DOSSIER
Auteur(s) : CHARLOTTE DEVAUX
EN HUMAINE, LES GRANDES ENTREPRISES DE L’AGROALIMENTAIRE N’ONT PAS LE VENT EN POUPE ET CETTE DÉFIANCE S’ÉTEND AU MARCHÉ DU PETFOOD, OÙ ELLES SONT DE PLUS EN PLUS VUES COMME LE MAL INCARNÉ. ROYAL CANIN, PURINA ET AUTRES COMPAGNIES SONT-ILS LES MONSANTO DE LA CROQUETTE ? LES PETITES MARQUES EN VOGUE SUR INTERNET FONT-ELLES VRAIMENT MIEUX ? MISE AU POINT.
Aujourd’hui, certains vétérinaires ont perdu confiance dans le petfood qui est proposé dans leurs rayonnages. Les grands groupes sont accusés de mettre de vilaines farines tandis que les petites marques en vogue sur Internet utiliseraient de la bonne viande fraîche. Tous les mois, des petits entrepreneurs lancent une marque car ils ont été « déçus par l’offre de petfood qui a rendu leur animal malade » et ont donc logiquement formulé un aliment révolutionnaire qui a sauvé leur chat. Les vétérinaires sont-ils des vendeurs de croquettes toxiques qui empoisonnent sciemmentles animaux pour ensuite vivre des affections chroniques provoquées par une alimentation « non naturelle » ? Et les personnes sorties d’école de commerce ou d’ingénieur sont-elles des sources crédibles en alimentation du chien ou du chat ? Peut-être pas…
Qu’ont les marques vétérinaires de plus que les autres ? Et bien des vétérinaires, pardi ! Et ceux-ci, quand ils ne sont pas en clinique, s’occupent souvent de deux domaines : la recherche scientifique et la qualité et sécurité des aliments. Ce sont exactement dans ces deux cadres qu’excelle le petfood vétérinaire. Les grandes marques possèdent souvent des centres de recherche qui publient et ces publications influencent leur production. Lorsqu’un centre de recherche d’une marque vétérinaire a découvert la toxicité du phosphore inorganique, la marque correspondante a ainsi vérifié tous ses aliments pour s’assurer qu’ils correspondaient aux dernières données de la science. Les marques vétérinaires sont à l’origine de tous les aliments diététiques dont l’efficacité a été prouvée par des publications. Les jeunes entrepreneurs non satisfaits de l’offre actuelle en petfood ont-ils lu les dernières publications scientifiques en nutrition des carnivores qui leur permettraient de se faire un avis sourcé ? Probablement que non. Les boardés en nutrition des marques vétérinaires ne les ont pas seulement lues, mais en ont publié un grand nombre.
L’autre différence majeure entre le petfood vétérinaire et les petites marques à la mode repose sur les analyses effectuées. Du côté vétérinaire, toutes les matières premières entrantes dans l’usine sont analysées : composition des fibres, profil en acides aminés, digestibilité, amines biogènes, niveau d’antioxydants… Différents contaminants sont recherchés : mycotoxines, métaux lourds, traces d’antibiotiques ou de pesticides…
Avec pour conséquence un rejet des matières premières non conformes, un travail de fond sur la qualité avec les fournisseurs et un coût non négligeable. Côté produit fini, toute l’analyse proximale est vérifiée pour chaque lot : teneur en humidité, protéines, matières grasses, cendres et cellulose. Des analyses plus poussées sont aussi effectuées pour fournir les données présentes dans les product books : aminogramme, profil des acides gras, taux de gélatinisation de l’amidon, profil antioxydant… Ces analyses sur les matières premières et les produits finis sont ensuite implémentées dans les logiciels de formulation, ce qui permet d’améliorer leur prédictivité. Enfin, des tests de digestibilité et de sécurité urinaire sont aussi réalisés in vivo pour vérifier l’efficacité de l’aliment sur de vrais animaux. Ces tests sont les plus onéreux, environ 4 000 € quand une analyse in vitro coûte 1 000 €. Impossible à réaliser pour des petites marques qui achètent des références blanches sorties d’usine sur catalogue. Ils ne réalisent souvent même pas les analyses simples pour vérifier ce qui est indiqué sur l’étiquette. Ignorant tout du monde du petfood, les petites marques font confiance aux usines qui elles-mêmes formulent parfois sans aucune personne compétente en nutrition ou en réglementation.
