ÉLEVAGE DE BOVINS
PRATIQUE MIXTE
FORMATION
Auteur(s) : CLOTHILDE BARDE
Conférenciers
Docteurs DAVID FRANCOZ (Université vétérinaire de Montréal), GILLES FECTEAU (Université vétérinaire de Montréal), ANDRÉ DESROCHERS (Université vétérinaire de Montréal), SYLVAIN NICHOLS (Université vétérinaire de Montréal).
Article rédigé d’après la conférence présentée lors du congrès de la SNGTV du 15 au 17 mai 2019.
Un abdomen aigu désigne une douleur abdominale d’apparition aiguë pour laquelle l’animal est généralement présenté en urgence dans un état plus ou moins critique. Comme l’a indiqué le conférencier, face à cette situation, il est important de savoir d’où provient la douleur observée, mais aussi de déterminer s’il s’agit d’une urgence, d’un problème médical ou chirurgical et quel est le pronostic en matière de survie, mais aussi de production. Pour cela, une approche diagnostique systématique des abdomens aigus peut être suivie.
Dans un premier temps, il est important de s’assurer que l’animal n’est pas dans un état critique (choc septique, choc hypovolémique) nécessitant une intervention médicale d’urgence grâce à la mesure des fréquences cardiaque et respiratoire, à l’évaluation de l’état d’hydratation et à l’observation des muqueuses. Puis, différents points de l’anamnèse, comme l’âge, le sexe, la race, le stade de gestation, ou le type de production, peuvent servir d’aide pour établir un diagnostic différentiel. Ainsi, par exemple, les volvulus de caillette sont plus fréquents chez les bovins laitiers que chez les allaitants et les torsions utérines plus courantes dans le dernier trimestre de gestation. Il importe aussi de se renseigner sur le programme alimentaire, les changements ayant pu avoir lieu, sur les antécédents médicaux et chirurgicaux, la quantité et l’apparence des matières fécales, l’évolution des signes cliniques, les traitements administrés et la réponse à ceux-ci.
Lors de l’examen clinique, il convient d’évaluer le profil abdominal de l’animal afin de noter toute distension et d’aider à identifier le ou les organes pouvant être atteints. Par exemple, lors de rétroflexion du caecum, une distension de la fosse paralombaire droite peut être observée1. Le rumen doit être ausculté sur une période de 2 minutes et les contractions ruminales doivent être bien caractérisées. La percussion et l’auscultation sont à réaliser simultanément pour détecter des « pings ». Leur localisation et leur sonorité sont importantes à évaluer avec précision pour établir un diagnostic qui sera confirmé par l’auscultation-succussion. De plus, la douleur abdominale peut être catégorisée en douleurs pariétale et viscérale, afin d’orienter le diagnostic et le plan thérapeutique. Lors de douleur pariétale (exemple : péritonite craniale, consécutive à une réticulopéritonite traumatique), l’animal est stoïque, peu enclin à se déplacer, le dos est voûté, il réagit lors de la succussion/palpation de l’abdomen et la paroi abdominale apparaît tendue. La réalisation du signe du garrot montre un animal refusant de s’abaisser et une plainte peut être auscultée1. Une douleur viscérale (exemple : volvulus de la racine du mésentère, rétroflexion de caecum) se manifeste typiquement par des manifestations actives de colique. Contrairement à la douleur pariétale, cette douleur est plus diffuse et difficile à localiser. De même, la palpation transrectale et l’évaluation des matières fécales (présence et apparence) sont une aide précieuse pour l’établissement du diagnostic.
En matière d’examens complémentaires, la détermination de la concentration sanguine du lactate est un test peu coûteux, très utile dans la démarche diagnostique, thérapeutique et pour l’établissement du pronostic. Ainsi, si malgré une fluidothérapie intensive, sa valeur reste élevée, cela indique la nécessité d’une intervention chirurgicale ou d’un pronostic sombre. L’analyse des gaz du sang et la mesure des électrolytes sanguins sont aussi utiles pour la mise en place de la fluidothérapie. L’évaluation de la calcémie est importante, surtout chez les bovins laitiers et la réalisation d’une paracentèse abdominale est un examen complémentaire utile lors d’abdomen aigu chez les bovins (couleur, volume, odeur et turbidité, analyse cytologique). Enfin, l’échographie abdominale permet d’identifier les structures impliquées, l’étendue des lésions, la présence d’effusion abdominale et d’orienter vers la nécessité ou non d’une intervention chirurgicale et, dans certaines circonstances, d’apporter un diagnostic final. Elle peut aussi jouer un rôle dans l’évaluation de la réponse aux traitements avec, par exemple, la visualisation de la reprise de la contractilité intestinale.
