LA VIE D’APRÈS - La Semaine Vétérinaire n° 1860 du 26/06/2020
La Semaine Vétérinaire n° 1860 du 26/06/2020

CARNET DE BORD

FAIRE FRONT AU COVID-19

Depuis le déconfinement, l’activité des vétérinaires reprend peu à peu son cours. Son cours “normal” ? Nos confrères Frédéric Decante et Sylvain Balteau racontent comment ils vivent cette nouvelle période.

TOURNER LA PAGE

Il n’est pas forcément de bon ton en société d’avouer que votre lecture d’un roman policier commence toujours par les dernières pages pour connaître en tout premier lieu le coupable. Je peux l’en attester. Ce non-respect de la règle du jeu vous vaut la moquerie généralisée et systématique. On veut du lecteur qu’il soit discipliné, qu’il lise - sauf à calligraphier le mandarin - de gauche à droite, de haut en bas, et qu’il tourne la page une fois seulement son devoir de liseur accompli. Maintenant que nos bas de laine se sont effilés en avril (… ne te découvre pas d’un fil), la métaphore livresque peut être filée en ces temps d’épidémie maîtrisée : avouons que nous aurions souhaité connaître la fin de cet épisode pandémique sans même en avoir connu le début. En aparté, notons par ironie, en cette période de désordre généralisé, qu’à la question « Que maîtriset-on ? », le politique répond « L’épidémie » et uniquement l’épidémie, avec en ligne de mire bien plus la conjoncture économique que la conjecture scientifique encore dans l’expectative. Nous sommes, tel le capitaine Haddock qui, après avoir annoncé des vaguelettes, prédit le tsunami, craint des vagues en réplique et ose au final parler de mer d’huile : « Maintenant, c’est plat, je maîtrise ».

Dans les faits, tintin ! Mais revenons à notre lecture du comic book : cette attitude de vouloir connaître la fin pour pouvoir juger du début est très courante quand il est question de faire société. Concernant le Covid-19, à connaître le dénouement, l’écriture de la préface nous paraîtrait d’une élémentaire facilité. La microsociété que nous construisons avec nos clients est traversée du même fantasme qui fait confondre pronostic médical et divination existentielle : les colloques avec nos clients ne sont pas les mêmes selon que le dénouement médical soit connu ou ignoré. Voilà ce qui en fait de riches sujets de conversations de café du commerce, de quoi remplacer fort avantageusement la météorologie qui a le mérite d’avoir des prédictions faciles à consulter.

Grâce au ciel, elles se révèlent également parfois faussées. Je me souviens rêver, à l’époque de l’alerte tsunami du Covid-19, de l’objectif très personnel des vacances estivales, priant la destinée en but ultime de laisser mes proches éloignés de ce fléau pandémique, cet objectif étant bien au-delà de notre survie économique. Nous partions en guerre, la fleur au bout du fusil, insouciants des difficultés, confiants dans la victoire. Je rêvais d’un roman de gare : peu de pages, 12 €, couverture souple, caractères massifs pour malvoyants. Je découvre aujourd’hui que nous sommes plongés dans un roman moderne car dystopique. Chacun voulait faire court et nous feuilletonnons tous. Professionnellement, nous nous réveillons avec un nouveau concept de télémédecine avec la peur en tant que vétérinaire rural de voir disparaître l’équilibre de nos structures, qu’à la fin, « Gaston, y a l’téléfon qui son et y a jamais person qui y répond ». Car cette mesure nous est arrivée par enchantement en plein confinement, alors que nous assurions la pérennité de nos soins. En récompense, on nous parle aujourd’hui de lutte contre la désertification médicale vétérinaire via des plateformes de visioconférences en guise de plateau technique. Il n’y a que des vaches sur mon plateau.

Qui avait compris que la distanciation sociale passerait si brutalement du mètre aux 500 kilomètres ? La mesure sans demimesure est à l’essai mais déjà, dans les couloirs, les portes claquent, les chaises se vident, les masques tombent. Comme dirait la Comédie-Française encore interdite de représentation : la comédie continue. Le roman de nos vies, finalement très théâtral, se poursuit sans que nous en connaissions le dénouement, à part celui de notre propre mort difficile à déguster. Nous n’avons d’autre choix que de continuer la lecture de ce roman, mais je regrette toujours de ne pouvoir en feuilleter goulûment les dernières pages. Une seule alternative : tourner au lever du matin la page jugée comme insipide, en commencer une nouvelle en la concevant comme incipit. Par exemple et au hasard : longtemps, je me suis couché de bonne heure…

Frédéric Decante est praticien rural en Lozère. En parallèle, il mène une activité de photographe professionnel.