VIES DE PRATICIENS, ENTRE ADAPTATIONS ET QUESTIONNEMENTS - La Semaine Vétérinaire n° 1849 du 10/04/2020
La Semaine Vétérinaire n° 1849 du 10/04/2020

PANDÉMIE

FAIRE FRONT AU COVID-19

Auteur(s) : MARINE NEVEUX*, VALENTINE CHAMARD**, CLOTHILDE BARDE***, TANIT HALFON****

Plus de trois semaines après le début du confinement, l’organisation des soins vétérinaires semble s’être affinée, en particulier en ce qui concerne les actes à différer.

TÉMOIGNAGE
FRANÇOIS LANDAIS (LIÈGE, 2004)
Praticien en filière avicole à Arzacq-Arraziguet
(Pyrénées-Atlantiques)
Un risque d’impact sur l’économie des filières

Depuis le début de la crise, nous avons fermé nos sites les plus modestes en matière d’activité. Pour les autres, nous appliquons strictement les mesures de biosécurité. En ce qui concerne mon activité avicole, nous restons disponibles par téléphone pour les éleveurs et les techniciens. Seules les visites à caractère d’urgence sont programmées et nous essayons de les regrouper sur une seule journée. La continuité de soins est également permise grâce à la présence de nos secrétaires sur les sites maintenus ouverts, et je les en remercie. La baisse d’activité temporaire liée à la période de confinement, pour autant qu’elle soit limitée à quelques semaines, nous inquiète moins que l’impact profond de cette crise sur l’économie des filières. Dans ce contexte de crise, ce sont les produits de première nécessité qui sont recherchés, ce qui fait que les filières poulet et œufs se maintiennent mieux que celles du canard, de la pintade ou de la caille. Celles-ci avaient déjà été durement impactées par la crise d’influenza aviaire hautement pathogène, et je redoute que le rebond postconfinement ne soit pas à la hauteur des espérances. J’ai beaucoup de compassion pour les professionnels de santé, et cette situation fait remonter à la surface des souvenirs douloureux des crises passées d’influenza aviaire, avec des conséquences pourtant infiniment moins lourdes. Nous avons modestement essayé de les aider en leur donnant du matériel, des blouses jetables, des gants et quelques masques FFP2.

TÉMOIGNAGE
JOCELYN AMIOT (LYON, 2004)
Praticien mixte à Épinac (Saône-et-Loire)
Nous nous sommes concertés pour tenir un discours unanime

Une nouvelle organisation s’est peu à peu instaurée au sein de notre clinique 15 jours après le confinement. Alors que nous avions mis en chomâge partiel nos ASV, nous leur avons finalement demandé, sur la base du volontariat, de revenir travailler à la clinique avec des horaires aménagés. Pour la plupart, elles ont accepté. Afin qu’elles ne se croisent pas, une ASV vient travailler le matin et l’autre l’après-midi. Chacune dispose de son propre téléphone et elles suivent les mesures que nous avions déjà mises en place (masque, colisage, nettoyage, désinfection, etc.). En rurale, notre activité est actuellement toujours importante. En pratique, la reprise du travail des ASV nous a soulagés pour la gestion des visites en élevage et la vente au comptoir. En matière de biosécurité, nous évitons les contacts physiques avec nos clients, mais cela ne change pas grand-chose à notre activité. Cependant, les discours contradictoires des différentes instances professionnelles, qui se sont multipliés ces derniers temps et qui ne sont pas forcément en phase avec la note de la Direction générale de l’alimentation (DGAL) du 20 mars, ont semé le doute. Nous nous sommes retrouvés avec des vétérinaires qui ont décidé de suspendre leurs visites en élevage. C’est pourquoi nous nous sommes concertés avec différentes cliniques du secteur pour tenir un discours unanime auprès de nos clients et assurer les mêmes actes dans nos clientèles. En définitive, ça se passe plutôt bien. Les clients sont d’ailleurs dans l’ensemble assez disciplinés.