Si la technicité, la qualité et la sécurité sont plutôt du côté des grands groupes, l’engouement pour les petites marques peut s’expliquer par leur non-respect de la réglementation sur l’étiquetage. La page Facebook Petfood Review, créée par une ASV pour épingler les dérives de communication des petites marques, regorge d’exemples d’allégations mensongères : à base de « viande », « sans sous-produits animaux », « 100 % sans mensonges » et autres visuels trompeurs d’aliments de consommation humaine. La Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), qui a un personnel réduit, préfère se pencher sur les grands groupes détenant plusieurs marques plutôt que sur la petite PME fraîchement sortie. La répression n’est pas à la hauteur de l’exigence de la réglementation. Sauf qu’en laissant ce type de communication proliférer, les clients en viennent à croire cette communication trop belle pour être honnête. Le petfood des grandes marques, en plus d’une plus grande maîtrise des produits, représente alors l’assurance d’une communication loyale. « Avec les grands groupes, présents chez les vétérinaires, en animalerie ou en grande surface, vous avez la garantie que la composition correspond à l’allégation, si le petfooder avance un argument, il peut le justifier. Dans ces marques, vous ne verrez jamais de mentions mensongères comme “100 % naturel”, “sans additif” ou inhérentes à la loi comme “propre à la consommation humaine” », souligne Aurélie Bynens, secrétaire générale de la Fédération des fabricants d’aliments pour chiens, chats, oiseaux et autres animaux familiers (Facco).
En choisissant de prescrire un aliment, les vétérinaires délèguent le choix des ingrédients, l’équilibre de la ration et sa sécurité sanitaire à un industriel et lui donnent leur caution professionnelle. De la même façon que les vétérinaires ne prescriraient pas des médicaments produits à petite échelle par des « passionnés des animaux » dans une obscure usine, même s’ils se revendiquaient 100 % naturel et sans poudre de perlimpinpin, la même vigilance s’applique au petfood. Si aujourd’hui la tendance est de dire que les vétérinaires sont influencés par le petfood, il serait en fait plus juste de dire que le petfood est influencé par les vétérinaires, ceux qui y travaillent comme ceux qui font avancer la science. Vendre dans un cabinet vétérinaire un aliment non formulé et non contrôlé par une société disposant d’une personne spécialiste en nutrition animale, c’est être influencé par un marketing tendance mais simpliste. Les vétérinaires ne peuvent se permettre de délaisser la science au profit de fausses informations convaincantes. La profession vétérinaire peut être fière de produire du petfood contrôlé, maîtrisé et, jusqu’à preuve du contraire, clairement supérieur aux petites marques prétendant révolutionner le marché.
TÉMOIGNAGE
CHARLOTTE GAROT (L 19) Praticienne canine à Pfastatt (68)
En tant que vétérinaire, je dois fonder ma prescription sur les études qui montrent une réelle efficacité clinique. Il est facile pour le personnel d’animalerie d’avoir un discours tranché et de revendiquer vendre LA meilleure croquette car ils méconnaissent la complexité de la nutrition. En réalité, analyser une étiquette est plus ardu que simplement lire une quantité de viande et de céréales. Cependant, en consultation, il est difficile d’être percutante en quelques phrases. J’essaye d’expliquer aux propriétaires qu’il faut être réaliste et que toutes les croquettes sont fabriquées sur le même modèle. Il est séduisant de croire qu’elles puissent être élaborées à base de viande fraîche, ce qui en ferait presque une ration ménagère en croquette simplement parce qu’on veut se déculpabiliser de donner de la nourriture industrielle. Les propriétaires veulent du « sain » et du « naturel », je leur explique qu’il ne faut pas se fier aux allégations. Je préfère les orienter vers une ration ménagère. Je ne peux pas faire confiance à une croquette qui revendique 80 % de viande fraîche.
