VÉTÉRINAIRE ÉLU LOCAL : LA VIE COMMUNALE EN BANDOULIÈRE - La Semaine Vétérinaire n° 1843 du 28/02/2020
La Semaine Vétérinaire n° 1843 du 28/02/2020

DOSSIER

Auteur(s) : CHANTAL BÉRAUD

À LA VEILLE DES PROCHAINES ÉLECTIONS MUNICIPALES, DES MAIRES ET ADJOINTS DE FORMATION VÉTÉRINAIRE SE CONFIENT SUR LEUR ENGAGEMENT POUR LEUR COMMUNE, EXPLIQUENT LEURS CHOIX ET LA FAÇON DONT ILS S’ORGANISENT POUR COMBINER PRATIQUE PROFESSIONNELLE ET EXERCICE POLITIQUE. PORTRAITS.

Je suis célibataire et sans enfant. Mes amis me taquinent donc parfois en me disant : c’est parce que tu n’as pas assez d’ennui à la maison que tu vas en chercher à la mairie ! » Praticien mixte, Arnaud Lelièvre du Broeuille (A 01) est devenu pour la première fois maire d’Ambleteuse (1 900 habitants, dans le Pas-de-Calais) en 2014. Enfant du pays, il se représente de nouveau cette année. Pourquoi ? Réponse amusée : « Parce que j’ai fait connaissance avec le temps administratif ! Les vétérinaires exercent une profession où ils ont l’habitude d’agir vite. En revanche, en politique, le temps de concrétisation des projets est souvent long, ne serait-ce que parce qu’il y a beaucoup de normes à respecter. Du coup, il faut presque un mandat pour préparer, et un mandat pour faire ! »

Pendant son premier exercice, il a, quoi qu’il en dise, déjà commencé à façonner différemment son village, une commune littorale qui fait partie de la magnifique Côte d’Opale. Un attrait touristique qui a aussi ses inconvénients, puisque de nombreux résidents belges viennent s’y installer, entraînant une hausse du prix de l’immobilier. « Durant mon premier mandat, commente Arnaud Lelièvre du Broeuille, j’ai réfléchi à la façon dont on pourrait parvenir au taux de 20 % de logement social. Nous avons donc fait construire une résidence sociale - qui ressemble plus à un village vacances ! - qui permet aujourd’hui d’accueillir environ 70 familles. Mes projets pour l’avenir sont de créer en plus une quarantaine de logements en accession à la propriété, ainsi qu’une Maison d’assistantes maternelles, d’aider le petit commerce, de redynamiser le centre bourg en y amenant de nouveaux services… » Stop ! Visiblement, des envies et des idées, il n’en manque pas, mais est-ce que son métier de vétérinaire l’aide dans cette mission ? « Ma formation m’apporte un certain esprit de synthèse, doublé d’une capacité de diagnostic ».

« J’ai encore dit oui »

La liberté complète ! Voilà ce que, pour sa part, Laurent Nicolle (A 80), vétérinaire mixte à Roézé-sur-Sarthe (Sarthe), envisageait pour son avenir, avec l’arrivée de sa retraite d’ici à quelques mois. Donc, sans repartir aucunement dans une nouvelle aventure municipale pour les élections des 15 et 22 mars prochains. Oui mais voilà, c’était compter sans Dominique Dhumeaux, maire de Fercé-sur-Sarthe, qui brigue un troisième mandat. « Il est venu me chercher, avec la même équipe qu’en 2014, poursuit Laurent Nicolle. C’est un premier magistrat que je trouve charismatique, avec un engagement très fort en faveur de la ruralité. Alors, je lui ai encore dit oui pour 2020. Lors du premier mandat, j’étais 3e adjoint, chargé du traitement des eaux, de la voirie et des projets de construction ».

Dans cette tâche, il apprécie de travailler en équipe, de rencontrer des gens variés, y compris d’autres personnes qui ne sont pas forcément du même avis que le sien. En tant que vétérinaire mixte, il connaît évidemment déjà bien le milieu rural, ses joies et ses difficultés. « Dans notre zone, estime Laurent Nicolle, il y a des agriculteurs qui ne touchent pas suffisamment de revenus face au travail fourni. Pour le reste, le territoire est heureusement assez dynamique, grâce aux activités industrielles. Le taux de chômage y est aussi relativement bas. Mais il y a un abandon de certaines populations, comme les personnes âgées, qui souffrent de la fracture numérique. Les services continuent à se développer grâce aux communautés de communes, aux mairies, tandis que l’État poursuit son désengagement ». Oui, décidément, visiblement, tous ces combats-là - à hauteur d’homme - l’intéressent, et justifient son engagement.

