LA RÉALITÉ AUGMENTÉE S’INVITE EN CHIRURGIE - La Semaine Vétérinaire n° 1860 du 26/06/2020
La Semaine Vétérinaire n° 1860 du 26/06/2020

NOUVELLES TECHNOLOGIES

PRATIQUE CANINE FÉLINE NAC

Auteur(s) : TANIT HALFON

En janvier dernier, l’équipe de la clinique vétérinaire Anicura Saint-Roch, à la Rochelle, a testé un casque de réalité mixte lors d’une correction chirurgicale de déformation fémorale chez un chien. Une première en médecine vétérinaire qui confirme l’intérêt de cet outil.

Comment gagner en efficacité chirurgicale ? La réalité virtuelle pourrait être une solution, mise la start-up rochelaise Abys Medical1. Depuis 2018, elle travaille sur le développement d’une plateforme de planification chirurgicale appliquée à l’orthopédie, associée, pour la phase per opératoire, au casque de réalité mixte HoloLens2, version 2, développé par Microsoft. La médecine humaine est visée, et la fin du programme recherche et développement est prévue pour 2023. Néanmoins, l’entreprise a décidé de commencer l’aventure dans le milieu vétérinaire. Première étape : celle du test pour valider le principe général et l’ergonomie du produit, passé avec succès en janvier dernier, en partenariat avec l’équipe de la clinique vétérinaire Anicura Saint-Roch, située à La Rochelle, en Charente-Maritime. Le chirurgien testeur Thomas Cézard (N 04) raconte : « L’essai s’est porté sur un cas de déformation congénitale distale de l’axe du fémur, associée à une luxation de la rotule, chez un berger australien de 8 mois. Au niveau chirurgical, le premier et principal changement concernait la phase préparatoire, avec un logiciel 3D qui nous a permis de visualiser les structures osseuses de l’animal et de choisir, avec une grande précision, la meilleure option possible pour les angles de découpe. Avec ce système, plus besoin d’en passer par l’impression 3D de l’os à opérer, les images su sent pour juger du résultat final. » Il poursuit : « En peropératoire, grâce aux lunettes, j’avais à disposition toutes les données de l’animal, notamment les images 3D du membre du chien. »

Des projections d’hologrammes

Comme l’explique Arnaud Destainville, cofondateur de la start-up, le dispositif HoloLens est un véritable ordinateur autonome qui permet d’afficher dans son champ de vision l’intégralité des données médicales de l’animal, via un tableau de bord virtuel, et notamment les images anatomiques 3D reconstruites à partir des résultats du scanner. Grâce à un système combinant plusieurs caméras équipées de capteurs de profondeur situés sur l’avant du masque et scannant l’environnement, ces hologrammes, qui détaillent les structures tissulaires et osseuses, vont pouvoir se fixer à un endroit précis de la pièce. En clair, il est possible de tourner autour ! Mais aussi de les manipuler avec la main pour les placer où on veut, par exemple directement sur le site chirurgical. La commande vocale est aussi disponible comme un contrôle des images virtuelles par le regard (eye tracking). « Le chirurgien a accès aux images des différentes étapes de l’intervention chirurgicale », précise-t-il. Une aide rassurante pour le praticien, et plus pratique que les planches 2D des radiographies et scanners sur lesquelles s’appuient habituellement les chirurgiens. « La durée de l’acte chirurgicale a été majorée de 20 à 30 %, que j’estime liés à l’appropriation du matériel. À terme, le recours à cette technique permettra de réduire les temps de chirurgie », complète Thomas Cézard. À ce stade, quelques limites restent à dépasser : l’autonomie de la batterie, qui est de 2 heures, l’accès au réseau, qui connaît des variations, mais aussi la question du recalage de l’hologramme sur le corps de l’animal « L’objectif à court terme est de pouvoir le faire de manière automatique, avec des lunettes qui reconnaissent directement le site chirurgical, et apposent les images anatomiques spécifiques aux différentes étapes de la chirurgie », détaille Arnaud Destainville.

