CONSENSUS DU GEMI
PRATIQUE CANINE FÉLINE NAC
FORMATION
Auteur(s) : LAURENT MASSON
CONFÉRENCIERS
CHRISTELLE MAUREY, diplomate Ecvim, maître de conférences à l’ENVA (Maisons-Alfort, Val-de-Marne) • JULIE GALLAY-LEPOUTRE, diplomate Acvim, praticienne au centre Olliolis (Ollioules, Var) • YANNICK BONGRAND, diplomate Acvim, praticien à la clinique Alliance (Bordeaux, Gironde).
Article rédigé d’après des conférences présentées pour le groupe d’étude en médecine interne (Gemi) au congrès de l’Afvac de Lyon (Rhône), en novembre 2019.
La maladie rénale chronique (MRC) du chat est une maladie fréquente, dont la prévalence est évaluée à 15 à 30 % des chats de plus de 15 ans, voire 80 % avec l’utilisation d’outils diagnostiques précoces. Elle est associée à une néphropathie évolutive, évoluant différemment selon la cause rénale primitive. Cette dernière n’est identifiée que chez 1 chat sur 5, selon les auteurs. Dans certains cas, elle peut être identifiée avant même le développement de l’insuffisance rénale (polykystose rénale par exemple). Chez le chat, la néphrite tubulo-interstitielle idiopathique est la lésion la plus fréquente. Elle est caractérisée par de la fibrose, de l’inflammation et de la minéralisation du parenchyme rénal. Or ces lésions fibrotiques sont difficiles à identifier (sédiment urinaire passif, échographie peu informative).
Ainsi, le diagnostic précoce de la MRC repose sur l’évaluation lésionnelle (imagerie, perte de poids, protéinurie) et fonctionnelle (urémie, créatininémie et SDMA). Ce diagnostic précoce permet d’éviter l’aggravation avec la détection des premiers symptômes et d’inciter à la prudence lors d’utilisation de médicaments néphrotoxiques ou en prévision d’une anesthésie.
Le suivi de la courbe de poids est un élément clinique souvent négligé. Or une diminution du poids peut être observée aux stades Iris 1 et 2, débutant 1-2 ans, avant même l’identification d’une MRC. La palpation rénale est peu sensible dans ce contexte (33 %), sauf en présence d’un gros rein à la palpation qui est en revanche un signe d’appel important.
La réalisation de bandelette urinaire offre peu de satisfaction.
Le rapport protéinurie/créatinurie (PU/CU) est plus intéressant (normal si inférieur à 0,2, anormal si supérieur à 0,4), mais à condition d’éliminer des causes postrénale (infectieuse ou inflammatoire) ou prérénale (hyperprotéinémie) qui pourraient fausser l’interprétation. Une valeur supérieure à 2 de manière répétée est en faveur d’une lésion glomérulaire. Les lésions rénales chez le chat sont peu ou pas protéinuriques. Il s’agit donc d’un élément moyennement informatif dans la détection précoce de la MRC.
L’imagerie manque d’intérêt lors de néphrite tubulo-interstitielle (diminution de la taille des reins), mais permet de rechercher d’autres causes de MRC.
Le diagnostic fonctionnel consiste à évaluer le débit de filtration glomérulaire (DFG).
La baisse de la concentration des urines est considérée comme étant précoce, surtout chez le chien, mais elle n’est observée chez le chat qu’à partir du stade 2. Par ailleurs, il convient de tenir compte des nombreux facteurs de variation extrarénaux qui peuvent la modifier.
La créatininémie est bien corrélée au débit de filtration glomérulaire (DFG), mais les variations sont discrètes aux stades précoces. Afin d’améliorer la sensibilité de la détection de la baisse du DFG, il est recommandé de réaliser un suivi longitudinal de la créatininémie : selon les publications, une différence de 10 à 20 % de la créatinémie par rapport à une valeur basale du même animal évoque une détérioration de la fonction rénale et doit conduire à explorer. Par ailleurs, l’influence liée à la masse musculaire n’a un impact que dans les stades avancés de la MRC.
L’urémie augmente également de façon tardive et est moins spécifique (lors de déshydratation, en raison de sa réabsorption tubulaire, lors d’insuffisance hépatique ou encore de saignements digestifs).
La SDMA améliore le diagnostic de la maladie rénale chronique. Ce nouveau marqueur statique, bien corrélé au DFG, augmente plus précocement (17 mois plus tôt que la créatininémie), indépendamment de la masse musculaire, de l’âge ou du sexe, ni même d’un effet « blouse blanche ». Elle est sous-estimée lors d’hémolyse. Une valeur inférieure à 14 ?g/dl est considérée normale, avec une variation analytique de 1,34. Des études ont commencé à mettre en évidence des variations raciales : chez le sacré de birmanie, la valeur seuil est égale à 16 ?g/dl. Chez le chat hyperthyroïdien, une augmentation de la SDMA après la mise en place du traitement signale une dégradation de la fonction rénale. En revanche, la SDMA ne semble pas influencée en présence d’une insuffisance cardiaque, d’un processus tumoral, d’un diabète, ni d’une maladie inflammatoire. Une étude a montré un intérêt de la SDMA dans la détection précoce de calculs rénaux par rapport à la créatininémie, ce qui peut être intéressant dans certaines races prédisposées comme le sacré de birmanie. Néanmoins, l’élévation isolée d’un paramètre, même de la SDMA, ne doit pas conduire à un diagnostic de MRC et doit être interprétée en fonction du contexte clinique et épidémiologique. Une fois la MRC diagnostiquée, il convient tout d’abord de rechercher la cause afin de mettre en place un éventuel traitement étiologique.
