FILIÈRES ORGANISÉES
PRATIQUE MIXTE
Auteur(s) : TANIT HALFON
Pour les vétérinaires du réseau Cristal, la télémédecine n’est pas une opportunité économique majeure, mais un outil de plus pour exercer le métier. À condition d’avoir une organisation bien rodée !
Les filières organisées ne font pas exception, la télémédecine sera bien un nouvel outil utile pour la pratique… mais pas une révolution. « À mon sens, la télémédecine restera une tâche mineure dans nos plannings. Notre cœur de métier reposera toujours sur les visites d’élevage et les examens de laboratoire », souligne Julie Fontaine, vétérinaire en filière avicole et en charge au sein de cabinets du groupe Cristal d’élaborer un projet global de télémédecine. Même son de cloche pour Benoît Dile, vétérinaire en filière cunicole au sein du réseau. « La télémédecine n’est pas une révolution. Les contraintes réglementaires mises en place, avec la visite physique devant dater de moins de six mois, sont fortes en production animale, explique-t-il. C’est une adaptation à la fois à la situation sanitaire de cette période et à des contraintes de temps, de déplacement, voire d’isolement dans certaines régions. L’usage des outils de télémedecine répond à une évolution des techniques de communication, d’imagerie et de robotisation actuelles. » Une évolution sans surprise donc, et qui a finalement l’avantage de cadrer des pratiques, comme l’explique Julie Fontaine : « En filières organisées, le vétérinaire est déjà très accessible et sollicité pour des échanges techniques, des conseils… Le décret du 5 mai 2020 apporte un cadre et une structuration. »
« Désormais, les usages des outils sont reconnus et peuvent être enregistrés, détaille-t-elle Très concrètement, cela nous permet de poser un diagnostic et d’envisager une prescription en dehors de ce qui est défini dans le protocole de soins de l’élevage, suivant les limites fixées par le décret. Cela offre plus de souplesse et de réactivité pour nos éleveurs. » Benoit Dile complète : « Les éleveurs sont très habitués à l’utilisation d’outils informatiques, de smartphones, et la qualité des photos ou de l’imagerie filmée permet d’obtenir des informations intéressantes pour le suivi des élevages. »
Plusieurs usages de la télémédecine sont ainsi envisagés. « Cela pourra être complémentaire aux visites d’élevage. J’y vois plus un usage ponctuel pour des diagnostics nécropsiques, soit initiaux, soit en suivi de lots à la suite d’une analyse faite au laboratoire, ce qui permet un gain de temps, de déplacement, et un suivi plus efficace du lot », explique Benoit Dile. À condition, comme il le souligne, de lever certains freins réglementaires, la réalisation d’une autopsie n’étant, par exemple, pas autorisée aux techniciens cunicoles. « Pour les confrères qui parfois nous envoient leurs clients en référé ou nous demandent de prendre le relais, la téléexpertise simplifiera aussi les soins et écourtera les délais de réponse. Ce sera un vrai gain de temps pour le client, ajoute Julie Fontaine. La téléassistance ou l’analyse de données trouve aussi sa place dans nos filières pour mettre en évidence des dérives devant engager des soins. »
Si la théorie coule de source, la mise en place ne va pas de soi. « Les éleveurs, tout comme nous, devront s’habituer à une nouvelle organisation du temps de travail. Définir un créneau de téléconsultation ne peut pas se faire à l’improviste. Cela implique de réfléchir au temps que cela prend, aux données que l’éleveur doit mettre à notre disposition, à l’outil de communication à utiliser, souligne Julie Fontaine. Ces contraintes organisationnelles ont toutefois du bon, puisque le décret nous engage en matière de responsabilités. » En parallèle, la politique tarifaire est aussi à définir. « Ce service peut être ponctuel ou contractualisé, les possibilités sont multiples suivant les catégories de clients et les filières de production ». Cela dit, comme toute opportunité, le risque de dérives existe et les praticiens en sont conscients. « N’y aura-t-il pas des abus de confrères développant des plateformes payantes avec un service minimum ? », se demande-t-elle. « Le plus gros risque est la création de sites de « consultation » en ligne, caractérisés par des structures « légères » - un ordinateur, un vétérinaire, une pharmacie - qui développent ce type d’activité sur un très grand périmètre, pourquoi pas à l’échelle européenne », assure Benoit Dile. Il alerte aussi : « Cela doit rester avant tout un usage complémentaire à une médecine vétérinaire qui se fonde sur la consultation. Si le vétérinaire perd la maîtrise de la consultation, le risque de perte de la maîtrise de la santé est important. »