Trois vies en une

Mais alors, docteur, comment parvenir à combiner trois vies (parentale, professionnelle et adjoint) en une ? « Je me suis engagé dans un mandat assez tard, explique Laurent Nicolle. En fait, j’ai attendu que mes enfants soient grands. Bien sûr, il faut quand même parvenir à jongler avec son emploi du temps. Heureusement, souvent les réunions ont lieu en soirée. Et j’estime que l’on peut consacrer quelques heures à sa commune durant les jours de repos. Une fois, une secrétaire de mairie m’a confié qu’elle pensait que tout le monde devrait faire au moins un mandat dans sa vie. Donc, oui, je trouve dommage que la profession vétérinaire ne s’engage pas davantage en politique locale ».

S’il n’existe pas de liste exhaustive nationale à partir de laquelle il serait possible de “filtrer” les élus en fonction de leur profession, une vue d’ensemble permet de constater que les vétérinaires les plus présents en politique - surtout à un niveau national ou cumulant plusieurs mandats locaux - semblent ceux qui sont soit partis en retraite, soit qui abandonnent provisoirement - ou définitivement - leur métier. Une “acrobatie” que connaît bien Joël Balandraud (A 99), maire d’Évron (Mayenne), également président de la communauté de communes des Coëvrons (28 000 habitants) et conseiller départemental. Le choix de cette vie politique bien remplie l’a effectivement conduit à devoir céder ses parts d’associé, parce qu’il ne pouvait plus notamment assurer suffisamment de gardes de nuit. « Mais si je suis réélu maire en 2020, j’aimerais essayer de garder un pied dans la profession, explique-t-il. J’envisage par exemple de devenir professeur auprès d’un centre de formation d’auxiliaire spécialisé vétérinaire. Car cela me permettrait, par exemple, de rester au courant de certaines des évolutions de notre métier, dont les changements du cadre réglementaire ou législatif ». Une autre possibilité serait aussi peut-être pour lui de devenir salarié un jour par semaine, en rural ou en canine. Des options sur lesquelles il s’interroge surtout parce qu’il aime le métier de vétérinaire, la vie active, mais aussi un peu parce qu’on lui a fait comprendre que ses mandats locaux s’apparentaient à des CDD : « J’en ai réellement pris conscience le jour où je suis allé demander à mon banquier de me prêter une somme qui me semblait assez triviale, explique-t-il. À ma grande surprise, il a me l’a refusée, en me demandant quand auraient lieu les prochaines élections ! »

TÉMOIGNAGE
JOËL BALANDRAUD (A 99)
Ancien associé en clientèle bovins/chevaux Maire d’Évron et président de la communauté de communes des Coëvrons (28 000 habitants, en Mayenne)
Face à un problème politique, mon diagnostic est quasi thérapeutique

Ma commune d’Évron est sans doute un peu particulière, puisque trois vétérinaires de suite y ont été élus maires ! Politiquement parlant, je ne pense pas qu’être vétérinaire soit un désavantage. Car notre profession conserve une bonne aura, nous avons un contact privilégié avec les animaux et les propriétaires qui génère souvent de l’empathie. Surtout si on est disponible, convivial, et que l’on travaille physiquement avec les éleveurs, sur le terrain. Cela crée une proximité que n’ont pas, par exemple, d’autres notables comme les notaires. Ensuite, après les élections, même si beaucoup d’actions n’ont rien à voir avec le monde des vétérinaires, j’applique aux problèmes que je rencontre une sorte de diagnostic thérapeutique. En effet, comme un vétérinaire, je recueille les antécédents, je réalise le diagnostic, j’effectue si besoin un examen politique supplémentaire. Je prends une décision, puis j’évalue l’évolution du « traitement ». Par nature, un vétérinaire est parfois amené à changer de décision, en fonction de la façon dont évolue la maladie de l’animal. Je peux faire de même en politique, alors que je vois que d’autres élus, non vétérinaires, ont plutôt tendance à s’accrocher à la seule solution qu’ils ont trouvée face à un problème donné.

