DOSSIER
Auteur(s) : CHANTAL BÉRAUD
LE PREMIER TOUR DES ÉLECTIONS MUNICIPALES S’EST FINALEMENT TENU… ET A DEJA ENREGISTRE DES VICTOIRES. À PEINE ÉLUS, MAIRES ET CONSEILLERS MUNICIPAUX, PARMI LESQUELS DES VETERINAIRES, SONT EN PREMIÈRE LIGNE POUR ORGANISER LA VIE COLLECTIVE EN PÉRIODE DE CONFINEMENT ET DE « GUERRE » FACE A LA PANDEMIE DE COVID-19. TÉMOIGNAGES.
Voir les gens gantés et masqués procéder au dépouillement dans les bureaux de vote, cela avait un côté très étrange ! En plus de 20 ans de politique locale, je n’avais évidemment jamais vécu cela », commente Philippe Boidin, vétérinaire à Arques et conseiller municipal à Saint-Omer (Pas-de-Calais, 14 443 habitants). Aucun triomphalisme dans ses propos. Pourtant, en temps normal, il aurait vraiment eu de quoi se réjouir puisque “son” maire sortant, François Decoster, a été réélu dès le premier tour des élections, le dimanche 15 mars ! Sa liste Continuons ensemble a en effet remporté près de 66 % des suffrages (contre 34 % pour Bruno Magnier). « François Decoster a donc été largement plébiscité, poursuit le praticien. On s’attendait à gagner, mais pas à ce point-là. Cela va nous donner une vraie légitimité pour poursuivre nos actions dans les six ans à venir ».
Pourtant, cette soirée électorale du dimanche 15 mars a eu un goût un peu amer. Le Covid-19, qui sévit aux quatre coins du monde, était une menace qui a nécessité un dispositif hors norme pour assurer le premier tour. « Notre maire, qui est aussi le directeur de cabinet du secrétaire d’État aux affaires étrangères, a été préoccupé, observe Philippe Boidin. Durant cette journée électorale, il a en effet passé beaucoup de temps au téléphone. Car il fait partie de l’équipe qui s’occupe de rapatrier les Français qui sont toujours à l’étranger ». Ses consignes à sa liste étaient aussi « de ne pas applaudir, de ne pas exprimer de joie » à l’annonce de sa réélection. Inhabituel mais sans aucun doute nécessaire : dès le lendemain soir, lundi 16 mars, Emmanuel Macron, président de la République, déclarait en effet solennellement le pays en état de guerre sanitaire. « Nous sommes en guerre », a-t-il prononcé à six reprises lors de son allocution.
Quid des jours et des semaines prochaines ? « Les Français vont devoir affronter une période difficile à vivre, tant du point de vue psychologique que financier, analyse Philippe Boidin. Les nouveaux élus locaux auront toute leur importance, pour dire à la population de ne pas paniquer. Acheter des caddies remplis à ras bord de pâtes, ce n’est tout de même pas très raisonnable ». Enfin, selon l’élu vétérinaire, « toute propagation virale est difficile à contenir. Il faut que le gouvernement adapte le traitement, comme un praticien le fait pour un animal malade, en suivant l’évolution de chaque patient. Le président n’est pas médecin. Il doit s’appuyer sur l’avis des scientifiques. Ce n’est sûrement pas facile. Mais on sent bien que ses décisions ne sont pas prises à la légère ». Confiance, prudence et sens de la collectivité restent donc, plus que jamais, de mise.
Ce contexte difficile, les maires – nouveaux ou anciens – n’ont de toute façon pratiquement pas le temps d’y réfléchir. Ils s’y retrouvent plongés derechef. Par exemple, dès lundi 16 mars, à Fercé-sur-Sarthe (588 habitants), le maire sortant réélu, Dominique Dhumeaux (qui a notamment pour adjoint le vétérinaire, lui aussi réélu au conseil municipal, Laurent Nicolle) était déjà sur le pont, occupé à organiser le confinement des familles. L’une des premières mesures d’urgence locales prises a été de prêter des ordinateurs de l’école à des enfants de familles qui n’en avaient pas. Ou qui ne disposaient que de smartphones, outils peu pratiques pour suivre des cours à distance…
Dès lundi 16 mars au soir, le président de la République, Emmanuel Macron, adressait un appel pressant, tant aux collectivités locales qu’aux associations ou au simple citoyen, pour venir en aide aux Français les plus fragiles. Dès le 13 mars, un communiqué de presse annonçait d’ailleurs le lancement d’une action baptisée “Territoires engagés”. Où Jacqueline Gourault et Julien Denormandie, du ministère de la Cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, aux côtés de Sophie Cluzel, secrétaire d’État chargée des personnes handicapées, en lien avec les principales associations d’élus (régions, départements, mairies), en appelaient déjà à concrétiser ce vœu du président. En précisant que « c’est localement que les solidarités de proximité vont pouvoir s’exprimer ». Les départements, représentés par Frédéric Bierry – également président du conseil départemental du Bas-Rhin – ont par exemple expliqué qu’ils renforçaient leur mobilisation en faveur des personnes âgées, handicapées et vulnérables, notamment en mobilisant des intérimaires et des sapeurs-pompiers volontaires. Prochainement, un “forum de solutions pratiques” devrait aussi être mis en ligne, afin de recueillir et de diffuser les bonnes initiatives concrètes qui pourraient essaimer à grande échelle dans tous les territoires. Quant à la première plateforme privée de garde d’enfants en Europe, Yoopies, elle a en quelques heures seulement recensé plus de 10 000 personnes parmi ses utilisateurs (assistantes maternelles, étudiants, personnel de crèche, etc.) qui acceptaient de garder les enfants des autres, sans rémunération (via une nouvelle fonctionnalité baptisée « Bénévole face à la crise du coronavirus »). À n’en pas douter : la résistance au virus s’organise !
Situation inédite pour Joël Balandraud, ancien vétérinaire bovin/chevaux, maire sortant, seul en liste, réélu au premier tour à la commune nouvelle d’Évron (Mayenne), avec 82 % des voix… mais seulement 27,7 % de taux de participation ! Ce qui explique son commentaire, publié dans la presse locale : « C’est effectivement une élection difficile à assumer, car le contexte dépasse les élections. L’abstention a été importante, notamment chez les plus âgés. Je les comprends compte tenu du contexte. C’est une attitude raisonnable, même si toutes les consignes de prévention ont été respectées ». Et d’ajouter : « L’élection est faite. Je suis heureux d’avoir, dans mon équipe, des jeunes qui ont envie de faire des projets, mais on est très en deçà de la joie et du plaisir. »
Dans un communiqué, l’Ordre des vétérinaires ainsi que diverses organisations professionnelles appellent également « au civisme et à l’exemplarité du corps professionnel vétérinaire pour, en conscience des enjeux, passer ce cap difficile. Merci de le faire avec pragmatisme, bienveillance, et avec la rigueur scientifique d’une profession rodée à la gestion de crise ». Aux vétérinaires est notamment demandé de « redoubler de vigilance en appliquant scrupuleusement les consignes de prévention » et « en prenant conscience que cette crise sans précédent peut s’inscrire dans un temps de plusieurs semaines ou de plusieurs mois ». Les occasions de montrer de la solidarité entre praticiens ne devraient aussi pas manquer, ne serait-ce que pour organiser collectivement, autant que faire ce peut, la difficile gestion des gardes en temps de confinement… Quant à la patience, ce sera aussi certainement une vertu difficile mais nécessaire à cultiver, vis-à-vis sans doute des réactions de certains clients ?