L’OXYGÉNOTHÉRAPIE HAUT DÉBIT, UNE TECHNIQUE D’AVENIR - La Semaine Vétérinaire n° 1865 du 04/09/2020
La Semaine Vétérinaire n° 1865 du 04/09/2020

SOINS INTENSIFS

PRATIQUE CANINE FÉLINE NAC

Auteur(s) : TANIT HALFON

À la différence des méthodes classiques d’oxygénothérapie, l’OHD, pour oxygénothérapie haut débit, permet de délivrer jusqu’à 100 % de fraction inspirée en oxygène. Sa bonne tolérance et son efficacité ont été confirmées pour les chiens en détresse respiratoire.

À VetAgro Sup, des recherches sont en cours pour évaluer l’efficacité et la tolérance d’une technique émergente utilisée en soins intensifs en humaine : l’oxygénothérapie haut débit. Céline Pouzot-Nevoret, enseignante-chercheuse et chefs de service de l’unité de soins intensifs du centre hospitalier universitaire de l’école, le SIAMU, en explique le principe : « Il s’agit d’administrer de l’oxygène à un débit plus élevé qu’avec les sondes nasales conventionnelles. Avec une méthode conventionnelle, le débit administré est de 100 à 150 ml/kg/minute. Avec l’OHD, il est de 1 à 2 L/kg/minute, et cela permet de délivrer une fraction inspirée en oxygène (FiO2) pouvant aller jusqu’à 100 %. À ce niveau, le gaz délivré doit être obligatoirement chauffé et humidifié au risque d’aboutir pour l’animal à de l’inconfort et des lésions de la muqueuse nasale. » L’OHD s’accompagne donc d’un matériel spécifique, associé à des lunettes nasales, dont les embouts vont pénétrer de 1 cm ou moins dans chaque narine de l’individu. Comme le souligne l’enseignante, les avantages sont multiples. « Avec une FiO2 de 100 %, cette technique est plus efficace qu’une oxygénothérapie classique (voir encadré). Pour les animaux dyspnéiques ne répondant pas aux méthodes conventionnelles d’oxygénothérapie, l’OHD permet d’éviter de recourir à la ventilation mécanique, qui s’avère chronophage, coûteuse et à risque de complica tions. Des raisons pour lesquelles certains propriétaires peuvent opter pour l’euthanasie de leur animal, indique-t-elle. L’OHD est, de plus, presque mieux tolérée que les méthodes classiques qui délivrent de l’air froid et sec. Elle permet aussi d’administrer une pression positive continue dans les voies respiratoires, ce qui contribue à soulager l’effort respiratoire. Et provoque un « rinçage » des voies respiratoires supérieures permettant d’éliminer le CO2 des espaces morts. »

Des retours positifs

L’efficacité et la tolérance de la méthode ont été étudiées chez l’espèce canine au travers d’une étude pilote prospective (HOT DOG Study1), menée chez 11 chiens dyspnéiques admis au SIAMU entre janvier et mai 2018. Le principe était de recourir à l’OHD, en cas de détresse respiratoire persistante sous protocole classique d’oxygénothérapie. « L’étude a confirmé la bonne tolérance et la bonne efficacité de cette technique. Concrètement, un chien sous OHD peut tout à fait se mouvoir et manger dans sa cage. Nous avons également obtenu une hausse significative de la pression partielle en oxygène par rapport au traitement de départ par sonde nasale, précise Céline Pouzot-Nevoret. Il faut bien comprendre que l’OHD n’est pas une technique de dernier recours, mais elle doit se voir comme une option supplémentaire d’oxygénothérapie. » La prochaine étape concernera l’espèce féline, et Céline Pouzot-Nevoret, en partenariat avec Patrick Verwaerde de l’ENVA, a pour projet de lancer la HOT CAT Study2, avec le même objectif global d’évaluation de l’efficacité et de la tolérance, et les mêmes modalités d’étude. « On suppose que la mise en place des lunettes nasales sera plus compliquée, car les chats dyspnéiques sont généralement plus stressés que les chiens, et nécessitent d’ordinaire une tranquillisation à leur arrivée afin de réduire leur stress et leur fréquence respiratoire. L’étude nous montrera si la sédation habituelle est suffisante pour avoir recours à l’OHD. »