Un diagnostic différentiel peut ensuite être établi. La rapidité de l’évolution clinique depuis les premiers signes cliniques, la sévérité des signes de colique, la fréquence cardiaque et les découvertes de la palpation transrectale, la concentration sanguine en L-lactate et son évolution après la mise en place des traitements et, enfin, la valeur du calcium sanguin sont les critères les plus importants pour la prise de décision d’une intervention chirurgicale. Le traitement médical, quant à lui, repose sur la fluidothérapie, essentielle à la restauration de la volémie sanguine et à la correction des déséquilibres électrolytiques qui peuvent contribuer aux troubles de la motricité intestinale. Des fluides cristalloïdes (solution saline 0,9 %, solution de Ringer) sont indiqués initialement pour reconstituer les pertes de fluides et améliorer le volume sanguin circulant. De plus, l’utilisation de saline hypertonique (chlorure de sodium 7,2 % ou 7,5 % ; débit de 4 à 5 ml/kg sur une période de 8 à 10 minutes) peut s’avérer une excellente alternative pour bovins déshydratés ou endotoxémiques2. Les animaux doivent ensuite recevoir une fluidothérapie intraveineuse avec des fluides isotoniques (20 l sur une à 2 heures puis 4 à 5 ml/kg/h) et, s’ils ne boivent pas d’eau par eux-mêmes dans les 5 minutes, une administration orale doit être faite avec 20 l d’eau2. Étant donné que les bovins avec un abdomen aigu sont souvent en alcalose métabolique, hypochlorémique et hypokaliémique3, que les bovins atteints de désordres gastro-intestinaux ou anorexique, plus particulièrement les vaches laitières, souffrent d’hypocalcémie, il est intéressant de compléter la fluiodothérapie avec du borogluconate de calcium 23 %. Par ailleurs, en plus d’améliorer le confort de l’animal, le contrôle de la douleur et de l’inflammation permet de contribuer à la reprise de la fonction intestinale4. Les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), par leurs propriétés analgésiques et anti-inflammatoires, sont les molécules de choix lors de traitement d’un bovin avec un abdomen aigu. De plus, les ?-2-agonistes (xylazine, romifidine et détomidine) peuvent être utilisés, mais il existe très peu de données sur leur efficacité pour le traitement des abdomens aigus chez les ruminants. Les opioïdes (morphine (0,1 mg/kg, par voie intramusculaire [IM] ou sous-cutanée [SC]) ou le butorphanol (0,05 à 0,1 mg/kg, par voies intraveineuse [IV], IM ou SC) peuvent être utilisés seuls ou en combinaison avec d’autres molécules pour contrôler la douleur abdominale. De plus, si un processus septique est suspecté à l’examen clinique, des antibiotiques systémiques à large spectre doivent être administrés dans l’attente des résultats de culture. Enfin, les prokinétiques (lidocaïne, érythromycine, béthanéchol, cisapride, néostigmine) peuvent être utilisés pour relancer la motilité digestive (caillette et masse intestinale)5 à la condition qu’une cause non chirurgicale ait été identifiée.
En définitive, la décision entre un traitement chirurgical ou médical demeure un défi dans bien des cas d’abdomen aigu chez les bovins. En utilisant une approche systématique, un examen clinique rigoureux et les examens complémentaires adaptés, les vétérinaires peuvent le traitement le plus adapté.
1. Belknap E. B., Navarre C. B. Differentiation of gastrointestinal diseases in adult cattle. Vet. Clin. North. Am. Food Anim. Pract. 2000;16:59-86.
2. Constable P. D. Hypertonic saline. Vet. Clin. North Am. Food Anim. Pract. 1999;15:559-585.
3. Bueno L., Fioramonti J., Delvaux M., Frexinos J. Mediators and pharmacology of visceral sensitivity: from basic to clinical investigations. Gastroenterology. 1997;112: 1714-1743.
4. Burke M., Blikslager A. Advances in diagnostics and treatments in horses with acute colic and postoperative ileus. Vet. Clin. North Am. Equine Pract. 2018;34:81-96.
5. Steiner A. Modifiers of gastrointestinal motility of cattle. Vet. Clin. North Am. Food Anim. Pract. 2003;19 (3):647-660.