TÉMOIGNAGE
JEAN-MARC BETSCH (ALFORT, 1986)
Praticien équin à Écouché (Orne)
Nous nous concentrons sur les urgences, les interventions qui garantissent la santé et le bien-être des équidés

Nous assurons uniquement les urgences à la clinique ou sur le terrain. L’hôpital reste ouvert afin de pouvoir réaliser les interventions chirurgicales urgentes. Nous avons réduit la gynécologie au strict minimum pour éviter les déplacements de juments, car la saison de monte n’a malheureusement pas été exclue du confinement provisoire. Nous avons organisé le chômage partiel de nos salariés vétérinaires et des deux tiers des ASV. Les urgences sont désormais assurées par tous les associés de la clinique. Pour les actes à réaliser, au début de la crise sanitaire, l’Ordre national a été le plus clair, puis nous avons reçu des informations contradictoires entre celles de l’Ordre, de la Direction générale de l’alimentation (DGAL), de la filière équine et des différents ministères. Ceci a été regrettable et source de flou et de tensions entre les confrères. La communication expliquant que les recommandations n’avaient pas force de loi ne nous a pas aidés non plus. Beaucoup de confrères avaient des avis différents et tous respectables. Il y avait également des positions divergentes sur la gynécologie et la vaccination. On rendait ainsi les vétérinaires responsables de l’arrêt de la monte, par exemple.

De plus, la DGAL a sorti des recommandations très récentes mais qui restaient assez vagues quant à la définition des actes à ne pas différer : « Tous les actes de médecine et de chirurgie vétérinaires nécessaires à l’établissement du diagnostic, au traitement et au suivi thérapeutique des animaux. » Tout comme au sommet de l’État, nous sommes pris entre le marteau de la guerre sanitaire et l’enclume de la guerre économique. Les recommandations sur la vaccination sont aujourd’hui plus claires grâce au travail conjoint et collégial de l’Association vétérinaire équine française (Avef) et du Réseau d’épidémiosurveillance en pathologie équine (Respe). Nous nous concentrons donc sur les urgences, les interventions qui garantissent la santé et le bien-être des équidés. Nous ne faisons plus de médecine sportive, et de confort. Nous respectons les mesures barrières autant que faire se peut : ainsi, lorsque le propriétaire descend son cheval, il doit respecter les barrières de protection. Les contacts s’effectuent à plus de 1 mètre de distance. Mais continuer la contention et les soins intensifs de néonatalogie tout en respectant les barrières de protection reste un challenge !

TÉMOIGNAGE
PAULINE GOSSOT (ALFORT, 2004)
Praticienne canine à Saint-Orens-de-Gameville (Haute-Garonne)
Rien ne coule de source

Mon sentiment général face à la crise que nous traversons est celui d’un mal-être par rapport à la place qui doit être la nôtre : vis-à-vis des confrères, des animaux, des clients, de notre entreprise, de la médecine humaine. Nous devons nous poser en permanence la question de ce qu’il est raisonnable de faire (ce cas est-il urgent ? est-il convenable d’utiliser du propofol alors que les hôpitaux en manquent ?), si nous allons trop loin ou non dans le soin (face au drame humain qui se joue, il pourrait paraître futile d’assurer une continuité de soins pour les animaux…), si ce que nous faisons est bien ou pas. Le curseur est extrêmement difficile à placer et doit se faire au cas par cas. Si nous sommes intransigeants sur les vaccins et les chirurgies de convenance, que nous refusons, la pertinence de nombre de ventes est à réfléchir, pour les animaux infestés de puces, par exemple. Les clients sont globalement compréhensifs, il y a en revanche du « forcing » par téléphone. C’est pourquoi les vétérinaires interviennent rapidement en relais des ASV, très sollicitées, sur la régulation téléphonique. Les journées sont dès lors épuisantes face aux réflexions permanentes à mener, auxquelles s’ajoute le souci constant du respect des gestes barrières. J’ai d’ailleurs créé une page Facebook1 pour échanger entre confrères sur ces problématiques, qui montre que ce sont des remarques largement partagées. Il est rassurant de constater que la majorité des confrères et des consœurs ont mis de côté l’aspect financier de la crise et avancent dans une volonté de bien faire. Le Syndicat national des vétérinaires d’exercice libéral (SNVEL) et l’Ordre nous ont aussi fort bien épaulés. Je retire tout de même du positif dans cette période : je crois n’avoir jamais autant échangé avec mes confrères, et tout le monde semble vouloir se soutenir et aller dans le bon sens pour la profession.

1. Vétos face au coronavirus : www.bit.ly/2x8S6Pt.