LA FORMATION CONTINUE VÉTÉRINAIRE
DOSSIER
Auteur(s) : SERGE TROUILLET
L’OBLIGATION DE FORMATION CONTINUE POUR TOUS LES PRATICIENS, COUPLÉE AU DÉPLOIEMENT DES NOUVELLES TECHNOLOGIES DANS LE CHAMP DE LA FORMATION, A GÉNÉRÉ UN MARCHÉ SUBSTANTIEL DANS CE SECTEUR. CELUI-CI INNOVE, LA CONCURRENCE LE STIMULE, DES AMBITIONS EUROPÉENNES S’AFFICHENT. DES CRITIQUES S’ÉLÈVENT ÉGALEMENT.
Le développement de la formation continue, laquelle est obligatoire au sein de la profession vétérinaire, est foisonnant. Outre le présentiel, qui demeure majoritaire dans le champ médical vétérinaire, les webinaires, les conférences connectées, les tables rondes en ligne ou lors de soirées conviviales entre praticiens, les modules mixtes, les téléformations, voire le microlearning, colorent une mosaïque de formats disponibles à ne plus savoir lequel choisir ! Une start-up, Vetools, l’a bien compris. Elle a créé un site, Vetacademie. fr, pour aider les praticiens à s’y retrouver. Sa porte d’entrée est aujourd’hui un annuaire de 2 600 formations, qu’elle compte étoffer auprès de tous les organismes intervenant dans le secteur vétérinaire, avec un moteur de recherche facilitant un ciblage sur mesure (thème, durée, lieu, coût, etc.).
Membre d’EdTech France, une branche de la French Tech pour l’éducation et la formation, Vetools ne compte pas s’arrêter là. Elle entend offrir à ses abonnés de la rationalité : inscriptions aux formations directement sur le site, gestion des crédits de formation continue (CFC) et du dossier de justificatifs des formations réalisées, qui résulte de cette obligation de formation continue pour les praticiens, etc. ; proposer aux organismes de faire du microlearning, c’est-à-dire l’envoi, aux personnes inscrites sur le site, de petites capsules de connaissances récurrentes sur un thème pouvant inciter à aller plus loin lors d’une formation adaptée ; coconstruire avec eux des formations s’appuyant sur des technologies émergeant dans d’autres secteurs d’activité, comme des lunettes connectées permettant de filmer en direct la manipulation chirurgicale en cours ; leur fournir des outils numériques propres à faire évoluer leurs formations…
À tout seigneur… L’Association française des vétérinaires pour animaux de compagnie (Afvac), qui a fêté ses 60 ans en 2019, est de loin le plus grand organisme de formation continue vétérinaire en France. Avec ses 16 salariés au siège, ses groupes d’études, ses comités scientifiques, ses sections régionales, ses 3 300 adhérents, sa médiathèque contenant plus de 200 vidéos, l’association a vu passer en 2019, hors congrès Afvac, 6 380 praticiens dans ses 160 formations annuelles. Si le présentiel demeure son cœur de métier, l’Afvac n’en équipe pas moins ses formations d’outils d’apprentissages interactifs afin de les enrichir. « Notre atout, se félicite Erik Asimus, son vice-président délégué à la formation continue vétérinaire, est d’avoir maintenant une ingénierie pédagogique bien rodée qui permet d’adapter, d’évaluer et de faire progresser les formations en permanence ».
Autre acteur historique de la formation continue vétérinaire, avec également l’Association vétérinaire équine française (Avef), la Société nationale des groupements techniques vétérinaires (SNGTV), fédération de GTV régionaux et départementaux, est, quant à elle, organisée en commissions, par espèce ou transversales. Son domaine, avec 2 200 adhérents praticiens et sans concurrents à sa mesure, est celui des productions animales. « Nous avons récemment mis en place un comité de formation pour toiletter toute notre offre, indique Christophe Brard, son président. Si les formations en présentiel restent majoritaires, en raison de leur approche pratique, nous développons d’autres formats comme les téléformations, les conférences en ligne, les modules mi-théoriques mi-pratiques comme celui sur le bien-être animal en partenariat avec VetAgro Sup. »
La société Wizzvet est bien plus récente. Elle est apparue sur la scène vétérinaire en septembre 2015. Outre son offre de webconférences et la construction, en partenariat avec des groupements d’intérêt économique (GIE), de modules mixtes dont elle assure les parties amont et aval en ligne, Wizzvet innove en proposant des prestations en télémédecine. Selon Dorine Olejnik, sa fondatrice et dirigeante, « il y a là un vrai besoin, même si les habitudes prennent encore le pas sur cette innovation d’usage. La télémédecine permet de se former sur ses propres cas, avec des réponses délivrées par des spécialistes dans la journée, voire dans la demi-heure. On se souvient d’autant mieux de leur résolution. Ce sont presque des travaux dirigés en ligne. Notre plateforme sert aussi de support à des échanges entre vétérinaires sur des cas pour lesquels il y a discussion, voire désaccord. La confrontation des savoirs et des expériences est enrichissante pour tous ». L’offre en est à ses débuts, mais déjà une demande par jour en moyenne est ainsi traitée.
