COMMUNICATION
ENTREPRISE
Auteur(s) : CHRISTELLE FOURNEL
En tant que vétérinaire, nous avons tous rencontré un propriétaire d’animal ou un membre de l’équipe que l’on a aidé avec générosité et dévouement et qui s’est par la suite comporté de manière ingrate, voire injurieuse. Nous avons mal vécu ce manque de reconnaissance pourtant tout à fait normal ; il s’agit d’un jeu psychologique décrit par Karpman en 1968.
Le triangle de Karpman, psychiatre américain, met en scène une victime, un sauveur et un persécuteur. Chacun adopte ce rôle car il y trouve un intérêt personnel. Ce triangle devient dramatique et destructeur lorsque les rôles s’intervertissent. Il convient donc de repérer ce scénario, de ne pas y entrer ou d’en sortir au plus vite. Connaître ce phénomène apparaît essentiel dans l’activité vétérinaire : en tant que soignant, notre envie de secourir les individus en détresse nous y expose tout particulièrement et il conduit naturellement au burn-out ou à la fatigue compassionnelle.
Victime, sauveur et persécuteur prennent leur place de manière inconsciente.
La victime cherche à attirer l’attention, elle veut de la protection, de la compassion, de l’affection… Elle ne comble pas ses besoins par ses propres moyens et compte sur quelqu’un pour le faire à sa place. Elle se plaint, accuse une personne, une situation, une maladie de lui porter préjudice : « Je fais tout bien et il me fait sans cesse des reproches », « Je n’ai pas de chance avec lui, tout mon argent y passe ». Le persécuteur n’existe pas toujours. Parfois, la victime en invente un… pour pouvoir jouer son rôle. Elle ne demande jamais d’aide explicitement, mais s’adresse à une personne prompte à se comporter comme un sauveur.
Le sauveur, lui, trouve une gratification dans l’aide et le soulagement apportés aux autres. Il a ainsi une bonne image de lui-même et se crée une bonne image auprès des autres. Il apprécie que les gens lui fassent confiance et ses capacités à aider autrui lui confèrent une forme de pouvoir, parfois de contrôle sur l’entourage. Pour lui, la victime ne pourrait pas s’en sortir sans son aide.
Le persécuteur (ou bourreau), quand il existe, se satisfait de pouvoir déverser son agressivité sur quelqu’un, tout en en tirant souvent un bénéfice pour son propre compte. Il critique, dévalorise, humilie, fait culpabiliser. Il peut s’agir d’une ex-victime qui a pris conscience de ses besoins et a décidé de les combler, de se protéger, voire de se venger (y compris de l’ex-sauveur qui pensait qu’elle ne pouvait pas s’en sortir seule).
Les protagonistes se sentent confortables et satisfaits, chacun dans leur rôle, mais si chacun accomplit bien sa mission, le sauveur est sauvé, le persécuteur a bien persécuté…, les rôles s’inversent et le drame s’amorce : la victime devient bourreau, le sauveur, la victime et le persécuteur, le sauveur.
La victime n’a plus d’excuses pour continuer à se plaindre, ne peut plus cacher sa flemme pour assumer ses besoins. Le sauveur ne brille plus par ses compétences. Le bourreau ne peut plus déverser sa bile. La victime qui se retrouve bourreau s’acharnera sur sa victime, l’ex-sauveur…
Il faut donc éviter de rentrer dans le triangle ou en sortir le plus vite possible :
- attendre que la personne en difficulté formule sa demande, proposer son aide avant de la donner, former plutôt que « faire à la place de » ;
- ne pas se plaindre et rester acteur de sa vie, assumer ses choix, ne compter que sur soi ou demander de l’aide de manière claire ;
- prendre conscience des émotions négatives dirigées vers les gens et ne pas l’extérioriser, se méfier de l’agressivité redirigée (tension interne créée par un événement et évacuée sur une personne extérieure à l’événement).
Enfin, parfois, le sauveur est désigné d’office : médecin, infirmière, vétérinaire, auxiliaire vétérinaire, etc., toutes ces professions qui ont pour vocation d’aider l’autre et se réalisent en soignant. Elles doivent rester vigilantes et poser une limite : « M’a-t-il demandé de l’aide de manière explicite ? » (exception faite de la personne inconsciente, du propriétaire handicapé, bien entendu), « Dans quelle mesure et à quel moment est-il capable de faire les choses sans moi ? », « Comment puis-je procéder pour lui donner davantage d’autonomie ? ».
Vétérinaire ou auxiliaire vétérinaire, il est donc préférable de se comporter comme un « sauveteur », non comme un « sauveur ».
Sources : Karpman Stephen. Fairy tales and script drama analysis. Transactional analysis bulletin, 1968, vol. 7, n° 26, p. 39-43.
Petitcollin Christel. Victime, bourreau ou sauveur : comment sortir du piège ? (nouvelle édition). Jouvence, 2013.