SANTÉ PUBLIQUE
FAIRE FRONT AU COVID-19
Auteur(s) : MICHAELLA IGOHO-MORADEL
Pour Frédéric Bizard (A 91), économiste de la santé, la crise sanitaire du Covid-19 est un accélérateur de l’histoire. Une occasion inédite pour le vétérinaire de prendre sa place en tant qu’acteur de la santé publique.
Président fondateur de l’Institut Santé, Frédéric Bizard porte un regard particulier sur la crise sanitaire. Pour lui, elle est l’occasion de rappeler que la médecine vétérinaire est stratégique en matière de santé publique. Analyse et réflexion de l’économiste de la santé, vétérinaire de formation.
Frédéric Bizard : On a aujourd’hui une stratégie des pouvoirs publics qui a été guidée par la pénurie de moyens pour protéger la population et qui a conduit, pour endiguer l’épidémie, à confiner d’abord les cas confirmés, les cas contacts (stratégie “à la coréenne du Sud”). Mais sans moyens de protection ni capacité de dépistage de la maladie, nous sommes passés à un confinement général. Il faut s’interroger sur la façon dont nous allons sortir de cette situation. Le niveau de risque très élevé que nous connaissons aujourd’hui ne sera maîtrisé que si nous obtenons l’immunité de groupe ou si nous découvrons un médicament curatif efficace. Mais la France ne s’est pas donné les moyens de faire face à une telle crise. Depuis 20 ans, l’État a paupérisé la santé publique, que ce soit ses stocks stratégiques pour protéger la population ou l’organisation du système de santé qui est totalement concentré sur le curatif au détriment du préventif. Pour les pouvoirs publics et la population, la santé est avant tout une absence de maladie. Or, un système de santé moderne doit considérer que l’espérance de vie en bonne santé est aussi importante. L’État n’est pas préparé à gérer une telle crise. Nous manquons de ressources épidémiologiques sur le terrain pour suivre l’évolution de l’épidémie et la recherche est très atomisée. Les conseils scientifiques, pléthoriques (HCAAM, HCSP, HAS1), sont manifestement très impuissants. Par ailleurs, les erreurs commises par le gouvernement révèlent qu’en France la santé n’est pas gérée par le pouvoir politique, mais par le pouvoir administratif, par la technostructure. Il est étonnant que ce soit l’Administration qui ait dû donner son feu vert pour augmenter les capacités de tests de dépistage. Il y a des retards dans les décisions qui coûtent cher à la collectivité face à une telle menace. N’importe quel gouvernement aurait été victime de l’impréparation du système, la responsabilité est collective depuis 20 ans. Le temps viendra de débattre et de faire l’inventaire, mais ce que nous vivons aujourd’hui en matière de pertes humaines et économiques n’est rien par rapport à ce qu’il y a devant nous si nous ratons la sortie de crise.
À la base, il ne s’agit pas d’une crise économique, mais d’une crise sanitaire qui a paralysé le système économique. La difficulté est que la sortie de crise s’inscrit dans le temps long. Elle sera relativement lente et il va falloir accélérer le processus le plus possible. Cependant, il n’y aura pas de retour à la vie normale avant d’obtenir une immunité de groupe. Il faut espérer que les molécules existantes fonctionnent suffisamment pour limiter les risques à la sortie de la crise sanitaire, mais on peut en douter à ce stade. L’Institut Santé, que je préside, a proposé un plan2 de sortie de crise. Nous préconisons de sortir le plus tôt possible du confinement, tout en mettant en place une stratégie, qui nous fasse vivre avec cette menace. Ce scénario doit aussi permettre de revenir à un niveau d’activités économiques et sociales le plus élevé possible.
Ce choc que nous vivons est un accélérateur de l’histoire. Cette crise représente la véritable entrée dans le xxie siècle. Nous allons vivre la fin du capitalisme mondialisé et entrer pleinement dans un capitalisme numérisé, où les gains de productivité seront recherchés avant tout par les technologies plutôt que par la délocalisation au bout du monde. Cela pourra poser un problème pour les pays peu développés. Cette situation est une opportunité pour la profession vétérinaire. Les vétérinaires ont enfin la possibilité d’être reconnus par la nation comme des acteurs essentiels de la santé publique. Actuellement, ils ne sont même pas reconnus dans les textes, ni dans la loi, ni dans les faits, comme des professionnels de santé. Par exemple, lors de l’offre des laboratoires d’analyses vétérinaires de réaliser des tests, on a constaté une forme de mépris du ministère de la Santé pour les vétérinaires. C’est absolument scandaleux et cela montre une incompétence totale de la haute fonction publique en santé. Le vétérinaire devrait être au cœur de la gestion de cette crise, du fait de ses compétences dans les transmissions infectieuses de l’animal à l’homme, entre autres. Cette situation révèle aussi une responsabilité collective. Les vétérinaires n’ont pas saisi la balle au bond. Mais cette crise vient rappeler au monde que la santé humaine est totalement dépendante de la santé animale. Les vétérinaires doivent saisir cette opportunité afin que la notion de One Health, dont j’entends parler depuis des années, soit effectivement appliquée. Il est absolument nécessaire de rappeler que la médecine vétérinaire est stratégique en matière de santé publique.
1. Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance maladie, Haut Conseil de la santé publique, Haute Autorité de santé.