QUELLES PROTÉINES ALIMENTAIRES DEMAIN ? - La Semaine Vétérinaire n° 1845 du 13/03/2020
La Semaine Vétérinaire n° 1845 du 13/03/2020

ÉLEVAGE

PRATIQUE MIXTE

Auteur(s) : SERGE TROUILLET

Le système alimentaire occidental, trop riche en calories animales et ultratransformées, est préjudiciable à la santé humaine, prédateur pour l’environnement et peu soucieux du bien-être animal, se sont accordés les spécialistes lors du Sommet de l’élevage qui s’est déroulé à Clermont-Ferrand.

La consommation française de produits animaux est d’environ 30 % en énergie. C’est l’une des plus fortes du monde ! Les chercheurs, dans ce domaine, s’accordent à penser qu’un régime alimentaire est durable si les produits végétaux en constituent au moins 85 % de l’apport énergétique, si les aliments ont une vraie valeur nutritionnelle et sont variés, de préférence à partir de produits locaux, bio et de saison, ont-ils indiqué lors du Sommet de l’élevage du 3 octobre 2019. C’est ce qu’Anthony Fardet, nutritionniste à l’Institut national de la recherche agronomique (Inra) de Clermont-Ferrand-Theix, nomme la règle des « 3V » : végétal, vrai et varié. Tous les régimes protecteurs pour la santé présentent ces caractéristiques, qu’ils soient végétariens, méditerranéens, nordiques, d’Okinawa, healthy… Réduire chez l’humain la consommation de produits animaux de façon à ne pas dépasser 15 % de calories animales permet assurément de remplir tous les besoins en acides aminés essentiels, en vitamines B12, en fer. En tendant vers ce type de régime, un rapport rassemblant 150 chercheurs a été publié en 2018 montrant qu’on pourrait prévenir 11 millions de décès précoces par an, c’est-à-dire environ 20 % des décès chez l’adulte dans le monde. De nombreuses institutions internationales plébiscitent par ailleurs ces systèmes alimentaires pour leur contribution à la protection de la planète, des animaux, des petits producteurs, des traditions culinaires, de la qualité nutritionnelle…

Le système polyculture-élevage plus pertinent

Plus précisément, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) a récemment publié un rapport indiquant que toutes les activités humaines pour produire l’alimentation dans le monde représentent environ 30 % des émissions de gaz à effet de serre (GES), dont la moitié pour la production de viande, toutes viandes confondues. Or, selon Michel Duru, directeur de recherche honoraire de l’Inra, le régime « western », riche en calories animales, produit plus de GES que les autres régimes : méditerranéen (- 20 %), pescétarien (végétarien avec du poisson ; - 50 %), végétarien (- 70 %). Produire et consommer moins de protéines animales constitue un enjeu clé pour lutter contre le réchauffement climatique. Outre qu’il est un fort émetteur de GES (dioxyde de carbone, méthane et protoxyde d’azote), l’élevage a une faible efficience protéique et il est consommateur de ressources. Il ne s’agit pas d’opter pour le tout-végétal, pour lequel la pression sur l’environnement serait trop forte. Mais pour un élevage plus pertinent, extensif, à partir de ressources n’entrant pas en compétition avec l’alimentation humaine : dans les prairies (terres) et avec des coproduits (alimentation). Un système polyculture-élevage en quelque sorte. En France, l’élevage intensif représente 82 % de tous les animaux, surtout des lapins, des volailles et des porcs ; les bovins : 15 %. En réduisant la consommation de produits animaux de moitié, à budget égal on peut consommer des viandes plus chères, car mieux valorisées pour les producteurs, et de meilleure qualité, issues d’élevage extensif, plus respectueux des animaux et de l’environnement.

Les légumineuses, un des aliments du futur ?

Par quoi donc remplacer ces 15 % d’apport énergétique en trop issus des calories animales, si ce n’est par des grains et des graines ? Les fruits et légumes, en effet, demandent beaucoup d’eau et n’ont pas une grosse densité énergétique. Mais le triptyque fruits à coques (amande, noisette, noix…), céréales complètes (blé, riz, orge, maïs, seigle…) et légumineuses (haricots secs, lentilles, pois, soja…) s’avère très intéressant pour l’environnement et la santé. Les graines oléagineuses sont riches en lipides, les céréales complètes en glucides complexes et les légumineuses en protéines. Par ailleurs, les associations céréales-légumineuses, que l’on retrouve dans les traditions culinaires du monde entier (riz et soja en Asie, maïs et haricots rouges en Amérique latine, blé et pois chiches en Afrique du Nord…), permettent de retrouver l’équilibre en acides aminés des viandes1, même si leur digestibilité est en général un peu moindre. Les légumineuses présentent un faible coût carbone, ne nécessitent pas de fertilisation azotée, sont riches en fibres, protéines, glucides complexes et phytonutriments ; ce sont des aliments rassasiants, avec un faible indice glycémique, et très peu consommés : 10 g par jour en France contre 120 g il y a un siècle ! Elles étaient alors perçues comme l’alimentation du pauvre. Ruse de l’histoire, étant peu chères, faciles à conserver, simples à cuisiner et pouvant être préfermentées, ce qui augmente la valeur santé des grains et graines, elles se posent, dans les pays riches, comme un des aliments du futur.

Une stratégie en protéines végétales France sur dix ans

Augmenter la consommation de protéines végétales apparaît nécessaire. Or, si la France en est exportatrice nette, sous forme de céréales, elle est largement déficitaire en protéines concentrées, qu’elle importe massivement. Celles-ci figurent notamment dans les légumineuses comme le soja, les pois, les lentilles. Il s’agit en conséquence, à travers l’élaboration d’une stratégie en protéines végétales, à laquelle a travaillé Terres Univia, d’améliorer la souveraineté du pays en alimentation animale (on ne pourra se passer de soja avant très longtemps, et cela fragilise les exploitations d’élevage de ruminants) et de viser l’autosuffisance voire l’exportation en alimentation humaine, notamment en légumes secs. Ces objectifs représentent un passage de la sole des grandes cultures, entre 2018 et 2028, de 4,5 à 8 % en légumineuses contre 12 % au Canada, une augmentation du rendement de 1 à 2 % par an en moyenne sur 10 ans, ainsi qu’une amélioration du rendement protéique des matières riches en protéines (MRP), à travers la sélection, les procédés d’extraction… Par ailleurs, les principales filières animales projettent une multiplication par trois de la demande en alimentation alternative sur 10 ans : on passerait ainsi de 15 % d’aliments non OGM et 3 % d’aliments bio (82 % d’aliments conventionnels) à 47 % de non OGM et 5 % bio, avec 19 % de non OGM d’origine France.

1. Les céréales apportent la méthionine manquante aux protéines des légumineuses, et les légumineuses corrigent la faible teneur en lysine des protéines des céréales.