VIES DE PRATICIENS, À L’AUBE DU DÉCONFINEMENT - La Semaine Vétérinaire n° 1853 du 08/05/2020
La Semaine Vétérinaire n° 1853 du 08/05/2020

TÉMOIGNAGES

FAIRE FRONT AU COVID-19

Auteur(s) : MARINE NEVEUX*, VALENTINE CHAMARD**, CLOTHILDE BARDE***, TANIT HALFON****

Après huit semaines de confinement, les praticiens se sont organisés. De nouvelles adaptations se mettent en place pour anticiper le déconfinement progressif annoncé par le gouvernement.

Vers la fin de la circulation du virus ?

GIL MANUEL (L 94)

Praticien à Basse-Terre en Guadeloupe, vice-président de l’Association des vétérinaires praticiens libéraux de la Guadeloupe et secrétaire des Zétérinaires

En Guadeloupe, la situation sanitaire était déjà compliquée depuis l’incendie de notre CHU il y a deux ans. Nos frontières ont finalement été fermées et un couvre-feu a été instauré en plus du confinement. Mon associée, qui était en congé dans l’Hexagone, a donc dû retarder son retour. Avec l’arrêt, en plus, de mon ASV, j’exerce seul depuis mi-mars. À ce jour, notre chiffre d’affaires est en baisse d’environ 40 % et l’avenir s’annonce difficile avec l’effondrement de l’économie touristique. Rappelonsnous que la pauvreté affectait déjà beaucoup de Guadeloupéens (le taux de chômage dépasse 50 % chez les jeunes). Un espoir néanmoins : nous pourrions parvenir prochainement à stopper la circulation du virus et à retrouver une vie normale si nous maintenons une surveillance stricte des arrivées. Par ailleurs, cette crise a mis particulièrement en lumière, ici, le concept One Health. Début avril, les vétérinaires ont ainsi donné, en urgence, 77 flacons de propofol au CHU pour répondre aux besoins en réanimation et faire tampon avant l’arrivée des doses gérées par l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM). Aujourd’hui, d’autres enjeux nous occupent : pénurie de masques, approvisionnement en produits sous chaîne du froid impossible à cause des délais de livraison rallongés, etc. Nous allons essayer de collectiviser cela. Côté santé publique, l’enjeu majeur est celui des tests, alors que des milliers d’étudiants doivent rentrer après la fermeture des résidences universitaires dans l’Hexagone. Jusqu’alors, presque tout reposait sur la maigre capacité de l’Institut Pasteur, soit 1 500 tests depuis deux mois. Le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad) va enfin être autorisé à offrir ses compétences et son fort potentiel de 450 tests quotidiens.

Nous devons exercer dans un contexte très anxiogène

XAVIER D’ABLON (A 85)

Praticien équin à Deauville (Calvados)

Face à cet épisode inédit du Covid-19, la profession vétérinaire est relativement épargnée par rapport à certains secteurs professionnels sinistrés. En particulier, le maintien de la monte pour les professionnels de l’élevage équin et les soins - incontournables - aux jeunes poulains ont participé à assurer un fond d’activité quotidienne pour les vétérinaires équins en région d’élevage. La continuité de la prophylaxie vaccinale pour la majorité des effectifs équins a aussi contribué à limiter la perte de chiffre d’affaires. Chez nous, comme dans beaucoup de cliniques, les vétérinaires salariés ont été en activité partielle, et les associés ont assuré les activités d’urgence quotidiennes. Notre activité est conditionnée par la bonne santé économique de la filière et nous devons exercer dans un contexte très anxiogène : arrêt d’activité des centres équestres à l’équilibre financier souvent précaire, arrêt des courses et des compétitions, incertitude sur le déroulement des ventes publiques de chevaux… Il est grand temps que ces activités reprennent avant que la filière équine ne souffre de séquelles irréversibles. Je ne pense pas qu’il y aura un gros rebond d’activité après le 11 mai. Certes, nous devrons rattraper certains actes laissés en plan, mais la reprise d’activité suivra celle, progressive, des activités équestres. À la clinique, les clients ont bien acquis les habitudes “barrières”, qui sont très simples en équine puisqu’elles consistent à rester dans son camion et à laisser notre équipe prendre le cheval pour assurer soins ou examens, puis le rembarquer. À domicile, c’est beaucoup plus compliqué : il est difficile, voire impossible d’assurer des soins à un cheval en respectant la distanciation humaine.

