à des êtres humains. »
En conséquence, ces activités ne relèvent pas de l’exception prévue pour les professions de santé. La profession vétérinaire est donc bien une profession de services, même si ces services sont en lien avec la santé publique.
Les conséquences se situent à différents niveaux.
• Application du Code de la consommation. Le vétérinaire est considéré comme un professionnel et le client non professionnel comme un consommateur qui doit être protégé. Le vétérinaire doit fournir à son client les informations sur ses prestations telles que prévues par les textes, notamment par ses conditions générales de fonctionnement, et par le respect de l’obligation d’information préalable aux actes. Ces obligations sont des obligations de résultat.
• Le contrat de soins. Depuis 1941, le contrat de soins définis par l’arrêt Mercier (1936) s’applique aux vétérinaires. Selon cette jurisprudence, constante depuis, le praticien s’engage, non pas à guérir l’animal, mais à lui apporter des soins consciencieux, attentifs et conformes aux données acquises de la science. Il s’agit d’une obligation de moyens.
Le fait que le vétérinaire soit un prestataire de services est-il de nature à modifier la qualification de ce contrat ? C’est peu probable. En effet, l’animal est un être sensible qui, lorsqu’il est malade, nécessite des soins, soins dont le résultat ne peut être garanti eu égard à la nature même du “patient”. Ainsi, même si l’acte vétérinaire relève de la prestation de services, il s’agit à l’évidence d’un contrat de soins, conforme à l’arrêt Mercier, impliquant une obligation de moyens.
Selon la directive 2001/82, les états membres sont tenus de prendre « toutes mesures utiles afin que seules les personnes habilitées possèdent ou aient sous contrôle un médicament vétérinaire (…) », ce qui ne signifie pas pour autant que les propriétaires d’animaux ont dans tous les cas le droit d’administrer eux-mêmes les médicaments prescrits.
Question posée : la directive “services” s’oppose-t-elle à une réglementation nationale qui prévoit, en faveur des vétérinaires, une exclusivité du commerce de détail de certains produits et médicaments ?
Une telle exigence doit remplir trois conditions.
- Être non discriminatoire. Rien n’indique que cette exigence soit discriminatoire.
- Être nécessaire. La protection de la santé publique figure parmi les raisons impérieuses d’intérêt général de l’Union, ce qui justifie l’adoption de mesures visant à assurer un approvisionnement en médicaments sûr et de qualité.
- Être proportionnée à la réalisation d’une raison impérieuse d’intérêt général. Ceci suppose la réalisation de trois autres conditions :
- Garantir l’objectif poursuivi. L’exigence d’exclusivité accordée à certains professionnels peut être justifiée par les garanties qu’ils présentent et les informations délivrées au consommateur. Compte tenu de la similitude entre médicaments humains et vétérinaires, l’exclusivité du commerce des médicaments accordée aux vétérinaires est une mesure apte à garantir l’objectif de protection de la santé publique.
- Ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire. Les états-membres disposent d’une marge d’appréciation en ce sens. Si la législation interdit aux propriétaires d’animaux l’administration de médicaments injectables, à l’origine d’un risque aggravé, elle autorise l’administration sous une autre forme.
- Ne pas pouvoir être remplacée par une mesure moins contraignante. Si les autres professionnels (les pharmaciens, notamment) disposent de connaissances approfondies, rien n’indique qu’ils aient une formation particulière adaptée à la santé animale.
Une prescription médicale ne suffit pas pour écarter le risque d’une administration incorrecte des médicaments.
Selon la CJUE : « En conclusion, l’article 15 de la directive ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui prévoit, en faveur des vétérinaires, une exclusivité du commerce de détail et de l’utilisation des produits biologiques, des produits antiparasitaires à usage spécial et des médicaments à usage vétérinaire. »
Cette position est particulièrement intéressante à l’heure où le découplage est encore soutenu par certains professionnels non vétérinaires. L’argument de la CJUE sur la notion de formation particulière adaptée à la santé animale est fort et à utiliser par nos représentants.
Une législation nationale ne peut imposer que le capital social d’un établissement commercialisant des produits vétérinaires soit détenu exclusivement par des vétérinaires.
Les trois conditions (être non discriminatoire, être nécessaire, être proportionné à la réalisation d’une raison impérieuse d’intérêt général) doivent être remplies : si une telle mesure n’est pas considérée comme discriminatoire, et présentant un intérêt au sens de la santé publique, la question se pose de sa proportionnalité.
Pour cela, la disposition ne doit pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif visé. Si un état membre peut légitimement empêcher que des opérateurs économiques non-vétérinaires soient en position d’exercer une influence déterminante sur la gestion d’un établissement commercialisant des médicaments vétérinaires, ils ne sauraient être complètement écartés de la détention du capital, dès lors qu’un contrôle effectif peut être exercé par les vétérinaires. Dès lors, une telle réglementation irait au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi.
Même si une législation nationale peut s’opposer à ce que des non-vétérinaires détiennent une participation leur conférant une influence déterminante, elle ne saurait leur interdire toute participation au nom de la liberté d’établissement et de la libre circulation des capitaux.