RESSOURCES HUMAINES
ENTREPRISE
Auteur(s) : FRANÇOISE SIGOT
Face à l’épidémie de coronavirus qui gagne du terrain, le droit de retrait devient une préoccupation centrale dans de nombreuses entreprises, y compris au sein de cliniques vétérinaires. Or sa mise en œuvre ne va pas totalement de soi dans le cadre de l’épidémie qui touche actuellement le pays.
La France se confine pour endiguer la progression du Covid-19. Habitués à affronter les épizooties, les vétérinaires sont plutôt bien armés pour prendre les bonnes mesures sur le plan sanitaire, mais quand le virus s’invite dans l’organisation de leurs entreprises, ils sont, comme nombre de leurs homologues des autres secteurs d’activité, bien plus démunis. Notamment face au droit de retrait. Un droit qui vaut pour tous les salariés et les agents des services publics dans le cadre de situations précises, mais dont la mise en œuvre est relativement contrainte.
Évoquer le droit de retrait revient à se placer dans le cadre de L’article L. 4131-1 du Code du travail. Lequel stipule que « le travailleur alerte immédiatement l’employeur de toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé, ainsi que de toute défectuosité qu’il constate dans les systèmes de protection. Il peut se retirer d’une telle situation ». Voilà pour le droit, dans la pratique, les choses sont plus compliquées. « La notion de danger imminent est très importante », indique Me Jalain, avocat au barreau de Bordeaux. C’est pourquoi, face à un collègue ou à un client qui, certes, peut présenter des symptômes susceptibles d’évoquer le coronavirus, par exemple de la toux, le droit de retrait est difficilement évocable. « En revanche, si un client ou un collègue arrive dans la clinique en affirmant qu’il est porteur du virus, le droit de retrait peut être invoqué », explique Me Jalain. Pour autant, souligne le spécialiste du droit du travail, « la crainte de la réalisation d’un risque ne justifie pas, à elle seule, l’exercice d’un droit de retrait dès lors qu’aucun danger effectif n’apparaît imminent et que l’employeur ne méconnaît pas son obligation de sécurité », précise l’avocat. Autant dire qu’il est préférable d’apporter la preuve tangible de la contamination au coronavirus pour évoquer le droit de retrait.
Si l’on est bien dans un cadre où le droit de retrait s’applique, une petite course contre l’infection s’engage… Les salariés peuvent en effet quitter leur poste de travail sur-le-champ. Mais pas sans avoir averti leur employeur « par tout moyen », précisent les services de l’état. Un écrit n’est donc pas obligatoire, mais l’on comprend aisément qu’un mail ou un courrier remis en main propre contre signature ou une lettre recommandée avec accusé de réception est cependant préférable. Dès lors que cette démarche est acquise, le salarié peut quitter la clinique. Mais il doit au préalable s’assurer que « son retrait ne crée pas pour autrui, en l’occurrence ses collègues et les clients, une nouvelle situation de danger grave et imminent », indique Me Jalain. Il faut aussi savoir que le salarié en droit de retrait peut quitter son poste, mais qu’il doit néanmoins rester à la disposition de son employeur, qui peut l’affecter temporairement sur un autre poste.
Le droit de retrait est fortement corrélé aux notions de protection et de prévention. Cela s’inscrit dans le cadre du droit d’alerte, prévu dans le même article du Code du travail. « L’employeur a obligation de mettre en place un protocole de protection pour que les collaborateurs ne soient pas exposés au danger », explique Me Jalain. Ainsi, un vétérinaire qui équiperait ses salariés de protections de nature à faire barrière au virus, tels que des masques, des gants, des gels hydroalcooliques, voire qui réorganiserait ses locaux de façon à éviter tout contact avec la clientèle aurait de solides arguments à faire valoir face au droit de retrait invoqué par ses équipes. De telles mesures de protection peuvent être prises à titre préventif, mais aussi a posteriori pour faire cesser le risque et permettre au salarié de réintégrer son poste de travail. L’article L. 4131-1 du Code du travail expose en effet que « l’employeur ne peut demander au travailleur qui a fait usage de son droit de retrait de reprendre son activité dans une situation de travail où persiste un danger grave et imminent résultant notamment d’une défectuosité du système de protection ». De plus, face à de telles situations de crise, l’ensemble de l’entreprise est appelé à se mobiliser. « Lorsqu’un représentant du personnel est présent dans l’entreprise au comité social et économique (CSE), il peut prendre l’initiative d’alerter l’employeur sur le risque d’un danger grave et imminent pour les salariés représenté par l’épidémie et le manque de prévention mis en place par l’employeur. Le CSE se réunit alors en urgence dans les 24 heures et l’inspection du travail tranche le différend sur l’application du droit de retrait en cas de désaccord entre les parties », précise l’avocat.
L’employeur ne peut donc pas s’opposer au droit de retrait d’un ou de plusieurs collaborateurs. En revanche, s’il estime que ce droit a été invoqué à tort, il peut sanctionner celui ou ceux qui en ont fait usage. « La mise en demeure de reprendre son poste est la première étape à enclencher si l’on estime que le droit de retrait ne s’applique pas », prévient l’avocat. Les procédures peuvent ainsi s’enchaîner jusqu’au licenciement, puisque la situation serait alors considérée comme un abandon de poste, ce qui constitue une faute grave au regard de la loi. Face à la somme d’inconnues amenée par l’épidémie de coronavirus, et surtout à l’absence de jurisprudence liées à de telles épidémies, on imagine aisément que le droit du travail va devoir évoluer rapidement. « On peut espérer qu’une circulaire du ministère du Travail vienne préciser comment gérer ce virus sur le plan du droit du travail. Ensuite, certaines branches pourront aussi préciser les protocoles à mettre en place », indique l’avocat. En attendant, les employeurs doivent faire avec l’existant et nul doute que les contentieux relatifs à ce droit de retrait seront nombreux dans les prochains mois.
Face aux nombreuses zones d’ombre qui jalonnent cette épidémie, une certitude reste. Le ou les salariés qui quittent l’entreprise en invoquant le droit de retrait continuent de percevoir leur salaire tout à fait normalement. L’article L. 4131-3 est formel. « Aucune sanction, aucune retenue de salaire ne peut être prise à l’encontre d’un travailleur ou d’un groupe de travailleurs qui se sont retirés d’une situation de travail dont ils avaient un motif raisonnable de penser qu’elle présentait un danger grave et imminent pour la vie ou pour la santé de chacun d’eux. » L’ensemble des droits acquis avec le salaire (congés, ancienneté, etc.) sont également maintenus.