Nous préparons le rattrapage des vaccins et des stérilisations

GWENAËL OUTTERS (N 98)

Praticienne canine dans une clinique mixte à Saint-Germain-Lespinasse (Loire)

Au final, le confinement n’aura pas beaucoup modifié notre activité. Avec l’arrêt de la médecine préventive, nous n’avons observé qu’une baisse de 20 % de l’activité en canine, car nous pratiquons en région rurale, avec peu de “bobologie” à la base. Pour rattraper les vaccins (190 animaux concernés) et les stérilisations lors du déconfinement, nous avons bloqué des créneaux qui ne seront consacrés qu’à ces actes (deux matinées par semaine pour les stérilisations, à raison de trois ovariectomies par heure) : une organisation qui sera peut-être amenée à perdurer si elle s’avère performante. Pour que les consultations soient les plus efficaces possible, les propriétaires recevront une fiche détaillée en amont des visites de médecine préventive, pour qu’ils puissent répondre rapidement à nos questions lors de l’examen. Nous avons également communiqué de nouveau auprès d’eux sur l’importance des gestes barrières, car la tendance est au relâchement. Au déconfinement, nous demanderons qu’ils portent un masque. Nous continuerons de les recevoir avec nous en salle de consultation, nous n’arrivons pas à faire autrement ! Ils ne pourront, en revanche, pas s’asseoir (pour maintenir la distanciation) et du Plexiglas a été installé sur les bureaux et à la borne d’accueil. Des désinfections seront faites entre chaque client, une habitude déjà installée depuis longtemps à la clinique. Ces mesures évolueront peut-être en fonction des recommandations de l’Ordre. Notre site internet et notre page Facebook annoncent déjà cette nouvelle façon de travailler et les clients vont également recevoir des e-mails leur indiquant que nous continuerons à ne recevoir que sur rendez-vous, aussi bien pour les consultations que pour les ventes au comptoir. Dans ce contexte, je pense que la télémédecine est une belle opportunité, qui de plus nous permettra de valoriser financièrement les conseils que nous donnons déjà gratuitement par téléphone. De même, il serait pertinent que les visites de délégués médicaux puissent dorénavant se faire par visioconférence.

Au bout de six semaines, les mentalités des clients ont changé

JÉRÔME FRASSON (L 92)

Praticien mixte à Champagnole et vacataire à l’abattoir d’Équevillon (Jura)

En ce qui concerne mes vacations à l’abattoir d’Équevillon, je poursuis mon activité comme auparavant. Nous sommes une petite équipe et, hormis la mise en place de mesures de précaution sanitaires comme la distanciation, notre travail est resté le même. D’ailleurs le nombre d’abattage n’a pas faibli. Dans notre région, ce sont les éleveurs de vaches laitières, producteurs de fromages au lait cru dont le Comté, qui ont en revanche été incités à réduire leur production de lait. En rurale, notre activité a chuté d’environ 20 %, car nous avons poursuivi les actes ne pouvant être reportés (urgences, prophylaxie, notamment) mais différés la plupart des actes zootechniques. C’est plutôt l’organisation de la délivrance des médicaments à la clinique qui a été modifiée : nous avons mis en place un “drive” qui évite aux éleveurs d’entrer dans la clinique. Mais maintenant, au bout de six semaines, les mentalités des clients ont changé. Ainsi, les éleveurs sont davantage sensibles aux précautions à prendre. Ils respectent une certaine distance en élevage et nous portons des masques lors de nos visites. Nous ne disposons toujours pas de masques chirurgicaux mais seulement de masques en tissu que des artisans locaux nous ont confectionnés et que tout le personnel a adopté. Nous demandons aux propriétaires d’animaux de compagnie de venir seul en consultation avec leur animal et, depuis cette semaine, de porter, si possible, un masque. Nous utilisons du gel hydroalcoolique, qui est laissé à disposition pour nos équipes et nos clients. Nous allons également faire installer des protections en Plexiglass sur les banques, car nous pensons que les mesures de prévention vont durer longtemps. Étant donné que les clients prennent de plus en plus de précautions, nous allons bientôt remettre en place la salle d’attente avec des règles strictes d’éloignement et en espaçant les rendez-vous. Nous avons prévu de nous concerter pour définir notre nouvelle organisation à partir du 11 mai, car nous espérons à cette date pouvoir recommencer notre activité habituelle en prenant toutes les précautions sanitaires nécessaires, bien sûr.