Une technique à maîtriser

À ce jour, peu de complications graves ont été décrites. « De l’inconfort en lien avec une distension gastrique a été rapporté. Une étude a également montré que l’usage de cette technique était associé à une persistance de pneumothorax, qui a fini par se stabiliser après l’arrêt de l’OHD. Cela semble assez logique, malgré tout, aucune étude n’a décrit de pneumothorax induit par l’OHD. » Ceci dit, il ne faut pas oublier la toxicité de l’oxygène, et une supplémentation en oxygène à une FiO2 supérieure à 60 % sera susceptible de provoquer au bout de 24 heures, voire moins, des lésions oxydatives pulmonaires. De fait, l’objectif sera de réduire le débit en oxygène le plus rapidement possible, pour aboutir à une FiO2 de 60 % ou moins. « Pour l’espèce canine, je pense qu’on dispose de suffisamment de littérature pour recommander son usage, et c’est d’ailleurs déjà démocratisé dans de nombreux centres qui font des soins intensifs », souligne l’enseignante. Pour exemple, à Frégis (Arcueil), où Maxime Cambournac, ancien chargé de consultation au SIAMU de 2014 à 2015, et responsable du service d’urgences, réanimation et soins intensifs de Frégis, l’utilise depuis un an. « Nous utilisons l’OHD pour les chiens ne répondant pas à l’oxygénothérapie conventionnelle, ou alors pour les chiens de très grande taille, dont le format se prête difficilement aux cages à oxygène », explique-t-il. Si le recul manque encore pour en tirer un premier bilan, Maxime Cambournac souligne tout de même son intérêt pour éviter l’intubation dans certains cas, et le coût associé, ainsi que pour les animaux atteints de cardiopathies.

Des freins en pratique

Pourtant, sur le terrain, l’usage de l’OHD se heurte à certains freins. « La maîtrise de cette technique implique un minimum de formation des équipes soignantes. Il faut également avoir accès à des prises murales à oxygène : vu le débit de l’OHD, la consommation d’oxygène est énorme, utiliser une bouteille à oxygène est totalement inadapté », précise Maxime Cambournac. Sans oublier la question du coût : « Le calcul de rentabilité n’est pas simple, car nous ne faisons pas un usage quotidien du matériel d’OHT. Il nécessite aussi d’avoir du personnel à disposition. » « Les canules nasales utilisées sont celles de la médecine humaine, et ne sont pas complètement adaptées aux chiens à long museau. Leur usage peut être également compliqué pour les cas d’animaux accidentés avec des traumatismes faciaux comme des fractures du nez, précise Céline Pouzot-Nevoret. Ces canules sont cependant très bien adaptées aux races brachycéphales. » Le coût d’acquisition de l’équipement est aussi à prendre en compte, sans oublier qu’il faudra y associer des canules de taille différente. « Au SIAMU, la machine que nous utilisons coûte environ 10 000 € HT. Après, chaque canule coûte entre 25 et 45 euros, sachant que nous en avons 5 de chaque taille. » Au vu des contraintes, la technique apparaît donc surtout réservée aux structures vétérinaires disposant d’un service d’urgences et de soins intensifs, mais aussi un service important de chirurgie. Car si en médecine vétérinaire les indications ne sont pas encore clairement définies, outre un usage en soins intensifs, l’OHD pourrait trouver également une place dans le post-opératoire des chiens brachycéphales, ou pour les cas de collapsus ou paralysies laryngées.

1. Pouzot -Nevoret C., Hocine L., Nègre J. et coll., Prospective pilot study for evaluation of high-flow oxygen therapy in dyspnoeic dogs : the HOT-DOG study, Journal of Small Animal Practice, 2019 (www.bit.ly/3jtvrQn).

2. Ce projet a été sélectionné, avec 2 autres, par le jury de la 3e édition du programme national de recherche clinique vétérinaire (www.agreenium.fr/actualites/recherche-cliniqueveterinaire-3-nouveaux-projets-retenus).

DES DIFFÉRENCES DE FIO2 SUIVANT LES MÉTHODES D’OXYGÉNOTHÉRAPIE

Classiquement, il existe 3 grandes méthodes pour délivrer de l’oxygène à un animal en détresse respiratoire. La première est le « flow-by » qui consiste à placer le tuyau d’arrivée de l’oxygène à quelques centimètres du nez de l’animal, avec une FiO2 de 25-30 %. Une deuxième est la cage à oxygène avec une FiO2 réglable jusqu’à 100 %, mais qui chute à chaque ouverture de cage ; pour les tentes à 02 en revanche, la Fi02 n’est que de 30 à 50 %. Enfin, il y a la sonde nasale que l’on enfonce de 1 cm ou moins dans une narine de l’animal, et qui permet d’avoir une FiO2 jusqu’à 70 %. L’OHT, de son côté, permet d’obtenir une FiO2 réglable de 21 à 100 %.

Pour rappel, l’air naturel inspiré contient environ 21 % d’oxygène.