TÉMOIGNAGE
PHILIPPE BOIDIN (T 85)
Praticien canin, adjoint au maire en charge de la propreté, à Saint-Omer (15 000 habitants, dans le Pas-de-Calais)
Les employés des espaces verts apprécient que je sache faire démarrer un tracteur !

Comme François Decoster, le maire sortant de Saint-Omer, se représente aux municipales de 2020, je vais essayer de poursuivre mon action à ses côtés. Il est aujourd’hui directeur du cabinet du secrétaire d’État aux affaires étrangères, c’est un élu que j’admire car je trouve qu’il a de l’allure, dans tous les sens du terme… Si nous sommes réélus, je serai probablement son adjoint, en charge de la propreté, des espaces verts et des affaires agricoles. Il faut notamment veiller sur un marais très important, inscrit au Patrimoine mondial de l’Unesco1. Je suis à l’aise dans ce genre de missions, car je me sens proche de la nature, étant un enfant du pays, en plus d’être un fils de paysan…Les employés des espaces verts apprécient que je sache démarrer un tracteur ! Je constate cependant avec amusement que la propreté, ce n’est pas le poste qui est le plus brigué par les adjoints. Pourtant, le ramassage et le tri des déchets, c’est fondamental pour une bonne gestion de notre environnement au quotidien. Et ce n’est pas aussi simple que cela peut en avoir l’air. Prenons un exemple concret : nous avons 183 poubelles sur Saint-Omer. Pour judicieusement les implanter, il faut tenir compte de nombreux paramètres. Car, les riverains ne veulent naturellement pas qu’on les fixe sur leurs murs. Si elles sont au sol, il ne faut pas non plus qu’elles empêchent la circulation des personnes à mobilité réduite. Il y a aussi un périmètre à respecter aux alentours des écoles, et l’architecte des bâtiments de France nous impose également d’autres normes autour de la cathédrale. Je trouve que cet exemple concret est parlant : il montre bien qu’un exercice politique au niveau local, demande aussi des compétences… Et que dans ce domaine comme dans d’autres, si la critique est facile, l’art est difficile.

1. Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture.

TÉMOIGNAGE
SOPHIE LE DRÉAN-QUÉNEC’HDU (N 93)
Vétérinaire canine, docteure en biologie, adjointe à l’environnement à Melesse (6 700 habitants, en Ille-et-Vilaine)
Nous avons réalisé un atlas de la biodiversité communale

J’ai proposé aux habitants de participer à un inventaire de la faune et de la flore de notre territoire, afin d’en tirer une carte collaborative. C’est ensuite qu’on m’a avertie que ce que j’étais en train de créer existait déjà, sous l’appellation officielle d’un atlas de la biodiversité communale ! En 2015, ce projet a été primé et a bénéficié d’une subvention de 5 000 €, accordée par le Fonds de dotation pour la biodiversité. La communauté de communes du Val d’Ille-Aubigné l’a également soutenu, sur des fonds dévolus à la trame verte et bleue. Cette année enfin, nous avons finalisé un document accessible aux habitants et rendu praticable un “chemin de la biodiversité”. On y randonne en allant de panneaux en panneaux et avec des possibilités de connexion à des spots interactifs. Notre inventaire n’a pas permis de découvrir d’espèce patrimoniale, mais il joue pleinement son rôle, dans la mesure où il met en lumière tout ce qui constitue la biodiversité ordinaire, qui elle aussi a bien besoin d’être soutenue… Par ailleurs, les aménagements de nos espaces verts communaux essaient également de favoriser cette même biodiversité, grâce à l’installation de plantes favorisant les pollinisateurs, la création de mares, mais aussi de friches favorables aux insectes et aux oiseaux. Au début, certains habitants ont trouvé que ces espaces n’étaient pas suffisamment “propres” ou “bien entretenus”, mais aujourd’hui la commune reçoit beaucoup de félicitations pour ces réalisations. Cela montre qu’il faut du temps pour éduquer, changer les mentalités et les pratiques. Si nous sommes réélus en 2020, nous allons essayer de mettre en place un conseil de la biodiversité au niveau communal, qui comprendra, outre des élus, des habitants, des représentants d’association, afin de réfléchir ensemble à d’autres actions. Comme la création d’une trame noire, donc non éclairée de nuit, toujours pour aider au maintien de la biodiversité.