CARNET DE BORD
FAIRE FRONT AU COVID-19
Alors que les congés d’été se profilent, il semblerait que l’épidémie connaisse, temporairement du moins, une accalmie. Il est donc temps de refermer ce chapitre de chronique et de remercier nos deux confrères pour ce rendez-vous hebdomadaire qui nous a permis de « vivre » au plus près du terrain le quotidien « confiné » puis « déconfiné » de vétérinaires praticiens.
Il vous reste 5 minutes pour conclure ». Nous avons tous en souvenir ces épreuves de composition française. Nous nous décomposions à savoir le temps limité. Notre conclusion devait être celle de l’ouverture, de l’élargissement de notre réflexion. Il en est de même ce jour, il me faut mettre un point vétérinaire conclusif à mon expérience Covid. Un peu par esprit de contradiction, j’ai bien envie de rapetisser mon propos, de l’enrouler, de le centrer sur nos nombrils, objets secrets d’intérêt universel : la question intime, donc importante, que tout le monde se pose n’est-elle pas celle de l’homme qui a vu la bête qui a vu l’homme, celle de notre propre contamination au Sars-CoV-2 ?
Depuis six mois, n’avons-nous pas eu à la suite d’une attitude sanitaire douteuse, qui une pharyngite douloureuse nous laissant sans voix, qui une toux rebelle faisant de nous l’indigne interprète de musique répétitive, qui un pic fébrile d’allure théâtral, qui une phase d’entérite nous liquéfiant sur place, qui une anosmie ou une agueusie, conditions sine qua non du statut de victime ? Adepte d’un journalisme d’immersion et pour conclure avant l’été, je me rendais sans prescription médicale au laboratoire de biologie humaine. Je piquais d’abord au vif ma pharmacienne en expliquant le motif de ma visite : venir pour écrire un papier, en gros donner pour recevoir. Sous son masque, je devinais un rictus un peu exaspéré par ce geste gratuit car payant non remboursé qui me valut un retour condescendant : « Et bien sûr, vous voudriez être positif ! » J’expliquais alors ma démarche, sûr de mon raisonnement : penser que chacun avait bien reconnu depuis six mois les signes distinctifs de la pandémie aussi salvateurs pour des vacances débridées, sans masque, que marqueurs d’un passé révolu : « Cela revient très rarement positif. Il faut vraiment avoir été très malade ». Dépité, je revenais alors à mon idée première : ces signes-là n’étaient pas que l’expression du corps exultant, un commun saisonnier aussi annuel que répétitif. « Mais il y en a eu beaucoup plus cette année. »
Faudrait-il en conclure que chacun n’a eu de cesse ce printemps de faire état de ses émonctoires, expression physiologique d’un constat de vie et non de mort ? Décidément, vous pouvez habiter la partie charnue peu recommandable de l’anatomie du monde, tout vous fait remonter au nombril, chacun s’auto-auscultant en nouveau diplômé de médecine de la faculté des réseaux sociaux ! Dès lors, une fois fait mon petit don rouge en deux tubes jaunes, j’en fus quitte pour l’attente, le temps d’imaginer ce que cette posture faisait de moi. Car quid d’un résultat positif ? Outre qu’il me plaçait à l’égal du bachelier moyen toute l’année, mention très bien le jour des résultats, il me campait sauvagement au pied du mur de mes responsabilités : oui, j’avais bien eu quelques prodromes ambigus mais ces derniers ne m’avaient pas empêché de continuer à travailler, ne m’avaient pas en leur temps assujetti au port du masque, ne prohibaient pas ma vie familiale. Bref, je ne m’étais pas mis à l’isolement confondant abstinence héroïque et présence prosaïque.
Brutalement, je concevais avec culpabilité la bivalence de mon espoir, celui d’être séropositif, percevant le poids du verre à moitié plein de ne plus rien craindre et du verre à moitié vide d’avoir été ce traître, transmetteur coupable et maintenant délateur cupide. Je comprenais que la question de ma séropositivité relevait bien d’une conclusion : elle était une ouverture tant sur le passé que sur le futur et me rappelait que mon nombril interagissait en permanence avec d’autres nombrils. Ma responsabilité devenait plus complexe à porter en vrai qu’à la mettre en scène par un peu d’encre sur du papier.
J’ai lu mes résultats sur écran au bord d’un lac d’altitude, en 3G et pas en 4, à deux jets de pierre du bonheur. À celle qui était à côté de moi et disait « Alors ? », j’ai répondu en Ric Hochet et par onomatopée un ouais satisfait. Et maintenant ? C’est repos ou séropo ?…
Frédéric Decante est praticien rural en Lozère. En parallèle, il mène une activité de photographe professionnel.