TÉMOIGNAGE
ROSEMARIE GUILLARME (L 12) Praticienne canine à Lentigny (42)
Pour ne pas braquer les propriétaires, je préfère les amener à se poser des questions. Je pousse leur raisonnement pour leur montrer s’il est fondé sur des bases solides ou non. Je leur dis : « Votre aliment est sans céréales, mais il contient une source d’amidon : pomme de terre, lentilles, pois, etc. ». Souvent ils tombent de haut. S’ils sont demandeurs, je leur donne mon avis sur les croquettes qu’ils distribuent à leur animal, sauf si des informations sont manquantes, comme le calcium et le phosphore, auquel cas je leur demande de les chercher. Lorsqu’ils veulent une recommandation, je cite 2 ou 3 croquettes de différentes gammes vétérinaires qui conviendraient à l’animal, avec la quantité et le prix au mois, élément qui est très important pour eux. Je ne m’aventure jamais à conseiller une croquette non vétérinaire. Je ne peux pas apporter ma caution professionnelle à des marques dont je n’ai aucune garantie concernant la qualité.
Les aliments humides sont des produits difficiles à formuler à cause de la variabilité des matières premières. En effet, entre l’été et l’hiver, les morceaux consommés par les filières humaines sont différents et donc les morceaux disponibles pour le petfood aussi. Si le porc et la volaille se trouvent facilement l’été, saison des brochettes, l’agneau est plus disponible à Pâques. Cependant, les process de formulation de l’humide sont très sensibles à la composition en matières premières : disposer de rate, poumon ou cœur a des implications très différentes. Les grands groupes qui produisent mettent des années de recherche et développement pour stabiliser les formules et les process. La formulation est très technique et difficile à standardiser. Dans les petites marques, le risque est de retrouver des analyses très disparates selon les lots. De plus, les coûts de production pour une petite ligne étant plus élevés que sur une grande ligne de fabrication, les produits très courants ont des meilleurs rapports qualité-prix que les petites marques d’Internet. Les marques vétérinaires sont quant à elles très vigilantes sur les analyses. « Avec la chaleur, nous avons dû changer nos barèmes de stérilisation : les grandes marques ont observé des variations dans la teneur en vitamines E et B des produits finis qui ont amené à modifier la formule. Ces produits sont très surveillés », confirme Jean-Charles Duquesne, président de la Normandise, société de fabrication de petfood humide.
TÉMOIGNAGE
ANTINÉA ECREPONT (UNIVERSITÉ VÉTÉRINAIRE, USAMV, CLUJ-NAPOCA, ROUMANIE 2019)
Praticienne à domicile à Narbonne (11)
Pour évaluer l’adéquation d’une alimentation, je regarde l’animal : poids, qualité du poil, de la digestion et satisfaction des propriétaires. Je parle nutrition lors de toutes les vaccinations et quand il y a surpoids ou problèmes digestifs. Si l’aliment est sans céréales, j’enquête toujours sur la présence de troubles digestifs et je les préviens du risque de myocardiopathie dilatée. À domicile, c’est plus simple, car les propriétaires sortent aisément le paquet et les différents compléments. Cela permet aussi de voir le mode de distribution, à volonté ou non, et de conservation. En consultation à domicile, ils osent aussi plus facilement me dire ce qu’ils feront ou pas, ce qui m’amène à composer avec ce qu’ils vont accepter d’acheter. En parlant nutrition, on obtient parfois de grandes victoires. J’ai réussi à amener une éleveuse réputée à passer du BARF (Biologically Appropriate Raw Food) non équilibré à une ration ménagère et elle m’a dit que ses chiots n’avaient jamais été aussi beaux !