Plus installée dans la profession, Veterinarius, qui a été créé par cinq vétérinaires en 2007, n’en est pas moins reconnue comme un organisme de formation continue haut de gamme. Sa spécificité tient à son offre de formations pratiques, en petits groupes, sur un format court d’une journée. L’imagerie et la chirurgie, en partenariat notamment avec l’École nationale vétérinaire d’Alfort, se prêtent à cette définition d’objectifs limités mais qui doivent être atteints en fin de journée. Un succès assuré. Créative, Veterinarius a elle-même développé et breveté un modèle d’abdomen de chien qui permet d’apprendre à faire des biopsies échoguidées. Sa réputation et ses 150 formations de standard supérieur assurées annuellement par une quarantaine d’intervenants ont récemment facilité sa vente, par ses fondateurs, au leader de la formation continue vétérinaire en Belgique, et à ses partenaires, 2Learn, qui affiche résolument une ambition européenne (encadré ci-contre).
Le dynamisme du secteur est donc patent. Il n’en masque pas moins certaines ambiguïtés. La formation continue, en eff et, est essentiellement tournée vers l’exercice pratique du métier. Elle ne peut se faire en conséquence sans l’utilisation de machines, d’outils, de produits issus d’entreprises ou de laboratoires avec lesquels travaillent au quotidien les vétérinaires. Il s’ensuit une inévitable intrication de ces fournisseurs de la profession dans l’off re générale de formation continue. La sponsorisation de l’un s’échange alors contre la visibilité offerte par l’autre. Cette relation croisée nuit-elle à l’orthodoxie déontologique de la profession ? Éric Guaguère, président du Comité de la formation continue vétérinaire (CFCV), rappelle que, pour l’examen d’agrément d’un organisme de formation, celui-ci doit signer une charte de qualité et un document de bonnes pratiques dans ses relations avec ses partenaires commerciaux, et son indépendance scientifique, ses modes et sources de financement sont scrutés à la loupe1.
La praticienne formatrice Émilie Vidémont-Drevon souligne qu’une présentation partiale serait contre-productive voire rédhibitoire pour le produit qu’elle évoque, son fabricant, et pour elle-même (encadré page 32) ! Ces arguments ne convainquent pas Romain Dematteo qui, au-delà de ce qu’il nomme de possibles conflits d’intérêts, pose un regard critique sur ce qui découle de l’obligation institutionnelle de formation continue pour les praticiens (témoignage page 30), sans compter le surplus de travail administratif qu’elle engendre, avec la gestion du cumul des CFC et du dossier de justificatifs afférents, ainsi que le coût de ces formations et du manque à gagner pendant ce temps, notamment pour ceux qui travaillent seuls ou dans de petits cabinets.
1. Lire page 13 de ce numéro
A-t-on réellement besoin, quand on a fait six ans d’études au minimum, que son environnement professionnel est constamment évolutif et concurrentiel, et qu’on aime son métier surtout, de se voir imposer un quota de formation continue ? Chaque jour apporte son lot d’expérience. Chaque problématique rencontrée conduit à se remettre en question. Chaque étape de sa vie professionnelle fait émerger en soi de nouveaux besoins de connaissances. C’est ainsi que j’ai passé un diplôme d’école en droit et expertise vétérinaire. En tant que libéral, et responsable de ce que je fais, j’aime à sélectionner moi-même, quand j’en ressens le besoin, les formations qui me semblent utiles. Cette histoire de crédits de formation continue (CFC) n’a fait que stimuler un business qui ne manque pas de se développer dans ce domaine.
