LES VÉTÉRINAIRES ACCUSÉS DE COMPLAISANCE - La Semaine Vétérinaire n° 1844 du 06/03/2020
La Semaine Vétérinaire n° 1844 du 06/03/2020

CHIENS DANGEREUX

PRATIQUE CANINE FÉLINE NAC

ANALYSE

Auteur(s) : LORENZA RICHARD

Un article publié dans Le Parisien prétend que la délivrance de certificats de complaisance visant à déclasser les chiens de catégorie par des vétérinaires de Seine-Saint-Denis serait à l’origine d’une augmentation des morsures graves. Notre confrère Christian Diaz apporte son éclairage.

D’après l’article « L’inquiétant déclassement des chiens dangereux en Seine-Saint-Denis », paru fin janvier dans le quotidien Le Parisien1, sur 500 dossiers litigieux étudiés en cinq ans à Aulnay-sous-Bois, une commune de Seine-Saint-Denis, 200 portaient sur des chiens déclassés. La profession vétérinaire serait ainsi montrée du doigt comme étant une menace pour la santé publique, en déclassant par complaisance des chiens de catégorie. Notre confrère Christian Diaz, auteur de L’Évaluation comportementale : guide pratique et juridique, réagit en évoquant la réglementation et les obligations concernant la certification.

Que vous évoquent ces accusations ?

Christian Diaz : Il conviendrait en premier lieu de s’assurer de la réalité des faits avancés et de la fiabilité des chiffres. Par exemple, la source du chiffre de 500 000 morsures annuelles en France, qui est la référence, reste encore inconnue. Les vétérinaires sont accusés de pratiquer des déclassements de complaisance, mais il apparaît que le terme de “déclassement” est impropre pour qualifi er une procédure qui ne vise qu’à corriger un classement préalablement erroné. En effet, l’arrêté du 27 avril 1999 définit les caractéristiques morphologiques des chiens dits dangereux, mais une inapplicabilité de fait réside dans l’essence même du texte, qui est un condensé de délire administratif et de méconnaissance cynophilique.

Quelles sont les incohérences de la loi du 6 janvier 1999 concernant les catégories ?

Elle repose sur une théorie qui prétend que la dangerosité d’un chien serait fonction de ses caractéristiques morphologiques, et exalte la supériorité des animaux de “race pure” par rapport à leurs semblables non inscrits à un livre généalogique reconnu. Ainsi, les chiens dits dangereux de race sont classés en 2e catégorie, et leurs équivalents théoriques sans papiers en 1re. Il existe deux exceptions, pour des raisons inconnues : le mastiff de race pure n’est pas dangereux, mais sans papiers, il est de 1re catégorie (boerbull), et le rottweiler est en 2e catégorie, qu’il soit ou non de race pure. De plus, le texte évoque une race qui n’existe pas, le staffordshire terrier, que le gouvernement dément être le staffordshire bull-terrier (staffy). Enfin, le boerboel, race sud-africaine, n’est pas classé dangereux.

Les éléments de reconnaissance sont-ils également mal définis ?

La délirante annexe de l’arrêté décrit avec précision, « pour faciliter la tâche des autorités de contrôle », les caractéristiques morphologiques des chiens de catégorie avec un sens de l’absurde, qui serait ridicule s’il n’avait été à l’origine de la mise à mort de dizaines de milliers d’individus. Par exemple, selon le texte, les chiens de 1re et 2e catégories sont des “molosses de type dogue”. Selon la classification de la Fédération canine internationale, les molosses appartiennent au groupe 2, et pourtant l’amstaffest classé en groupe 3, celui des terriers. De même, le pitbull serait un dogue, mais assimilable morphologiquement à un staffordshire terrier (race imaginaire) ou à un amstaff, donc à un terrier. Enfin, un chiot pitbull n’existe pas, car les critères morphologiques de l’arrêté sont fixes et ne peuvent s’appliquer à des jeunes animaux dont l’aspect évolue, et pour lesquels une diagnose est nécessaire entre 8 et 12 mois.

