FAIRE FRONT AU COVID-19
Auteur(s) : SYLVAIN BALTEAU
Nous avons reçu notre premier mail d’invitation à rejoindre le “réseau” Evidensia. Ça n’a l’air de rien, comme ça, en 2020, mais ça nous a laissés songeurs, mon associé et moi. Un peu plus âgé que moi, il soulève parfois la question de son départ et de celui ou celle à qui il revendra ses parts. Et de ce que je ferai à ce moment-là. On a encore le temps, mais…
Je me rappelle encore de cette génération de vétérinaires individualistes et indépendants, qui pour la plupart travaillaient seuls, même quand ils s’étaient associés en société de fait ou de moyens. Certains m’ont formé. Je fais encore sans doute partie de ceux qui ont gardé un esprit libéral et indépendantiste, mais qui ont choisi de travailler en groupe. Le temps des SCP et des SEL… Les consœurs et confrères à peine plus jeunes que moi semblent tout à fait prêts à rester salariés ; cette fois-ci, c’est la convention collective qui encadre leur évolution professionnelle. Il n’est pas absurde que l’époque accueille maintenant à bras ouverts les chaînes et autres groupements laissant plus ou moins d’indépendance aux structures. Nos cliniques seront de plus en plus intégrées dans les décennies qui viennent. Pendant ce temps, sur les plateaux télé, dans les journaux et sur les réseaux sociaux, la guerre fait rage, sur fond de Covid-19, entre au moins deux conceptions de la science et de la médecine. D’un côté, nous avons le camp des héros, ce sont des grands savants, ils se parent de leurs titres et de leur h-index, de leurs intuitions et de leur expérience. Ils incarnent le sachant, le sauveur, voire se font passer pour hors système afin de devenir “la résistance”. De l’autre, il y a une démarche collective, presque anonyme, qui s’appuie sur les statistiques et les protocoles afin d’essayer de contrôler ses biais, pour offrir les résultats les plus factuels possible.
Le libéral contre l’intégrateur, le savant (fou ?) contre la démarche scientifique, et on pourrait décliner ce qui, plus qu’une question de génération, semble être une question d’époque : l’agriculteur indépendant contre l’industriel, la coopé locale contre le groupe international, le petit épicier du village contre la grande distribution, le PMU contre Facebook, contre, toujours contre, car ces conceptions d’organisation de la vie et du travail ne sont pas vraiment compatibles. Tout au plus peuvent-elles occuper des niches écologiques différentes, pour un temps au moins.
Nos sociétés changent si vite, nous changeons si vite que nos cerveaux se raccrochent à des images d’Épinal, à la nostalgie, à ce que nous pouvons, aussi, réellement saisir par nous-mêmes, quand la réalité dépasse clairement nos capacités d’entendement. Qui aujourd’hui peut réellement prétendre comprendre tous les tenants et aboutissants des études publiées autour du Covid-19 ? Qui saisit les implications fondamentales de la transformation de notre métier, dans son organisation comme dans sa pratique ? Pas moi, en tout cas.
J’essaie de rester conscient de mes biais, des limites de mon cerveau, de mon envie d’avoir une religion, un sauveur (fut-il moi-même), de mon besoin de me pelotonner et de me scléroser dans un cadre rassurant, dans une nostalgie, dans un environnement que je maîtrise.
Je veux rester indépendant, mais je sais que je ne peux pas le faire seul. J’ai besoin d’une équipe pour donner le meilleur de moi-même. J’ai besoin d’outils pour réfléchir, de sens critique mais aussi de confiance, pas d’un sauveur en tout cas. Les soignants ne sont pas des messies et, finalement, c’est ce que j’aime dans la démarche scientifique : elle nous rappelle constamment que nos cerveaux nous trahissent, pourtant, c’est grâce à eux que nous traduisons, pour nos patients, avec toute notre humanité, les données offertes par la science.
Sylvain Balteau (Toulouse, 2004) est vétérinaire mixte au pied des Pyrénées depuis 2005. Il a créé en 2007 le blog Boulesdefourrure.fr dans lequel il raconte son quotidien de praticien.