« LE MODÈLE TRADITIONNEL SERA MORT D’ICI DIX ANS » - La Semaine Vétérinaire n° 1841 du 14/02/2020
La Semaine Vétérinaire n° 1841 du 14/02/2020

VÉTÉRINAIRE RURAL

PRATIQUE MIXTE

Auteur(s) : CLOTHILDE BARDE

À L’OCCASION D’UN COLLOQUE ORGANISÉ PAR LE SYNDICAT NATIONAL DES VÉTÉRINAIRES CONSEILS LE 23 JANVIER, LES CONFÉRENCIERS ONT SOULIGNÉ L’URGENCE DE FAIRE ÉVOLUER LE MODÈLE ÉCONOMIQUE DU VÉTÉRINAIRE EN PRODUCTION ANIMALE.

Face aux nouvelles attentes de la société et des éleveurs, le vétérinaire en production animale doit faire une révolution économique et culturelle urgemment », a annoncé Julien Flori, vétérinaire et spécialiste des volailles d’élevage, lors du colloque organisé par le Syndicat national des vétérinaires conseils (SNVECO), le 23 janvier.

Une économie à repenser

En France, le médicament joue depuis des années un rôle central dans le revenu des vétérinaires ruraux. Comme l’a illustré Frédéric Bizard, vétérinaire économiste, spécialiste des questions de protection sociale et de santé, actuellement entre 85 et 95 % des revenus des vétérinaires en filière volaille ou porc dépendent de la vente de produits vétérinaires. « Or, jusqu’à présent la marge faite sur le médicament payait le service rendu aux éleveurs, si bien que la valeur du service n’a jamais pu être vraiment visualisée, mais nous sommes actuellement dans une impasse économique : la vente de médicament n’est plus capable de payer le service, qui est par ailleurs de plus en plus important », a ajouté Philippe Le Coz, vétérinaire en filière porc. Ainsi, avec les mesures actuelles en faveur d’un usage raisonné des antibiotiques (second plan écoAntibio, 2017-20211), des antiparasitaires et des biocides, la vente globale de médicaments a chuté et les traitements préventifs, qui peuvent être délivrés dans le cadre du plan sanitaire d’élevage par des non vétérinaires, remplacent peu à peu les traitements curatifs. En témoigne, en 2016, la chute de 50 % en cinq ans de la vente d’antibiotiques en filière volaille de chair concomitante de la hausse de 20 % de celle de vaccins, selon Charles Facon, vétérinaire en filière volaille.

De nouveaux domaines d’expertise

Comme l’analyse Frédéric Bizard, « la profession vétérinaire est dans une phase de changement brutal inédite. Le modèle traditionnel du vétérinaire rural, qui ne valorisait pas ses services, sera mort économiquement d’ici 10 ans, c’est pourquoi il est nécessaire et urgent de développer de nouvelles activités et de nouveaux services. Ce contexte offre de grandes opportunités pour les vétérinaires ruraux, sous réserve de trouver la capacité à les transformer en sources de revenus ». à cet égard, la première synthèse du livre blanc Vetfuturs France2, présentée par le copilote du projet, éric Lejeau, révèle les nouveaux domaines dans lesquels le vétérinaire est légitimement attendu, comme la garantie de la bientraitance et du bien-être animal (BEA), mais aussi la protection des écosystèmes et de la biodiversité. Il conviendra donc qu’il « prenne toute sa place comme référent scientifique du BEA (par le mandatement, l’habilitation sanitaire, la conception et la garantie du respect du cahier des charges et l’intégration des critères de BEA dans ses plans de prévention), ainsi que dans la prévention, la protection et la préservation de la biodiversité », a soutenu éric Lejeau. En effet, « aucun autre acteur des filières ne peut prétendre apporter une valeur ajoutée aussi forte que celle du vétérinaire notamment en matière de biosécurité », selon Frédéric Bizard. Pour cela, le livre blanc suggère d’améliorer la formation des vétérinaires (formation initiale et continue en BEA), de faciliter l’accès aux données numériques d’élevage par le vétérinaire, d’organiser des réseaux de vétérinaires et avec les autres professionnels de l’élevage et de chercher des solutions au déficit de vétérinaires ruraux (adapter l’entreprise vétérinaire et son management aux attentes des salariés). « Même si toutes les solutions techniques ne sont pas du ressort du vétérinaire, certaines relèvent de son champ d’action, comme le rôle de conseil et de pédagogie qu’ils peuvent jouer auprès des éleveurs et de la société », a indiqué Frédéric Bizard.

Un rôle majeur en santé publique

Reste donc à monétiser cela. « Il faut que l’on trouve le partenaire clé autour duquel on va reconstruire notre modèle économique pour défendre la prospérité de l’exercice libéral vétérinaire », a annoncé Frédéric Bizard. Selon lui, la pierre angulaire de toute la filière animale reste l’éleveur qui constitue avec le vétérinaire un couple indissociablement lié par les intérêts communs qu’ils défendent. C’est pourquoi, comme de nos jours l’éleveur n’est pas solvable pour réellement pouvoir soutenir le financement de nouveaux services à haute valeur ajoutée, il convient de rappeler à l’état les risques évités en matière de santé publique grâce aux conseils prodigués par les vétérinaires ruraux pour la prévention des épidémies, le bon usage des médicaments et la mise en place de bonnes pratiques d’élevages, a précisé Frédéric Bizard. De plus, selon lui, « les pouvoirs publics ont aussi intérêt à conserver les vétérinaires libéraux, sans quoi il faudrait fonctionnariser la médecine vétérinaire sanitaire, ce qui coûterait plus cher ». Parmi les sources de fonds potentielles pour les éleveurs, on pourrait envisager un financement professionnel, des programmes état-région reposant sur des fonds européens, de la région, du département, voire de la commune. D’ailleurs, une des pistes évoquées dans le livre Vetfuturs est de mettre en place des partenariats « vétérinaires, éleveurs, collectivités territoriales, État innovants pour un maillage territorial adapté à chaque bassin de vie ». Dans chaque région, il serait nécessaire de trouver des solutions aux enjeux de permanence et de continuité des soins, en développant et en faisant connaître les dispositifs de contractualisation. « Il faut donc attirer l’attention des pouvoirs publics sur le triptyque sanitaire, territorial et environnemental en impliquant les trois ministères concernés », a conclu Frédéric Bizard, avant d’insister sur le fait que « le vétérinaire ne pourra jamais être considéré à sa juste valeur sans changement du Code de la santé publique qui actuellement ne l’inclut pas comme professionnel de santé ».

1. www.bit.ly/2OyeGGz.

2. www.vetfutursfrance.fr.

VETFUTURS, POUR VOIR PLUS LOIN

Projet lancé par le Syndicat national des vétérinaires d’exercice libéral (SNVEL) et par le Conseil national de l’Ordre des vétérinaires, il a pour objectif d’analyser ce qui caractérise la profession de vétérinaire aujourd’hui et le contexte dans lequel elle évolue, pour préparer et créer son avenir.