Un outil d’avenir

Et le coût ? « Il est sans commune mesure comparativement aux blocs intégrés avec des écrans, qui se chiffrent de 100 000 à 300 000 €, explique Thomas Cézard. Ceci dit, il est évident qu’il y aura un coût additionnel. Celui-ci doit être acceptable et ne pas constituer, pour les propriétaires d’animaux, un frein à une intervention chirurgicale. C’est un outil supplémentaire pour le chirurgien. » Cette nouvelle “assistance chirurgicale” pourrait trouver également des débouchés en chirurgie des tissus mous, par exemple dans le cas des shunts hépatiques. Mais aussi dans le cadre de la téléassistance : « À terme, nous pourrions imaginer le soutien de plusieurs intervenants extérieurs qui verraient les images issues du casque, pour guider des chirurgiens moins expérimentés. Ou encore le soutien d’ingénieurs lors d’usage d’implants particuliers. » Cette possibilité de soutien a déjà été validée en chirurgie humaine. Ainsi, si l’usage du casque HoloLens est une première a priori mondiale pour la chirurgie vétérinaire, un premier essai3 avait déjà été mené en décembre 2017, par les équipes du service de chirurgie orthopédique et traumatologique de l’hôpital Avicennes à Bobigny (Île-de-France) pour une chirurgie de l’épaule. À l’époque, le chirurgien en chef Thomas Grégory, avait été assisté par quatre autres chirurgiens, en direct de Corée du sud, des États-Unis et de la Grande-Bretagne ! Selon ses dires, ce nouveau système permettait d’en finir avec l’ère d’un résultat chirurgical dépendant uniquement de l’expérience et de la compétence du médecin : « Le chirurgien a enfin son cockpit pour standardiser son intervention chirurgicale. »

Des besoins vétérinaires

Arnaud Destainville abonde dans le même sens : « L’avenir de la chirurgie, notamment orthopédique, passe par l’amélioration de toutes les étapes de la procédure, de la planification au guidage. Pour aboutir à des résultats plus satisfaisants pour le chirurgien, l’idée est d’exploiter les données médicales afin d’automatiser les process. » À terme, le système intégrerait également la possibilité de comman der directement des implants sur-mesure. Si la chirurgie vétérinaire est une première étape avant la santé humaine, Arnaud Destainville constate : « Il y a des attentes réelles dans le secteur vétérinaire, et nous savons certains groupes intéressés. Cela pourrait donc être un marché à part entière, mais il reste à déterminer le modèle économique, qui est freiné par la faible part d’animaux assurés. » De fait, la start-up a constitué un comité scientifique4 compo sé de quatre chirurgiens vétérinaires et humains. Mais, en réalité, le vrai débouché est ailleurs, comme l’explique le cofondateur de la start-up. « Ce qui se dessine en humaine est une surpopulation de patients vieillissants et dépassant les capacités de gestion des chirurgiens en matière d’effectifs. C’est pour cela que toutes les grandes sociétés de l’industrie du dispositif médical orthopédique investissent dans la robotique. Ce qu’on développe est le parfait package à implémenter dans un robot, qui pourrait un jour avoir à opérer tout seul. » En attendant d’en arriver à ce scénario, un deuxième essai vétérinaire est prévu avant la commercialisation du produit final, potentiellement en début de l’année 2021.

1. www.abys-medical.com.

2. www.microsoft.com/fr-fr/hololens.

3. www.bit.ly/2Cgolyu.

4. Alexandre Caron, Clinique TrioVet à Rennes (Ille-et-Vilaine) ; Alexandre Guillemot, centre hospitalier vétérinaire Atlantia à Nantes (Loire-Atlantique) ; Thomas Cézard, clinique vétérinaire Saint-Roch à La Rochelle (Charente-Maritime) ; David Huss, consultant en chirurgie à Rochefort (Charente-Maritime).