Avec 20 000 praticiens devant effectuer un minimum de 20 heures de formation par an, les laboratoires, les pet fooders, les fabricants de matériel et autres acteurs de la profession ont bien analysé, en effet, qu’il y avait là un bon filon pour eux. Avec fatalement ses travers. C’est inévitable. Naguère, la pratique était courante de négocier des conditions d’achat contre des formations octroyant des CFC ! Mais quand je choisis des formations proposées par les haras nationaux, qui me sont très utiles, je n’en retire aucun et guère davantage lorsque j’organise avec l’Association vétérinaire Equine Française (Avef) junior à Nantes, depuis plusieurs années, un après-midi de formation en dentisterie équine. Si personne ne peut remettre en cause l’idée de la formation continue, sa traduction dans les faits a ouvert la porte à un business qui l’a dévoyée de son esprit initial.
Chaque année, je participe à une douzaine de congrès internationaux, et je suis invité à prendre la parole dans une dizaine d’entre eux. En formant les autres, en donnant des conférences dans le monde entier, on se doit d’être irréprochable sur les connaissances du moment dans sa discipline. C’est en conséquence un travail permanent d’actualisation de ses connaissances. Aussi, pour ma part, je consulte chaque jour les revues et journaux concernant ma spécialité, uniquement anglo-saxons du reste. Si je continue à mettre mon CV à jour au fur et à mesure de mes interventions, je ne tiens pas la comptabilité des crédits de formation continue qu’elles sont censées me conférer. Sans aucun doute, leur nombre dépasse largement ce que je dois supposément cumuler ; personne ne m’a jamais rien demandé à cet égard.
Membre du Collège européen de dermatologie vétérinaire (ECVD), une discipline qu’elle pratique de manière exclusive, Émilie Vidémont-Drevon consacre 20 % de son activité professionnelle à former ses confrères via des conférences, des webinaires ou des tables rondes lors de soirées conviviales axées sur l’échange. La visibilité que lui confère son implication dans toutes les formations étiquetées Afvac/Gedac (groupe d’études en dermatologie des animaux de compagnie, dont elle est la secrétaire) lui vaut de nombreuses sollicitations.
Dans cet univers d’intérêts croisés, comment préservez-vous votre indépendance ?
« De longue date, j’ai des partenariats divers avec des plateformes en ligne, comme Vet Webinar ou Improve ; je travaille avec chacune d’elles au gré des demandes, sans exclusivité aucune. Il en est de même avec les laboratoires. Je n’ai pas l’impression, et j’espère que c’est le ressenti des confrères qui m’écoutent, de me sentir redevable envers eux, ou d’avoir à vanter leurs produits. Ils ont bien compris que le propos serait desservi si la personne choisie pour animer la conférence affichait une partialité suspecte. Bien sûr, lors de notre intervention, nous évoquons plutôt les produits en lien avec l’entreprise partenaire du jour, mais en s’en tenant au caractère neutre de ce qui est publié et aux consensus internationaux, références à l’appui. Personnellement, j’y tiens beaucoup. »
Associé à son partenaire VetaPharma, une centrale de référencement pharmaceutique vétérinaire française (réseau de 500 cliniques) qui étoffe ainsi son offre de services, le leader de la formation vétérinaire belge 2Learn (9 salariés, 1 260 000 € de chiffre d’affaires en 2019) a racheté en février 2020 la société française Veterinarius, un acteur reconnu de la formation vétérinaire en France. L’entreprise wallonne développe des activités de formation en présentiel (120 journées en 2019) avec sa branche NeoAnimalia, et en ligne via la plateforme VetTube (6 000 comptes actifs, 250 webinaires et How to actuellement disponibles). Certifiée par l’Ordre vétérinaire belge, qui a passé un accord avec son homologue français, elle affiche ses ambitions européennes : « Nous avons établi des conventions avec les universités de Copenhague, de Liège et de Valence (Espagne), nous avons un organisme franchisé en Espagne, et le rachat de Veterinarius nous permet de nous implanter en France sur un positionnement haut de gamme : avec nos partenaires, nous avons assurément la capacité et la volonté de grandir », souligne Christophe Goffard, gérant de 2Learn.