RECRUTEMENT : LA CRISE NE CHANGE PAS LA DONNE - La Semaine Vétérinaire n° 1866 du 11/09/2020
La Semaine Vétérinaire n° 1866 du 11/09/2020

MANAGEMENT

ENTREPRISE

Auteur(s) : FRANÇOISE SIGOT

Alors que la crise pousserait une part importante de citadins vers les territoires moins denses, sur le champ du recrutement, les choses semblent moins tranchées. En tout cas, les recruteurs ne constatent pas d’appétence plus marquée pour les postes en rurale ou hors des grandes villes. Les candidats ne semblent pas non plus revoir leurs priorités.

Les penseurs auraient-ils fait long feu ? En tout cas ceux qui prédisaient que le monde d’après arriverait très vite après la crise sanitaire inédite dont le monde peine à sortir, en jurant que le temps des territoires urbains était derrière nous et que les citadins allaient se ruer vers les territoires moins urbanisés, ceux-là n’ont pas eu le nez creux. Si l’on en croit les témoignages des acteurs du recrutement vétérinaire, les situations pré et post-Covid se ressemblent à s’y méprendre. Et crise ou pas, les candidats restent principalement focalisés sur la qualité de vie au travail et ne sont pas prêts à tirer un trait sur une bonne ambiance de travail, encore moins sur une adéquation entre leurs désirs personnels et leur vie professionnelle. Le grand soir semble ainsi encore bien loin.

Pas plus d’appétence pour les zones moins peuplées

« La grande majorité des recrutements ont été gelés durant la crise. Le rythme a repris dès la levée du confinement, sans que l’on ne constate de gros changements », résume Gérald Limouzy, dirigeant de Axio RH Santé. Pour ce spécialiste, les candidats font toujours autant défaut et les postes proposés dans des zones moins urbanisées ne font pas plus recette qu’avant la crise sanitaire. « Les annonces sont plus lues que d’ordinaire, mais au final peu de personnes postulent », constate Marine Slove, responsable de VétoJob. Selon cette consultante, les taux de conversion seraient même plutôt en baisse en sortie de confinement au regard de la même période de l’an dernier. Les acteurs du recrutement notent toutefois un « faible » rebond des contacts de candidats. « Ils nous envoient leur CV, mais cela ne signifie pas forcément qu’ils accepteront de changer de poste », note Gérald Limouzy. « La fin du confinement a certainement marqué le début d’une période de réflexion pour les candidats potentiels. Il faudra attendre encore quelques semaines, voire quelques mois pour voir si ce temps est suivi par des démissions », analyse pour sa part Pierre Mathevet, fondateur et dirigeant de Tirsev. Quelques mois après le confinement, une chose semble acquise : contrairement à ce que beaucoup intuitaient, les vétérinaires et les ASV ne sont pas plus attirés par les villes moyennes, ni par la campagne. « Nous ne notons aucune demande fondée sur ces critères géographiques et démographiques », relève le dirigeant de Axio RH Santé.

Effet révélateur

En revanche, le confinement semble avoir accentué la quête déjà forte de l’adéquation parfaite entre vie personnelle et vie professionnelle. « Rien ne change. Les jeunes diplômés privilégient toujours une clinique moyenne à grande, plutôt bien équipée et avec une équipe expérimentée, car ils souhaitent être accompagnés. Chez les seniors les attentes sont un peu moins normées, mais la relation avec les autres vétérinaires de l’équipe fait la différence », explique Gérald Limouzy. La relation avec l’équipe est plus que jamais le cœur du processus de recrutement. « Le premier critère de choix reste la qualité de la vie au travail. Les relations avec l’équipe sont très importantes et la prise en compte des besoins individuels, par exemple l’adaptation des horaires, le nombre de gardes ou le temps partiel, est également un point qui pèse lourd pour choisir un poste », commente Pierre Mathevet. La qualité des plateaux techniques est également un facteur de plus en plus déterminant pour les candidats. Et fait peut-être nouveau, les ASV deviennent aussi exigeants que les vétérinaires sur leur environnement de travail, spécialement le relationnel avec l’ensemble de l’équipe et le respect de leurs attentes personnelles. « Les employeurs vont devoir mieux prendre en compte les envies de chacun », assure le dirigeant fondateur de Tirsev. La crise semble d’ailleurs avoir renforcé cette tendance. « La crise a été un révélateur. Dans les cliniques où l’ambiance était bonne, les relations apaisées, les équipes vont certainement rester en place et poursuivre sur ces bases. En revanche, dans les cliniques où l’ambiance n’était pas au beau fixe, les tensions se sont accentuées avec la crise et cela pourrait créer du turnover au sein de ces structures », poursuit Pierre Mathevet. Déjà avant la crise, les jeunes générations n’hésitaient pas à s’échanger des informations, le phénomène devrait aller en s’amplifiant. Certaines cliniques réputées pour ne pas prendre suffisamment en compte les attentes de leurs collaborateurs pourraient ainsi avoir bien du mal à recruter.

Les clés pour recruter

Comme avant la crise, les cliniques en quête de collaborateurs n’auront pas d’autres choix que de se mettre au diapason de ces attentes. Pierre Mathevet est convaincu que « la notion d’esprit d’équipe et, pour les ASV, la capacité à proposer un parcours et de la formation seront des éléments décisifs ». Même s’il n’est plus depuis quelques années le principal critère de choix, la rémunération ne peut pas être oubliée. « Juste après le confinement, nous avons vu des annonces dans lesquelles les employeurs proposaient des primes à l’embauche pouvant atteindre 10 000 euros », indique Marine Slove. Ce phénomène semble rester pour l’heure circonscrit à la région parisienne, mais là aussi le temps dira s’il devient une tendance. Un autre fait pourrait s’ancrer dans les pratiques à en croire les spécialistes du recrutement. Ces dernières semaines, un nombre croissant de vétérinaires ont tendance à être plus attentifs aux postes en statut salarié que libéral. « Cela semble lié au chômage partiel dont ont pu bénéficier certains vétérinaires salariés, alors que les collaborateurs qui avaient opté pour la collaboration libérale en ont été privés », note Gérald Limouzy. Là encore, le temps fera son œuvre et confirmera si ces tendances passent le cap des mois suivant la crise ou si elles font long feu dès qu’une situation plus « normale » aura repris ses droits.

RETOUR D’EXPÉRIENCE

ISABELLE CHAMOUTON (A 89)

Clinique vétérinaire 38,5 ° à Épinal (Vosges) (4 associés ; 9 vétérinaires ; 13 ASV)

Pour la première fois cette année, nous ne sommes pas parvenus à pourvoir un poste de remplaçant. Il est difficile de dire si l’effet Covid est en jeu, mais, bien qu’étant localisé en province dans une ville moyenne, nous ne notons pas un afflux de candidats depuis la crise. Nous avons publié une annonce cet été et nous n’avons pas plus de candidatures. Seulement 2 réponses de jeunes diplômées. Pourtant, nous prenons soin de laisser le profil le plus ouvert possible. Par ailleurs, nous sommes prêts à nous adapter au plus près des attentes des candidats en termes de rythme de travail et d’horaires. Il y a toutefois des points sur lesquels nous sommes intransigeants, spécialement les valeurs partagées par l’équipe. Même si le recrutement est difficile, nous n’intégrerons pas quelqu’un qui ne nous semble pas correspondre à ces valeurs, au risque de mettre à mal l’ambiance de travail au sein de la clinique. »