Un suivi systématique est indispensable afin d’identifier et de surveiller un certain nombre de complications possibles (protéinurie, hypertension artérielle, anomalie du métabolisme phosphocalcique) dans les premières semaines qui suivent, toutes les 2 à 4 semaines, jusqu’à stabilisation lors de la mise en place d’un traitement.
La périodicité du suivi à long terme d’un animal stable est guidée par les recommandations du stade Iris : 6 à 12 mois pour le stade 1, sauf en cas de protéinurie très marquée, tous les 3 à 6 mois en stade 2, tous les 3 à 4 mois en stade 3. Un examen clinique est réalisé à chaque visite, avec une évaluation du score corporel, de la masse musculaire, de son poids, de l’état d’hydratation, une palpation rénale, une prise de la température et un examen du fond d’œil.
Les examens complémentaires recommandés sont une mesure de la pression artérielle en début de consultation, un examen sanguin (urémie, créatininémie, phosphorémie, calcémie totale ou si possible ionisée, ionogramme, protéinémie totale et albuminémie, un taux d’hématocrite, voire une numération et formule sanguines pour la recherche d’une éventuelle leucocytose en faveur d’une pyélonéphrite, une analyse urinaire avec une densité urinaire, un rapport PU/CU et un culot urinaire).
La culture urinaire n’est pas nécessaire dans le cadre d’un suivi, sauf en cas d’anomalie du culot urinaire, de signes cliniques d’atteinte du bas appareil urinaire (hématurie, dysurie, pollakiurie) ou de progression inexpliquée de l’azotémie même sans détérioration clinique.
Un examen d’imagerie est indiqué en cas de lésions diagnostiquées lors du bilan initial (pour un suivi), en cas de progression inexpliquée de l’azotémie et chez un chat qui se détériore (recherche d’une affection concomitante).
À la maison, le propriétaire peut suivre le poids, l’appétit, l’apparition de signes digestifs, d’une baisse d’activité ou d’une faiblesse (hypokaliémie ?), d’une perte de vision, d’un changement de comportement, d’une augmentation de la consommation d’eau ou du volume d’urine, ou d’une modification du comportement mictionnel ou de l’aspect des urines.
Devant une élévation brutale de la créatininémie chez un chat souffrant de MRC, l’objectif est de savoir s’il s’agit d’un épisode aigu réversible (absence réelle de dégradation de la MRC) ou bien d’une progression irréversible de la MRC (encadré page 22).
La première étape consiste à évaluer le degré d’aggravation de la dysfonction rénale. Malgré leurs limites, l’urémie et la créatininémie peuvent apporter des informations intéressantes dans ce contexte : l’urémie augmente rapidement et est plutôt corrélée avec les manifestations cliniques. Quant à la créatininémie, elle pourra être comparée aux valeurs précédentes, afin de détecter une variation significative (différence supérieure à 4 mg/l). En revanche, la SDMA apporte peu de renseignements complémentaires par rapport à la créatininémie. Elle n’a d’intérêt qu’en cas d’amyotrophie ou d’incohérence entre urémie et créatininémie. Lors de détérioration aiguë de la fonction rénale, il est également important de surveiller la diurèse pour détecter une oligo-anurie (diurèse inférieure à 1 ml/kg/h hors contexte de déshydratation ou d’obstruction postrénale).
La seconde étape est de diagnostiquer d’éventuelles complications de l’atteinte rénale aiguë par un bilan phosphocalcique (hyperphosphatémie, hyper/hypocalcémie), un ionogramme (hyper/hypokaliémie), une évaluation des gaz du sang (acidose métabolique, nécessitant rarement une prise en charge thérapeutique), une numération et formule sanguines (anémie lors d’ulcération, de saignement digestif, leucocytose lors de pyélonéphrite) et une mesure de la pression artérielle (hypertension artérielle systémique fréquente).
D’un point de vue diagnostique, il convient de rechercher un éventuel facteur d’aggravation sur lequel il est possible d’agir pour revenir à l’état précédent. C’est seulement après avoir écarté un facteur d’aggravation qu’une progression irréversible de la maladie rénale chronique est envisagée.
Ainsi, Il est indispensable de réaliser un recueil complet de l’anamnèse (anesthésie, hypovolémie, prescription d’anti-inflammatoires non stéroïdiens, d’amlodipine, d’inhibiteur de l’enzyme de conversion de l’angiotensine, de diurétique, cardiopathie avec thromboembolie, exposition au lis ou à l’éthylène glycol, antécédents de calculs urinaires), un examen clinique (douleur ou asymétrie rénale, déshydratation, état de réplétion vésicale, etc.), une uroculture systématique (20 à 30 % des chats souffrant de MRC présenteraient une pyurie subclinique) et si possible un examen d’imagerie (recherche d’une obstruction postrénale, d’une pyélonéphrite).
Lors de MRC, l’élévation progressive de la créatinine s’accompagne de signes cliniques assez discrets. Puis une augmentation brutale est observée quelques mois plus tard, suivie d’un plateau (stade 3 ou 4). Ensuite, la montée est davantage marquée, brutale et ponctuelle (crise urémique qui sera prise en charge cliniquement), à nouveau suivie d’un plateau avec un retour aux valeurs basales (donc sans progression de la maladie rénale). Puis un nouvel épisode aigu apparaît, mais la prise en charge médicale permet seulement de diminuer les valeurs rénales et non un retour proche de la valeur basale (stade 3 ou 4). Et enfin les crises se rapprochent.