En quoi les failles de ce texte permettent-elles de déclasser un chien ?

Par exemple, chez le pitbull, « le museau mesure environ la même longueur que le crâne, et le stop n’est pas très marqué ». Or, chez l’amstaff, le museau est nettement plus court que le crâne et le stop est net. Ainsi, en application du texte, le pitbull est morphologiquement assimilable à un amstaff, sans en présenter les principales caractéristiques morphologiques. L’observateur se trouve donc dans une situation inconfortable. Si le chien ressemble à un amstaff, ce n’est pas un dogue et il ne correspond pas aux éléments de reconnaissance du pitbull. Si le chien répond aux éléments de reconnaissance du pitbull, il ne ressemble pas à un amstaff. Comment le classer ? Enfin, sa hauteur au garrot ne doit pas dépasser 50 cm. Ainsi, en toute logique, un chien trop grand n’est plus dangereux. De même, ce texte indique que les chiens de 2e catégorie « répondent aux standards des races concernées ». En application stricte du texte, un chien de race non conforme au standard (validé par un expert confirmateur) ne relève donc plus de cette catégorie et, étant inscrit à un livre généalogique, ne peut être rétrogradé en 1re. Il sort alors purement et simplement des catégories de chiens dangereux.

Comment alors certifier de façon cohérente ?

Lorsqu’il effectue une diagnose de catégorie, le praticien remplit sa mission en ne certifiant que des éléments vérifiés et vérifiables, comme l’exige l’article R. 242-38 du Code rural et de la pêche maritime. Un vétérinaire qui certifierait à tort que le chien présente toutes les caractéristiques d’un chien dangereux, alors que cela est impossible pour le pitbull, comme nous l’avons vu, engagerait sa responsabilité par le préjudice qu’il créerait pour le client. En particulier, l’identificateur d’un chiot, ne pouvant certifier sa future appartenance à la 1re catégorie, ne peut l’inscrire sous cette qualification au fichier central, une future diagnose étant hautement susceptible de le contredire. Si le chiot présente les caractéristiques apparentes d’un amstaff, ou si l’un des parents est connu, il convient de l’inscrire comme croisé amstaff, jeune non catégorisable, et d’informer le détenteur sur l’obligation de déterminer sa catégorie après 8 mois.

Le vétérinaire doit-il s’abstenir de certifier certains éléments ?

Il est important ici de préciser la différence entre constat et expertise (avis). Le constat se borne à certifier des éléments de fait, sans se prononcer sur leurs conséquences de droit ou de fait, alors que dans une expertise, l’expert rend un avis après avoir mené à bien ses investigations. Par exemple, il y a une différence entre « ce chien ne présente pas l’ensemble des caractéristiques morphologiques d’un chien de 1re ou 2e catégorie en vertu des dispositions de l’arrêté du 27 avril 1999 », qui est un constat, et « ce chien n’est pas un chien de 1re catégorie », qui est un avis. Seul le juge peut dire le droit devant l’incohérence des textes. Influencé par les médias et les idées reçues, il peut trancher en classant en 1re catégorie un chien qui ne présenterait pas les éléments de reconnaissance cités plus haut. Il peut aussi juger en faveur de l’usager, conformément aux principes de base appliqués en cas de doute. En conclusion, si le vétérinaire certifie des éléments vérifiables, il n’a objectivement aucune raison de s’en abstenir.

1. www.bit.ly/2HWePA5.

CHRISTIAN DIAZ
Vétérinaire, auteur de L’Évaluation comportementale : guide pratique et juridique, 2e édition (Les Éditions du Point Vétérinaire, 2017)
© Frédérique DecanteUn article publié dans Le Parisien prétend que les vétérinaires délivrent des certificats de complaisance visant à déclasser les chien de catégorie.